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Enquête. Abdel Malik, jeune autiste placé et maltraité

Par Nadia Sweeny

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Défenestré du deuxième étage, hospitalisé à plusieurs reprises : Abdel Malik, 12 ans, autiste sévère placé à l’aide sociale à l’enfance semble être victime de maltraitance institutionnelle. Alors que les services sociaux se renvoient la balle, sa mère, Séta Niakaté a saisi le défenseur des droits et dépose un recours devant le tribunal administratif mettant en cause la responsabilité de l’Etat. Enquête.

Abdel Malik, 12 ans, est atteint d’un trouble du spectre autistique sévère non verbal. Dès sa petite enfance, sa mère, Seta Niakaté, maman célibataire de trois enfants, rencontre de grandes difficultés pour s’occuper de son fils ainé. Suite à une série d’altercations sur la qualité de la prise en charge d’Abdel Malik opposant la mère au Centre médico-psychologique qui suivait le garçon, ce dernier alerte les services sociaux accusant la mère de défaut de soin. Seta Niakaté accuse le CMP des mêmes griefs.

En juin 2022, l’enfant est finalement placé sous la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance (ASE) par décision de justice. Madame Niakaté plaide alors pour que son fils soit pris en charge par le Silence des justes, une association devenue célèbre après le film « hors normes » qui met en scène sa lutte pour l’accueil des personnes autistes. Mais Abdel Malik n’y sera pas placé. L’ASE décide de le mettre dans « une structure de soins pour les enfants placés », dans le cadre d’un dispositif appelé Méristème, financé par le département de l’Essonne. Ce dispositif a pour objectif de réunir « dans un même lieu une équipe médico-sociale pluridisciplinaire dédiée aux problématiques de comportement des enfants accueillis dans les diverses structures de placement du Département », peut-on lire sur le site de la fondation action enfance qui cogère le dispositif avec quatre autres associations. Parmi celles-ci, l’Aapise où est affecté Abdel Malik dès octobre 2022 : une structure non spécialisée dans la prise en charge des enfants autistes sévères. « On me dit que la journée il sera accueilli dans un Institut Médicoéducatif (IME) et le soir, qu’il dormira dans un centre pour polyhandicap », se souvient Seta Niakaté.

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Maltraitance ?

Le garçon est en fait logé dans un appartement au sein duquel des éducateurs se relaient pour l’encadrer. Il vit d’abord avec un autre enfant polyhandicapé de 12 ans. Mais la cohabitation se passe mal. « La vie en collectif a été compliqué, peut-on lire dans un rapport de l’Aapise, rédigé en janvier 2024 et que Le Média s’est procuré. Abdel Malik fut violent avec l’autre enfant, le frappant à des moments impromptus et sans raisons évidentes ».

« La plupart du temps, quand j’arrivais le soir vers 21h30, il n’avait ni mangé, ni pris son traitement »

Des troubles du comportement très souvent associés au trouble du spectre autistique. L’accueil de l’enfant par la structure apparait extrêmement compliqué. La mère, d’Abdel-Malik, Seta Niakate, au début, courtoise s’inquiète rapidement. Elle se plaint à plusieurs reprises que son fils, qu’elle récupère les week-ends, a des bleus sur le corps et n’est pas changé : l’enfant n’est pas propre et doit porter des couches. Abdel Malik souffrirait régulièrement d’infection urinaire. Selon elle, il n’est pas nourri à sa fin. 
Des accusations graves, confirmées par Jimmy, 34 ans, éducateur spécialisé et veilleur de nuit à l’Aapise affecté au logement d’Abdel Malik. « La plupart du temps, quand j’arrivais le soir vers 21h30, il n’avait ni mangé, ni pris son traitement, confirme au Média, le jeune homme. Il n’avait pas été changé non plus. Il se levait la nuit, affamé. Parfois, il n’y avait rien dans le frigidaire pour le nourrir et aucun change non plus. Une fois, j’ai même dû lui donner à manger de la nourriture personnelle alors que je n’en ai pas le droit ».  Jimmy pointe de graves dysfonctionnements et des conditions d’hébergement inadaptées. Il filme le logement où le jeune Abdel-Malik vit : des salles vides, pas de jeux, un tas de linge sale, des trous dans les portes et dans les murs…

Pour les services sociaux, tout va bien

Dans les rapports de suivis régulièrement envoyés à la juge des enfants à l’origine de la décision de placement, les responsables de l’Aapise, de concert avec l’ASE, ventent leur prise en charge. Dans le rapport du 16 juin 2023, un auteur non identifié évoque, malgré des fautes d’orthographes et de syntaxes particulièrement grossières, une routine idyllique proposée au jeune Abdel Malik. Celui-ci « se réveille de bonheur ( 6H40, 7H00), avant de lui faire sa toilette nous I'assissions au toilette environ deux trois minute pour qu'il essaye de s'habituer (sic) » Puis déjeuner vers midi, lit-on. Avant une sortie l’après-midi, notamment à la piscine municipale. « Chaque jour avec Abdel-Malick c'est une nouveau challenge, on essaye de lui faire devenir automne. Par exemple il prend sa prendre sa fourchette seul pour manger, il en est un peu partout, mais il compris le concept. » (sic) 

Tout se compliquerait quand la mère vient chercher son fils pour le week-end : « elle crie tout le temps, ce qu'il agite beaucoup Abdel-Malick. Tout ce passe sur son palier, elle embrasse pas son fils, la première des chose c'est de rentrer en conflit. » (sic). Au fil des lignes l’association accuse la mère d’être véhémente, agressive, revendicative pointant une « posture inadaptée de madame Niakaté »

« Ça rigolait bien mais le travail n’était pas fait » 

Jimmy, l’éducateur, conteste le programme vanté par l’association. « Ils ont probablement fait des choses avec lui mais les journées n’étaient pas aussi structurées, affirme-t-il. Les éducateurs ne sont pas formés à la prise en charge des autistes. Il n’y a aucun pictogramme, ni programme stable. Un autiste a besoin de ritualiser son quotidien. Il n’y avait pas de protocole par exemple en cas de crise du jeune, on ne sait pas quoi faire. Pas de planning. Pas de cahier de transmission. On ne savait pas en arrivant si l’enfant avait pris son traitement ou pas. » Un fonctionnement en contradiction avec les recommandations de la haute autorité de santé pour la prise en charge des enfants autistes. 

Selon Jimmy, l’appartement du jeune garçon servait aussi de repères aux amis des éducateurs qui venaient jouer à la Play Station. « Quand j’arrivais, ils étaient trois ou quatre et n’avaient rien à voir avec l’Aapise ni même avec Abdel Malik. Ça rigolait bien mais le travail n’était pas fait » témoigne-t-il. Jimmy dit avoir prévenu la direction à plusieurs reprises de ces problèmes, sans réaction. Il quitte la structure début juin 2023.

Défenestration

Le 23 juin, la juge pour enfant prononce le maintien du placement d’Abdel Malik malgré les éléments apportés par la mère. « Elle n’a même pas voulu les regarder. Elle nous a dit qu’elle faisait confiance à ses équipes », se souvient Seta Niakaté. Trois jours plus tard, en plein après-midi, Abdel Malik se défenestre du deuxième étage. Hospitalisé pendant une semaine, il ressort avec des contusions mais rien de cassé. Quelques mois plus tôt, les services sociaux avaient pourtant bien noté dans leur rapport que le jeune garçon « n’a aucune conscience du danger ». Comment cela a-t-il pu se produire ? Dans les rapports de prise en charge rédigés à l’hôpital, les médecins parlent d’une « défenestration accidentelle du deuxième étage à priori survenu vers 12h30 » mais « sans témoin ». Ils apportent cependant quelques précisions. « Ce jour alors que la fenêtre était ouverte avec un tapis posé dessus, on l’aurait retrouvé tombé de 2ème étages (impact sur la terre), I'éducatrice qui aurait entendu un boum est partie à la fenêtre et l’aurait vu se relever, sans perte de connaissance »
D’après ce compte rendu, une enquête interne a été lancée « pour comprendre les circonstances » de cette chute alors qu’un « doudou a été retrouvé sur la barre de la fenêtre ». Abdel Malik est par ailleurs décrit comme « un enfant violent (…) qui fait des selles tous les matins et en met partout. L’éducatrice était en train de passer la serpillière dans le couloir avec la porte de la chambre ouverte quand elle a entendu le boum et elle est partie voir tout de suite. » peut-on lire. Non seulement la chute a eu lieu à midi trente mais ni la mère, Seta Niakaté, ni l’éducateur, ni même le contenu des rapports de l’association n’évoque un comportement particulier lié à ses selles et qui semble servir d’explication au fait de ne pas avoir gardé l’œil sur le jeune garçon. Par ailleurs, les secours sont arrivés sur place à 14h30, soit près de deux heures après la chute.

Seta Niakate porte plainte auprès du Procureur de la République d’Evry pour maltraitance. Le garçon, toujours pris en charge par l’Aapise, est placé dans un appartement au rez-de-chaussée.

Seconde hospitalisation

Mais le 19 janvier au soir, Abdel-Malik est de nouveau hospitalisé. Cette fois, il a avalé de la peinture et quatre petites vis. « Ce soir vers 18h30 l‘éducateur aurait trouvé Abdelmalik avec de la gouache noire sur le pourtour de la bouche et en train de machouiller, peut-on lire dans le compte rendu d’hospitalisation. La petite de 8 ans dans le foyer serait dans le salon avec Abdel Malik et aurait laissé la gouache noire à côté d’Abdel Malik. Les vis seraient dans un sachet dans une armoire fermée et ce serait la petite de 8 ans qui l’aurait pris de l’armoire et mis à côté d’Abdel Malik ». Les radios confirment la présence de corps étrangers dans l’estomac du garçon qui seront évacués de manière naturelle. Le médecin note tout de même des traces de griffures et une bosse à l’arrière de la tête du garçon. Des constats récurrents faits par les services hospitaliers sur le garçon, lorsque sa mère le récupère. Contactée, l’association Aapise n’a pas donné suite à nos sollicitations. De son côté, le département de l’Essonne nous informe que des « vérifications des conditions de prise en charge » ont été « systématiquement engagées ». Mais que celles-ci « n’ont pas révélé de manquement de la part de la structure à qui il était confié. » La mère et son avocat Maitre Hosni Maati, apporte un complément à leur première plainte.

Revirement et cafouillages

Le 24 janvier, dans son énième rapport à la magistrate, l’aide sociale à l’enfance de l’Essonne, qui jusque-là ventait son choix de placement fini par solliciter, « dans l’intérêt d’Abdel Malik un accueil dans un établissement spécialisé dans l’autisme, Le Silence des justes apparaissant comme la structure appropriée et prête à cet accueil dans le cadre d’un placement direct ». Au passage, elle accuse de nouveau la mère d’une « incapacité notoire à autoriser la prise en charge d’Abdel Malik par une autre structure ».

Le département annonce pouvoir financer ce placement en direct. Mais l’association a toujours indiqué n’accepter de nouveaux pensionnaires que par un placement via l’aide sociale à l’enfance, pour des raisons de suivi financier et pour éviter de se couper de l’accompagnement par les équipes de l’ASE, nous a expliqué le directeur du Silence des Justes, Stéphane Pérez.

Le 13 février 2024, l’ASE annonce alors à la mère sa décision : en raison de ce refus – pourtant anticipable - couplé à l’absence de convention entre le département et le Silence des justes, il serait impossible de placer Abdel Malik dans cette structure. « Nous n’avons pas envisagé de signer une convention directe entre l’ASE et le Silence des justes » nous indique le département de l’Essonne.

Pourtant, le 7 février 2024, devant la cour d’appel qui devait statuer sur la légalité du placement du jeune garçon, l’avocate du département avait affirmé le contraire annonçant même qu’une convention était déjà signée. « L’avocate du département informe la cour et les parties qu’un accord a finalement été trouvé et une convention signée entre le département de l’Essonne et l’association le Silence des Justes pour une prise en charge très prochaine d’Abdel Malik », peut-on lire dans le jugement. Satisfaite, la mère pensant que les choses étaient enfin réglées, s’était désistée de son appel. Quelques jours plus tard elle apprend finalement que cette convention n’a jamais existé.

Le département se défend en affirmant que « lorsque le silence des justes a indiqué pouvoir accueillir Abdel Malik, ce n’était pas au titre des places autorisées par l’ARS (agence régionale de santé, ndlr) mais des places surnuméraires non autorisées ». Pour coller à cette nouvelle donne, l’ASE adapte de nouveaux son discours et affirme à la mère, que son choix de placement à l’Aapise correspond finalement « totalement à la problématique santé » d’Abdel Malik. D’après une travailleuse sociale ce placement a même été validé par Etienne Pot, délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, venu visiter les structures.

 
Contacté, ce dernier n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.

Le département de l’Essonne, dont dépend pourtant l’ASE, reconnait une « absence de prise en charge adaptée » au handicap d’Abdel Malik. Mais cette carence « ne relève pas du département mais de l’Etat » précise-t-il. Alors qu’Abdel Malik est toujours placé à l’Aapise, la mère et son avocat ont décidé de saisir la défenseure des droits et de mettre en cause la responsabilité de l’Etat devant le tribunal administratif. Ce 22 juin, la juge pour enfants doit de nouveau se prononcer sur le placement du jeune garçon.  

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