« L’histoire avec sa grande hache » : l’écrivain Georges Pérec, avec ce jeu de mots, a désigné ce qui a tranché dans son histoire personnelle en le privant de ses parents dès l’enfance. Avec cette émission, Le Média vous propose de nous tourner vers le passé, récent ou plus éloigné, en compagnie de celles et ceux qui l’explorent et qui le font connaître.
Saint Louis et la dernière Croisade
Le 25 août 1270, Louis IX mourait de maladie devant Carthage, près de l'actuelle Tunis, au cours de sa deuxième croisade, qui fut aussi la huitième et dernière du Moyen Âge. La mort de Louis « au service de la foi » ‒ quand bien même l'expédition fut un désastre, comme l'avait déjà été sa première croisade entre 1248 et 1254 ‒ couronna un règne et une vie que l'on considérait, dans l'entourage du roi, manifestement marqués par la sainteté. Les historiens Alexis Charansonnet (Université Lumière Lyon 2) et Xavier Hélary (Université Jean-Moulin Lyon 3), spécialistes de la royauté française au XIIIe siècle, évoquent cet épisode singulier avec Julien Théry pour ce nouvel épisode de La grande H.
Le récit officiel de l'agonie de Louis IX, envoyé immédiatement à ses sujets du royaume, le présentait même comme un nouveau Christ... et la canonisation, après un long travail de lobbying auprès des papes, finit par être officielle en 1297.
Non seulement cette dernière croisade fut un échec complet, mais son projet même s'était heurté à de très fortes réticences de la part du conseil royal, des barons et de tout l'entourage du roi. Xavier Hélary, auteur d'un livre récent consacré à l'expédition (« La dernière Croisade », éd. Perrin), souligne que Louis avait conçu l'expédition seul, sans même annoncer, au départ, quelle serait sa destination précise. Le choix de porter l'attaque sur le califat de Tunis plutôt que sur la Terre sainte demeure d'autant plus mystérieux que l'Église se refusa à considérer cette destination comme constitutive d'une vraie croisade (et les voeux de croisade des participants ne furent donc pas considérés comme accomplis à leur retour !). La démarche de Louis fut en réalité très personnelle, et cette ultime croisade « un grand rêve solitaire », selon l'expression de Georges Duby.
Julien Théry et ses invités reviennent aussi sur le sens politique général de la croisade au XIIIe siècle, sur ses fonctions et ses effets au plan interne, dans les royaumes. Alexis Charansonnet souligne à quel point la première croisade avait été pour Louis IX une manière efficace de souder la noblesse autour de lui, avec un projet commun exaltant et rassembleur, pour le plus grand bénéfice de la royauté, dont l'autorité montante avait jusque là suscité de nombreuses révoltes baronniales. Le règne et la piété extraordinaire de Louis IX, en outre, achevèrent de donner un statut spécial à la monarchie française parmi toutes les autres d'Occident. Là se situent les débuts d'un exceptionnalisme français de très longue durée. Malgré leurs échecs militaires, les deux croisades de Louis scellèrent avec succès la dimension christique qu'il avait imprimée à la royauté capétienne par son comportement et sa dévotion personnels et par l'acquisition à grand prix des reliques de la Passion du Seigneur, installées, dans l'écrin de Sainte-Chapelle spécialement bâtie à cette fin, dans le palais royal sur l'île de Cité. Dans toute la suite de sa longue histoire, la monarchie française fut ainsi identifiée, dans le royaume et partout ailleurs, au saint Louis IX.