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L'actu

Notre regard singulier sur l'état de la France et la marche du monde. Au-delà des faits, le sens de l'actualité.

Plan de relance européen : l'arnaque Macron

Une “Petite révolution” d’après le journal Le Monde, un “succès politique pour Emmanuel Macron” selon La Croix, un accord “historique” pour Les Échos… On aimerait nous faire croire que l’accord obtenu le 21 juillet sur le plan de relance européen censé permettre à l’Union européenne de surmonter la crise du Covid-19 est une victoire pour la France et une étape majeure dans la construction d’une union plus solidaire. Mais à y regarder de plus près, la réalité est bien différente. Les économistes David Cayla et Stefano Palombarini analysent ce plan pour Le Média.

Beaucoup d’incertitudes pèsent sur le financement du plan de relance européen, obtenu au prix de rabais dans les contributions de plusieurs états-membres et de coupes dans les budgets fédéraux. Si Emmanuel Macron se félicite de l'accord, il faudrait en réalité y voir un enlisement de l’Union Européenne dans une lutte inter-étatique ou chacun chercherait à tirer son épingle du jeu, sans perspective commune d’intégration autre qu’autour du projet néolibéral. C'est en tout cas l'avis de nos deux invités. David Cayla, maître de conférence à l’Université d’Angers, et membre des Economistes Atterrés, a co-écrit avec l’essayiste Coralie Delaume plusieurs ouvrages sur l’Union européenne parmi lesquels “La fin de l’Union de l’Européenne” ou encore “10+1 questions sur l’Union européenne”. Stefano Palombarini, économiste et sociologue, est avec Bruno Amable le théoricien du concept de bloc bourgeois. Ils nous offrent une analyse en profondeur de ce plan de relance inédit.

David Cayla : “Nous avons un plan de relance européen qui s’ajoute en fait aux plans de relance nationaux, afin d’aider les pays qui ne peuvent pas lancer de plan de relance, parce qu’ils ont des capacités budgétaires limitées. Sur 750 milliards d’euros, nous avons 360 milliards de prêts, et 390 milliards de subventions.”

“Il y a une clé de répartition liée à des considérations politiques, c’est-à-dire que les pays les plus touchés par la crise du Covid vont recevoir davantage, et les pays qui ont été épargnés ou qui ont une économie qui se porte mieux vont beaucoup moins recevoir. C’est ce principe qui a été annoncé comme étant une grande victoire, puisqu'il y a une solidarité, et contrairement à d’habitude, ce ne sont pas les états qui financent le plus qui toucheront le plus.” 

Un financement incertain au prix de nombreux sacrifices

“Le principe de ce financement repose sur un endettement de l’Union européenne, c’est-à-dire que c’est l’UE qui va s’endetter en son nom. C’est une grande première, parce que l’Union européenne n’a jamais emprunté plus que pour des raisons de trésorerie, [...] là elle va emprunter énormément d’argent, 750 milliards d’euros, [...] c’est-à-dire 5 fois plus que son budget annuel, ce qui est considérable”.

“Ce n’est possible que parce que les États assurent la garantie de ces emprunts, et bien sûr, pas tous les États, puisque certains sont déjà en difficulté, évidemment la Grèce et l’Italie ne vont pas garantir les emprunts de l’UE, mais, c’est l’Allemagne, la France, et d’autres pays qui assureront ces emprunts”.

“Le problème, c’est qu’on ne peut pas emprunter 750 milliards d’euros quand on ne dispose pas de ressources propres, donc il est prévu que l’UE, trouve des financements via la fiscalité, puisque bien sûr il n’est pas question d’augmenter les dotations des États membres [...].C’est par exemple la taxe GAFAM, ou la taxe sur les transactions financières. On évoque aussi [une taxe] carbone, c’est-à-dire [sur] les importations de produits à fortes émissions de CO2, mais tout ça ne sont que des projets, pour l’instant il n’y a pas d’accord [...] sur ces nouvelles sources de financement.”

“La plus réaliste c’est sans doute la taxe GAFAM, c'est-à-dire une taxation des entreprises du numérique [...]. Mais je me méfie, parce qu’on a quand même des pays comme l’Irlande qui ont besoin absolument d’avoir une fiscalité faible sur les entreprises. Toute la fiscalité européenne est fondée sur le principe de l’unanimité. [...] Donc, évidemment, on a un problème, puisqu’il y a certains états qui sont des paradis fiscaux.”

Des coupes budgétaires à long terme

Faute de perspectives certaines de financements, l’accord prévoit des coupes dans certains budgets. Pire, certains États ont obtenu en contrepartie de voir leur contribution au budget européen diminuer à long terme.

David Cayla : “Beaucoup de programmes européens, de type fédéraux, vont être minimisés. On va diminuer les budgets sur la recherche, et le budget pour l’agriculture, qui va beaucoup perdre [...]. On va même diminuer les fonds structurels, c’est-à-dire les fonds qui visent à aider les pays les plus en retard d’un point de vue économique [...] Alors bien sûr, on dit qu’ils vont recevoir de l’argent avec le plan de relance [...], mais en fait c’est pas tout à fait la même chose, parce que le plan de relance c’est sur 3 ans, alors que les fonds structurels sont organisés sur 7 ans, qui est la durée du budget européen”.

“L’autre contrepartie, ce sont les rabais dont bénéficient aujourd’hui de nombreux états, notamment les Pays-Bas, l’Autriche, mais aussi l’Allemagne. Ces rabais sont renforcés, c’est-à-dire que les Pays-Bas vont payer beaucoup moins que dans le budget précédent. Ça démontre une baisse de la solidarité. C’est un paradoxe, puisqu’on fait un plan de relance qui est censé être un plan de solidarité pour aider les pays les plus touchés par la crise du Covid-19. En fin de compte, [...] les contributions des pays les plus riches sont diminuées par rapport à ce qu’elles auraient dû être”.

La carotte et le bâton néolibéral

Pour David Cayla, cet accord réduira par ailleurs la souveraineté des États membres, qui seront contraints de poursuivre des réformes de démantèlement des protections sociales.

“Il y a une autre contrepartie extrêmement forte. Ce sont les pays qui vont organiser eux même leur relance, mais si par ailleurs, ils ne sont pas conformes [...] aux recommandations de la Commission européenne, et aussi du Conseil européen, et bien ces pays pourront ne pas bénéficier de cet argent. Donc il va y avoir un renforcement du contrôle, c’est-à-dire que la carotte ne sera donnée que si on montre patte blanche, si on accepte de faire les réformes structurelles, c’est-à-dire les réformes néolibérales, et d’équilibrer les comptes. C’est en particulier ce que les Pays-Bas ont obtenu, c’est-à-dire un contrôle non seulement de la Commission européenne, mais aussi du Conseil européen.”

“On a aussi des atteintes à l’État de droit en Hongrie, en Pologne, et éventuellement dans d’autres pays, et il était question de subordonner ces fonds au respect de l’état de droit. [...] Or, les pays d’Europe centrale ont obtenu que ces questions ne soient pas prises en considération dans l’octroi de fonds. En gros, pour résumer la chose, on va faire attention au fait que les pays font bien des réformes des retraites et diminuent bien les dépenses publiques et sont bien dans les clous de la stabilité budgétaire, mais par contre, si leur justice n’est pas indépendante, si on sacrifie les droits des minorités, tout ça, n’interdira pas de toucher les fonds européens.”

Derrière le compromis, une Europe déchirée

Comment en est-on arrivé à un tel accord ? Pourquoi les négociations, qui se sont étendues du 17 au 21 juillet, ont-elles été si âpres ? Pour David Cayla, la réponse réside dans l’analyse des rapports de force qui traversent l’Union européenne.

David Cayla : “Créer un budget fédéral européen, c’est une grande idée d’Emmanuel Macron. La France était un peu seule à défendre cette idée, mais l’Allemagne s’y est récemment raccrochée, là aussi pour des raisons d’intérêts allemands. On craint un effondrement économique [...] qui va toucher premièrement, en priorité, l’Allemagne et son industrie. Et donc l’Allemagne a besoin que des pays d’Europe du sud continuent de lui acheter des produits, et donc elle a besoin d’éviter l’effondrement de ces pays. Elle a besoin aussi de garantir la préservation de l’euro, [qui] est indispensable pour son modèle d’exportation. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne s’est rangée à l’idée d’aider les pays d’Europe du sud, notamment l’Espagne et l’Italie [...] qui ont énormément souffert de la crise du Covid et qui sont aussi fragiles”. 

“Le problème, c’est que d’autres pays sont restés sur la ligne qui était celle de l’Allemagne auparavant, c’est-à-dire absence de solidarité financière, parce qu’en fait, ils n’ont pas confiance dans l’économie des pays d’Europe du sud”.

“Il y a aussi d’ailleurs une forme de racisme de la part de certains pays, [qui] pensent que si l’Italie ou l’Espagne ou la Grèce sont des économies fragiles, c’est parce que les habitants de ces pays seraient plus dispendieux, et les gouvernements sauraient moins bien gérer.”

“En réalité tout ça est totalement faux : on a un phénomène de concentration industrielle en Europe du nord, qui est liée au marché unique, car le capital productif est plus productif et plus rentable lorsqu’il est proche des grands ports de la mer du Nord, et donc lorsqu’un Italien veut investir dans une usine, il a plutôt intérêt à la positionner en Allemagne ou aux Pays-Bas ou en Autriche, plutôt que la mettre en Italie, ou en Grèce, ou en Espagne.”

“Ce phénomène de concentration économique crée des divergences, il y a des pays qui profitent du marché unique et des pays qui y perdent. Tout ça c’est au coeur des dissensions politiques actuelles. Actuellement, on a des pays qui gagnent au statu quo, et des pays qui perdent au statu quo.”

“On s’aperçoit que l’Union européenne n’est pas une entité politique suffisamment légitime pour organiser des transferts sociaux, contrairement à la France par exemple. Toute la richesse s’accumule dans la région parisienne ou dans certains territoires très richement industrialisés”, ce qui n’empêche pas “de créer une forme de compensation en reversant via le service public, via des allocations, via d’autres moyens, des infrastructures, par exemple, aux régions périphériques ou aux régions les moins dynamiques économiquement.”

“On vit un peu en France sur le mythe du couple franco-allemand, selon lequel ce serait la France et l’Allemagne qui auraient à elles deux créé l’Europe et organisé son évolution. Les choses sont un peu plus compliquées que ça, quand on prend un peu l’Histoire, on voit bien que la France était à l’avant garde jusqu’aux années 80, et c’est elle qui a quasiment décidé de tout avec l’Allemagne qui suivait.” 

“Aujourd’hui c’est un peu l’inverse, rien ne se fait contre l’Allemagne, qui trouve un intérêt au statu quo comme d’autres pays, mais contrairement aux autres pays, elle a conscience [..] des dangers qui pèsent sur l’UE, et essaie de tout faire pour la sauver. Mais malheureusement, sauver le marché unique, ça veut dire aussi, payer pour le marché unique. Alors, [...] il faut voir si concrètement dans 6 mois Merkel est toujours aussi populaire qu’aujourd’hui.”

Selon David Cayla, ces divergences entre États pourraient resurgir à l’occasion d’une possible crise financière.

David Cayla : “On va avoir quand même une crise économique et financière qui va être monumentale à gérer. Pour l’instant, on est en train de répartir de l’argent qu’on a toujours pas prélevé. On se dit que 750 milliards c’est beaucoup, mais en réalité, ça correspond à un très faible pourcentage du PIB européen, et ce ne sera pas suffisant pour relancer l’activité économique.”

“Par ailleurs, on risque de se retrouver avec des pertes énormes dans le secteur financier, et là, on va avoir un problème qui est que certains états sont créanciers (l’Allemagne, les Pays-Bas et autres) et d’autres États sont débiteurs. Aujourd’hui on est en train d’essayer de sauver l’économie réelle, et pour ça on a tous les mêmes intérêts : les Allemands ont besoin que les consommateurs Italiens et Espagnols puissent consommer et donc ils ont intérêt à les aider.. Mais lorsque demain on va se retrouver confrontés à une crise financière où on aura des états qui risquent de faire faillite et de plus pouvoir rembourser, alors là les intérêts des pays seront contradictoires. [...] On risque de se retrouver a posteriori, dans quelques mois, ou dans un an ou deux, dans une situation dans laquelle la Grèce était en 2015, mais cette fois si ça pourrait être l’Italie ou l’Espagne, et si ces pays font défaut, je ne crois pas que le principe de solidarité de l’UE pourra résister.”

Mais qui tire réellement son épingle du jeu dans ce plan de relance ? Pour nos deux économistes, c’est d’abord l’Europe du Sud, et en particulier l’Italie et l’Espagne. Mais pas vraiment la France, qui ne devrait pas en bénéficier davantage qu’elle y contribuera.

David Cayla : “Chacun a l’impression d’avoir gagné, par exemple les pays comme l’Espagne et l’Italie ont l’impression d’avoir gagné puisqu’ils vont bénéficier de fortes sommes. Pour l’Espagne on parle de plus de 100 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien, ça correspond à plus de 10 % de son PIB, sur 3 ans, donc pour des pays qui ont du mal à emprunter sur les marchés financiers, c’est une somme qui est assez considérable. Les Pays-Bas bien sûr ont gagné aussi, puisque les “frugaux” ont baissé leurs rabais, donc ils vont moins contribuer au budget européen. Les pays d’Europe centrale sortent aussi assez gagnants, puisqu’on les embête pas trop pour leurs atteintes à l’état de droit.”

“La France ne gagne pas tant que ça, puisqu’elle a été quand même sévèrement touchée par le Covid, mais sa situation économique fait qu’elle ne bénéficiera pas beaucoup des fonds. Premièrement, puisque ses taux d’emprunt sont d'ores et déjà inférieurs à zéro, elle n’a pas besoin d’utiliser le budget de 360 milliards d’euros de prêts, et elle ne va pas bénéficier de beaucoup d’argent, beaucoup moins en tout cas que l’Italie et l’Espagne”. En revanche, “elle va payer, parce qu’elle va garantir les prêts, et que de toute façon, les fonds propres qui vont être prélevés toucheront bien entendus l’économie Française. Après, je ne dirais pas que la France est la grande perdante, parce que globalement, elle ne gagne pas vraiment, mais elle ne perd pas vraiment non plus.”

Une défaite pour les fédéralistes

Au-delà des répercussions individuelles pour les États membres, quelle est la signification politique de cet accord pour l’Union européenne ? Si Emmanuel Macron présente cet accord comme une victoire, selon David Cayla, on s’éloigne en réalité du projet fédéral souhaité par le président de la République dans son discours à la Sorbonne. 

David Cayla : “Cet accord marque la déliquescence du projet fédéral européen. Concrètement, on a fait payer le plan de relance au prix fort, en rabotant de très nombreux budgets qui sont pilotés par l’instance fédérale qu’est la commission, au profit d’un budget qui va être organisé à l’échelle des États. Le plan de relance va durer 3 ans, alors qu’on a voté un budget qui va durer 7 ans, et maintenant il sera très difficile de revenir sur les rabais qui ont été accordés.”

“Quelque part, on a une Europe qui maintenant est clairement pilotée par le Conseil européen, avec des États qui n’hésitent plus à contester le couple franco-allemand, et donc ça va être quand même difficile d’organiser une Europe de la solidarité, et de continuer à engager d’ambitieux projets fédéraux.” 

“J’ai envie de dire que le principal perdant, c’est la Commission européenne. La nouvelle présidente de la Commission européenne a été dépassée par les négociations. Tout s’est joué entre les États membres et non pas par l’autorité fédérale qu’est la commission. De plus, via le droit de regard qu’a demandé les Pays-Bas et les états frugaux, le Conseil européen pourra bloquer les subventions, c’est-à-dire que la Commission européenne a en partie perdu la main sur l’utilisation de ces fonds.”

“De mon point de vue, on n’a pas vraiment le saut fédéral attendu par les européistes, on a au contraire une régression de la solidarité. On a un problème de fond, qui est que l’Union européenne telle qu’elle fonctionne attise la concurrence entre les États qui se livrent une forme de guerre économique à coup de dumping social, de dumping fiscal etc., et tout cela ne favorise pas du tout la solidarité.”

Pour Stefano Palombarini, on peut parler d’intégration accrue, mais pas pour autant de fédéralisme démocratique.

Stefano Palombarini : “À partir du moment où les pays, tous les pays, acceptent de se porter garants pour de la dette dont ils ne vont pas forcément être bénéficiaires, évidemment c’est un pas vers une intégration plus grande. Le problème, c’est que quand on dit intégration, on a toujours le réflexe de penser ça veut dire plus de démocratie, ou plus d’intégration, ça implique plus d’Europe sociale, alors que là non, c’est de l’intégration qui se fait au détriment de la construction sociale.”

“Une fois que la politique économique au niveau national n’est plus fixée par les votes des parlements et une fois qu’on coupe les budgets européens en faveur des financements des pays qui sont en gros négociés par des accords inter-gouvernements, évidemment, c’est un recul démocratique aussi.”

Toujours plus loin dans l'impasse néolibérale

On l’a compris : pas plus de démocratie, et pas vraiment plus de solidarité à long terme. Pour nos deux invités, c’est bien dans la voie néolibérale que s’enfonce l’UE avec cet accord.

David Cayla : “Ce plan de relance est aussi l’opportunité pour les autorités européennes d’accentuer la pression néolibérale. Puisque tous ces prêts et ces subventions sont conditionnées, si la France utilise l’argent européen, il va falloir qu’elle maintienne le cap néolibéral. Ce qu’il va se passer, c’est un renforcement de la supervision européenne, qui va se faire à l’échelle de la commission, mais maintenant aussi à l'échelle du Conseil européen, et donc on réduit les marges de manoeuvres. C’est en quelque sorte une victoire d’Emmanuel Macron, qui est néolibéral, et qui veut des comptes équilibrés et des réformes structurelles en France, et qui utilise le poids européen pour appuyer ses réformes. Si un gouvernement de gauche venait à apparaître en France, il va falloir défaire tout cela, c’est-à-dire se désengager et désobéir profondément à cette logique néolibérale. Mais, ça va être très compliqué, lorsqu’on devra rendre des comptes sur l’argent auquel on aura bénéficié.” 

“Ça, c’est l’Histoire de l’Europe. Elle a toujours été utilisée par les néolibéraux pour avancer leur projet sans dire que c’est eux qui les font. La réforme des retraites, la réforme du marché du travail, les réformes, les baisses des déficits publics, tout cela est au coeur du projet néolibéral depuis très longtemps, maintenant on s’appuie sur l’échelle européenne pour obliger les peuples à accepter les politiques néolibérales.”

Stefano Palombarini : “Cet accord est un pas vers le renforcement d’une sorte de bi-polarisme en perspective, avec une Union européenne dans laquelle, en s’intégrant, on a accès à des financements, à des taux d’intérêt bas, et donc, on a intérêt à poursuivre, même si cela contraint notre trajectoire, dans une direction disons néolibérale. L’autre position sera une position de rejet du néolibéralisme, et qui s’accompagnera de façon de plus en plus claire avec l’idée que, pour en sortir, il faut sortir de l’Union européenne.”

“L’impression que j’ai en terme de perspectives politiques et des conséquences de cet accord, est que ça ferme [...] les autres perspectives imaginables par rapport à ces deux là. Je pense que, même en Italie, la logique est que la Ligue revienne vers des positions de rupture avec l’Union européenne. Et de l’autre côté, on a quelque chose comme une deuxième vie du bloc bourgeois, qui s’était affaibli beaucoup en Italie, [...] mais qui retrouve du souffle en disant, [...] avec la perspective qu’on vous propose, on aura quand même les moyens de réagir à la crise, on aurait pas ces moyens si on était pas dans notre perspective.”

“Je sais pas si vous avez vu la réaction de Varoufakis à cet accord, qui est très négative, et qui représenterait une troisième voie disons, par rapport à la rupture et par rapport à l’Europe néolibérale telle qu’elle se construit depuis des années, mais on voit bien qu’un accord de ce type lui coupe un peu des perspectives. Le vote négatif du Parlement européen (qui a voté une résolution contre l’accord du plan de relance, ndlr), est je pense lié à des parlementaires en Europe, qui avaient plus l’idée d’une intégration politique, avec un volet démocratique plus important et des pouvoirs du Parlement importants. Cette perspective là me parait sortie très très affaiblie de cet accord.”

Des gauches européennes divisées

Bref, la direction prise par l’Union européenne avec cet accord n’est pas vraiment compatible avec des ambitions sociales. Il a d’ailleurs été accueilli avec une nette hostilité par le PCF et la France Insoumise en France. Pourtant, en Espagne, Pablo Iglesias, membre du gouvernement et secrétaire général de Podemos, s’est réjoui du plan de relance. Une fracture qui souligne les contradictions des partis de gauche dès lors qu’il s’agit de l’UE.

David Cayla : “Les partis de gauche ne sont pas tous sur la même longueur d’onde parce que tous ne vont pas gagner la même chose. Je suis pas étonné que Podemos soit content, parce que l’Espagne va toucher beaucoup d’argent, et que la situation économique espagnole est absolument catastrophique. C’est un pays qui vit beaucoup du tourisme, et qui a été dans un confinement extrêmement dur pendant des mois. Du point de vue des partis français, on a pas tellement gagné à ce plan, et au contraire, la France va plutôt être du côté des contributeurs que des bénéficiaires. Ça veut dire quelque part que la question de l’intérêt national domine la question idéologique”. 

“La question européenne a toujours été complexe à traiter pour les partis de gauche, parce qu’on a une Union européenne qui de fait est de droite voire néolibérale, et donc, quand elle se renforce, quelque part elle renforce aussi les mécanismes néolibéraux. C’est le cas de ce plan, mais là en l’occurrence, cela va aussi aider réellement des pays qui sont très durement touchés”

Stefano Palombarini : “Il y a un facteur qui joue, c’est que Podemos, ils gouvernent, le Mouvement Cinq Étoiles (M5S), en Italie, gouverne, et évidemment, c’est plus difficile de s’opposer à un projet qui était négocié y compris par le gouvernement qu’ils appuient. Mais je pense qu’il y a un autre facteur qui explique beaucoup de choses, c’est la violence de la crise qui frappe les pays du sud. Donc, ce n'est pas exactement le même point de vue pour des pays qui gouvernent dans le sud de l’Europe, et pour un parti qui s’oppose en France.”

“Il faut avoir en tête qu’en Italie, au gouvernement, il y a M5S, qui s’est toujours opposé à un financement par le mécanisme européen de stabilité - il y avait 37 milliards qui étaient accessibles -, et l’Italie a refusé d’y avoir recours, à cause des conditions qui auraient accompagné ces prêts. Ce plan dont on discute aujourd’hui sera accompagné de conditions beaucoup plus fortes, ça s’annonce déjà, en terme de réformes de retraites, de flexibilisation du marché du travail, et de coupes aux dépenses publiques, etc. [...] J’ai l’impression qu’en Italie personne n’en parle pour l’instant, et donc pour l’instant, c’est perçu comme une victoire. Je pense qu’un jour on comprendra que ces financements sont soumis à des conditions très contraignantes, et y compris dans la base du M5S, il y aura du mécontentement qui va se manifester.”

On l’aura compris, ce plan de relance éloigne la perspective d’une Union européenne fédérale construite autour d’un projet social et réellement démocratique. Mais surtout, il pourrait ne pas suffire à enrayer une grave crise économique ou financière. Et rien ne garantit qu’elle y survivrait, tant que les contradictions en son sein, remises au jour par les négociations difficiles au Conseil européen, sont fortes.

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