« L’histoire avec sa grande hache » : l’écrivain Georges Pérec, avec ce jeu de mots, a désigné ce qui a tranché dans son histoire personnelle en le privant de ses parents dès l’enfance. Avec cette émission, Le Média vous propose de nous tourner vers le passé, récent ou plus éloigné, en compagnie de celles et ceux qui l’explorent et qui le font connaître.
Avant le capitalisme : la nature au Moyen-âge | Mathieu Arnoux, Julien Théry
On a récemment pris conscience que le développement économique des sociétés humaines affecte l'écologie, c'est-à-dire le système général du vivant, au point de remettre en cause à plus ou moins brève échéance l'habitabilité de la planète. L'« anthropocène », ère où l'action humaine modifie les conditions naturelles, est en réalité un « capitalocène », comme l'a souligné l'historien Jason W. Moore, au sens où ce n'est pas l'espèce humaine en elle-même, mais le mode de production capitaliste, qui est la cause du désastre en vue.
Or le productivisme inhérent au capitalisme (on parle aussi, avec Anna Tsing et Dona Haraway, de « plantationocène », ère conditionnée par l'extractivisme dont la plantation est le modèle) n'a évidemment pas existé de tout temps. Mathieu Arnoux, Professeur d'histoire médiévale à l'Université Paris Cité, souligne dans un ouvrage récent que les sociétés du Moyen Âge occidental ne concevaient pas le monde autour d'elles comme un « environnement », c'est-à-dire comme un entrepôt de ressources illimitées à utiliser librement pour la production de biens et services, mais se pensaient au contraire en symbiose avec une Création à laquelle elles ne se considéraient pas comme extérieures.
Dans cet épisode de « La Grande H. », Mathieu Arnoux revient avec Julien Théry sur les trois thèmes abordés dans son ouvrage (« Un monde sans ressources. Besoin et société en Europe. XIe-XIVe s. », aux éditions Albin Michel) : la façon dont le « Roman de Renard » met en scène les déséquilibres sociaux provoqués par la première grande accélération de la croissance économique en Occident vers 1150-1250 ; la contribution d'un ordre religieux, celui de Cîteaux, à cet essor économique et commercial inédit ; enfin la place exceptionnelle occupée par Paris, mastodonte urbain (200 à 250 000 habitants vers 1300) aux dimensions mal adaptées à l'économie de l'époque.