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Soins gynécologiques en prison : le droit des femmes bafoué

Par Marthe Chalard-Malgorn

Journaliste et dessinatrice de presse. S'intéresse aux droits des femmes et des minorités, aux questions de justice et aux dérives sectaires.

En juin 2024, 2 460 femmes étaient détenues dans les prisons françaises. Si la loi leur garantit des soins gynécologiques équivalents à ceux procurés à l’extérieur, la réalité est bien différente. Un manque d'accès aux soins dont les conséquences peuvent être graves.

Après un an et demi passé au centre de détention de Roanne, Laura, 26 ans, apprend une fois dehors, qu’elle a contracté un cancer du col de l’utérus. Elle doit se faire opérer en urgence. Pourtant, lors de son arrivée en détention en 2020, elle avait demandé à réaliser un frottis afin de surveiller des anomalies bénignes révélées en 2018. Mais le gynécologue ne l’examine pas. Ce manquement aurait pu lui être fatal. Le parcours de Laura, mis en avant dans le rapport de l’Observatoire International des Prisons dédié à la santé en détention (juillet 2022), est un cas extrême mais révèle une réalité répandue : la pénurie d’accès aux soins gynécologiques pour les femmes détenues. Une situation qui contrevient directement à la loi censée garantir la prise en charge médicale de toutes les personnes incarcérées. 

« Ce que l’on craint le plus en prison, c’est d’avoir un problème gynécologique parce qu’on sait que ça va être une galère, qu’il va falloir se battre pour les menottes, qu’on ne va pas savoir comment faire pour se déshabiller. » De 2017 à 2023, Sarah est incarcérée dans un centre de détention francilien. Là-bas, deux gynécologues assurent une permanence mensuelle. Pour éviter que les détenues croisent les hommes, l’UCSA [unité de consultations et de soins ambulatoires, NDLR] ne leur est accessible qu’un seul jour par semaine : « cela voulait dire que si nous avions besoin de voir un médecin, il fallait se rendre disponible ce jour-là et choisir de ne pas travailler ». Et donc de ne pas gagner d'argent, indispensable pour la cantine. A cette période, Sarah doit être suivie pour des bartholinites, une inflammation bénigne des glandes de bartholin qui, si elle n'est pas prise en charge, peut causer des infections douloureuses et dans les cas les plus graves évoluer vers un abcès pelvi-périnéal et une septicémie. 
En prison, Sarah a développé un lien de confiance avec l’une des gynécologues qui l’accompagne. Quand celle-ci ne peut pas assurer son créneau, d’autres la remplacent. « Une fois, je sentais qu’une crise était en train de se développer, j’avais mal mais ce n’était pas encore infecté, raconte-t-elle, je suis tombée sur un collègue à elle qui ne m’a même pas ausculté. » La consultation se serait déroulée à l’oral malgré ses antécédents et ses déclarations. Pour Sarah cela ne fait aucun doute : le spécialiste a eu peur d'elle. « Certains de nos collègues craignent les détenues, ce qui est un peu idiot car nous sommes suffisamment sécurisées » explique Rose n’Guyen, ancienne gynécologue de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. 
Pour le docteur Mélanie Kinné, médecin généraliste à la maison d’arrêt de Nîmes et secrétaire de l’APSEP [association des professionnels de santé exerçant en prison NDLR], « il y a un vrai travail de sensibilisation à faire au sein de la profession » afin que les confrères et consœurs extérieurs connaissent le milieu carcéral et prennent mieux en charge les détenu.e.s.

Pénuries et non respect du droit

 Mais pour sensibiliser les membres de la profession, encore faut-il qu'ils soient présents. Or, à l'échelle du territoire, les spécialistes se font de plus en plus rares. Et les gynécologues, encore plus. Selon les chiffres du Sénat, la France a perdu 52,5% de ses effectifs entre 2007 et 2020. Alors en prison, c'est parfois la croix et la bannière pour combler les postes vacants, surtout dans les établissements mixtes. « Selon les régions, l'attente peut durer entre 2 à 6 mois » affirme le docteur N’Guyen, retraitée depuis mai 2024. 
En effet, l’éloignement des établissements couplé au manque de matériel dont souffrent certaines unités sanitaires n’aident pas à rendre ces postes attractifs. Voilà pourquoi des médecins généralistes, comme le docteur Kinné, sont habilités à effectuer des soins gynécologiques. Cela permet ainsi d'assurer le gros du suivi tout en palliant la pénurie. Cependant, dans certains cas - mammographie, échographie, urgence - l'extraction vers l'hôpital est obligatoire. Et là, c'est le manque d'agents pénitentiaires qui vient compliquer la tâche. Ce problème de sous-effectifs oblige l'administration à hiérarchiser les extractions. S'il n'y a pas d'urgence médicale, les détenues doivent attendre leur tour, voyant leur rendez-vous s'annuler sans être toujours repris derrière. C'est ce que raconte Amélie, incarcérée de 2014 à 2017 dans un centre pour mineurs puis dans un centre pénitentiaire, tous deux situés à l’ouest du pays : « Pour voir un gynécologue, nous devions faire une demande auprès des surveillantes. C’était très rare, il fallait être dans un sale état ».

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