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La grande H.

« L’histoire avec sa grande hache » : l’écrivain Georges Pérec, avec ce jeu de mots, a désigné ce qui a tranché dans son histoire personnelle en le privant de ses parents dès l’enfance. Avec cette émission, Le Média vous propose de nous tourner vers le passé, récent ou plus éloigné, en compagnie de celles et ceux qui l’explorent et qui le font connaître.

Exception, dictature, colonialisme : la face cachée de notre « État de droit » | Eugénie Mérieau, Julien Théry

« L'État de droit, ça n'est pas intangible ni sacré », a déclaré le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau – pour préparer l'opinion à une aggravation des atteintes aux droits de l'homme, que toute l'extrême-droite ne cesse de réclamer, dans le traitement des immigrés par les pouvoirs publics français. De façon à se justifier face aux protestations suscitées, le ministre a ensuite souligné que les situations d'urgence, dues par exemple aux crises sanitaires ou à la menace terroriste, autorisent à « déplacer le curseur ». Cette actualité illustre bien le propos du livre récemment publié par la juriste et politiste Eugénie Mérieau, intitulé Géopolitique de l'État d'exception : les mondialisations de l'état d'urgence (éd. du Cavalier Bleu).

Invitée de Julien Théry pour ce nouvel épisode de « La Grande H. » l'émission d'histoire du Média, E. Mérieau montre que la pensée politique libérale et universaliste a en réalité toujours promu, en même temps que des garanties en droit, des régime d'exception permettant au contraire de réprimer ou opprimer des catégories de personnes tenues pour pour dangereuses ou non civilisées.

Dès l'époque de la conquête des Amériques, l'universalisme du « droit des gens » théorisé par le théologien Francisco de Vitoria (1483-1546) remettait certes en cause la légitimité de l'asservissement des Africains telle qu'elle avait été proclamé par le pape à la demande des conquérants Portugais en 1455 (bulle « Romanus pontifex »). Mais le même théologien n'en justifiait pas moins la « guerre juste » contre les indigènes s'il se refusaient aux relations d'échange et de commerce avec les chrétiens, en considérant aussi comme légitime la réduction en esclavage des populations ainsi vaincues. Le même paradoxe se retrouve tout au long de l'histoire des constitutions politiques et de la pensée philosophico-juridique libérale : la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen d'août 1789 est suivie en octobre suivant d'une loi sur l'instauration de la loi martiale bientôt utilisée pour faire tirer sur les manifestants ; la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nations Unies en 1948 est assortie de restrictions pour permettre aux États colonisateurs de maintenir les discriminations juridiques au détriment des populations indigènes et permettre la répression impitoyable des mouvements indépendantistes...

Aujourd'hui encore, les instances internationales censées garantir la protection universelle des personnes autorisent en réalité de nombreux aménagements qui permettent de bafouer les droits d'individus ou de populations entières. E. Mérieau se situe ainsi dans le sillage d'Hanna Arendt et de ses considérations sur le « droit d'avoir des droits ». L'invitée de cet épisode de « La Grande H. » appuye aussi ses analyses critiques de l'universalisme juridico-politique revendiqué par la tradition occidentale sur sa connaissance des cadres constitutionnels dans les pays d'extrême-orient, dont elle est aussi spécialiste. Pour mieux suggérer qu'en dépit des apparences, comme elle l'a suggéré dans un ouvrage précédent (La dictature, une antithèse de la démocratie ?, éd. du Cavalier Bleu), les valeurs démocratiques de « l'État de droit » servent souvent à des fins impéralistes ou discriminatoires.

Exception, dictature, colonialisme : la face cachée de notre « État de droit » | Eugénie Mérieau, Julien Théry

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