"Chèques psy" : face à la détresse étudiante, retards et confusion
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Depuis le premier février, Frédérique Vidal affirme que des « chèques psy » sont disponibles pour tous.tes les étudiant.e.s de France. Contactés par Le Média, de nombreux services de santé universitaires expliquent pourtant que les mesures ne sont pas effectives tandis que des psychologues alertent sur les insuffisances du dispositif.
« Les chèques d’accompagnement psychologique sont entrés en vigueur » : au début du mois, BFM TV, Le Parisien ou encore RTL annonçaient en grande pompe la mise en place d’une des principales réponses du gouvernement à la détresse étudiante. La mesure, annoncée par Emmanuel Macron le 21 janvier, puis confirmée par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, doit permettre aux étudiant.e.s de consulter des psychologues sans frais durant trois rendez-vous de 45 minutes chacun.
Pour bénéficier de la gratuité de ces séances, ils.elles doivent d’abord aller voir un.e médecin pour obtenir une ordonnance avant d’être redirigé.e.s vers un.e psychologue. Ce sont les principales informations disponibles dans la presse, communiquées par l’Elysée. Mais les facs s’alarment : la circulaire n’a été publiée que le 15 février. Cette publication tardive, qui chevauche les vacances scolaires, ralentit encore la mise en place du dispositif.
Alors que Frédérique Vidal déclarait le 1er février sur BFMTV que « les services de santé universitaire sont en place », les facs attendent toujours des précisions. « Actuellement, on a peu d’informations concernant les chèques psy, on patiente », prévient le service de santé universitaire (SSU) de l'académie de Toulouse. Le 5 février, l’université de Lyon publiait sur son site internet que « l'équipe du SSU ne dispose pas à l’heure actuelle des éléments nécessaires pour mettre en œuvre [les chèques psy, NDLR] ». « Cette mesure n’est pas encore déployée au niveau national, on n’a pas d’instruction particulière », renchérit Marie-Amélie Castille, responsable administrative du service de santé de l‘université de Rennes.
Même si les médecins universitaires ont la possibilité de prescrire des séances gratuites, ils.elles ne sont pas en capacité de rediriger les étudiant.e.s vers un.e psychologue qui pourrait les recevoir. Les facultés contactées indiquaient devoir attendre la publication des circulaires avant de pouvoir mettre en place l’accompagnement psychologique promis. La circulaire, finalement publiée le 15 février, précise que les « informations précises » concernant la plateforme « seront communiquées ultérieurement ». Contacté à plusieurs reprises, le ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas souhaité répondre à nos questions.
« Il faut commencer par aller voir soit un médecin généraliste au sein du service de santé universitaire, soit un médecin figurant sur une liste de médecins avec lesquels les services de santé ont passé des conventions. Puis on choisit dans une liste de psychologues qui ont accepté », poursuit Frédérique Vidal dans l’interview donnée à BFMTV. « Je suis peut-être mauvais pour chercher, mais pour le moment, il n’existe aucune liste et aucune trace de cette mesure dans les universités », regrette Arthur*.
Depuis deux semaines, l’étudiant parisien essaie d’avoir accès aux consultations sans frais. C’est d’ailleurs la promesse de gratuité qui l’a motivé à se tourner vers un.e professionnel.le de santé. Après avoir contacté l’administration, le Crous, le service de santé et l'académie de sa fac, qui lui ont répondu ne pas pouvoir le renseigner, Arthur a désormais arrêté de chercher et se fait à l’idée que, pour le moment, il va « devoir se débrouiller autrement ».
Trois séances suffiront-elles ?
Comme Arthur*, Mahiva a tenté de prendre un rendez-vous avec un.e psychologue de son université toulousaine, en vain. « On ne prend pas de chèques psy », lui a-t-on répondu. L’étudiante se tourne alors vers son médecin traitant : « Il n’était pas du tout renseigné sur le sujet, il a fait des recherches sur internet pendant la consultation », raconte-t-elle. Par chance, son médecin trouve un.e psychologue qui peut l’accueillir. Elle ressort avec un document lui permettant d’avoir une séance gratuite.
« Se tourner vers un médecin généraliste pose un gros problème d’accessibilité », explique Gabrielle*, psychologue. « Il faut être en capacité financière d’avancer les frais d’un rendez-vous médical. Ensuite, il faut avoir un.e médecin traitant. J’exerce en banlieue parisienne où la plupart des personnes n’en ont pas, car il n’y en a pas assez ». La psychologue souligne également qu'il reviendra au médecin de décider si une souffrance vaut la peine ou non d’être traitée.
Il y a quelques jours, Gabrielle* a reçu un lien pour s’inscrire sur une plateforme (ouverte le 12 février) pour se signaler comme volontaire. Le mail ne semble pas avoir été envoyé à tous.tes les praticien.e.s car Éloïse Guerin-Lefebvre, psychologue spécialisée des jeunes adultes, a cherché la liste pour s’inscrire, sans succès. « Pour le moment, ce n’est pas très accessible pour les psy, c’est dommage », explique-t-elle. Au delà d’une plateforme peu lisible, les consultations de 45 minutes seront payées 30 euros, ce qui correspond pour ces professionnel.le.s de santé à une quinzaine d’euros après déduction des cotisations - un montant bien en deçà des tarifs habituellement pratiqués.
« Ce n’est pas possible d’aller mieux en trois séances. On ne peut pas faire de travail de fond, ni mettre à l’aise la personne en face », déplore Gabrielle*. En si peu de temps, la seule chose qui peut être diagnostiquée, c’est le risque suicidaire, souligne la psychologue.
Il y a actuellement environ six mois d’attente pour consulter un.e psychologue universitaire. L’attente peut être longue également pour des psychologues libéraux. « Je refuse en moyenne 20 personnes par semaine. Je suis obligée de les rediriger », poursuit Gabrielle*. Selon un rapport publié par l’association Nightline en décembre 2020, il y a en moyenne un.e psychologue pour 30.000 étudiant.e.s en France alors que les recommandations internationales sont d’un.e spécialiste pour 1.500 étudiant.e.s. Avec deux masters, Gabrielle* a dû envoyer près de 400 candidatures avant de trouver un travail. « On me proposait de faire du bénévolat... »
« Cette mesure pose un certain nombre de problèmes tant pour ma profession que pour les étudiant.e.s », ajoute-t-elle. La psychologue milite pour la mise en place généralisée des consultations gratuites. « Il y a des études qui montrent que c’est rentable financièrement pour les Etats. Cela engendre moins de frais de soins et de médicaments. »
* Les prénoms ont été modifiés.
Crédits photo de Une : Guillaume Souvant / AFP.