Chaque semaine, Serge Faubert raconte l’actualité française à travers le prisme des délibérations au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ce qui perce de l’esprit des lois et de l’équilibre des forces politiques, au-delà du jeu des petites phrases.
Coronavirus : le scandale de la pénurie de masques
Le gouvernement cherche à cacher ses responsabilités dans la pénurie de masques pour les soignants. Quitte à expliquer que la population n’en a pas besoin.
Le personnel soignant manque de masques. Dans des proportions dramatiques. C’est la vie des professions de santé, à l’hôpital et en ville, qui est en jeu. Et, par voie de conséquence, leur capacité à nous soigner.
Cette pénurie a été évoquée jeudi, lors des questions au gouvernement. Édouard Philippe a rappelé que le gouvernement avait réquisitionné, par décret, le 3 mars l’ensemble de la production des usines françaises.
Comment ne pas être interloqué par cette date du 3 mars?
En effet, mardi dernier, un article d’Ariane Chemin, dans le Monde, rapportait ces propos d’Agnès Buzyn, l’ex ministre de la Santé.
« Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j’ai averti Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. »
Entre le 30 janvier et le 3 mars, 34 jours se sont écoulés. 34 jours qui auraient permis de produire des masques en quantité.
Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas ? Édouard Philippe aurait-il sous-estimé l’avertissement d’Agnès Buzyn ?
Interrogé sur France 2, mardi 17 mars, le premier Ministre s’en est défendu. Alors même que la communauté scientifique était partagée, le gouvernement aurait privilégié les hypothèses les plus pessimistes sur la pandémie.
Sans cependant s’inquiéter de la quantité de masques disponibles ! Ce qui aurait dû être son premier réflexe. Dans une guerre, pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron, n’importe quel général passe en revue ses forces avant d’engager le premier mouvement. Là, non !
C’est la première faute.
La deuxième, car il y en a une deuxième, est imputable à l’exécutif actuel, mais aussi aux gouvernements successifs de François Hollande.
C’est Olivier Véran, l’actuel ministre de la Santé, qui a dévoilé le pot aux roses lors des questions au gouvernement, ce jeudi.
Si la France ne dispose pas de stocks suffisants, c’est parce qu’à partir de 2013, on s’en est remis aux usines chinoises. Celles-ci étaient capables de produire des masques dans des délais extrêmement courts.
Mirage de la mondialisation. Personne n’avait envisagé que ces entreprises ne puissent plus répondre à la demande, parce qu’une crise sanitaire sans précédent les frappait. C’est ce qui s’est produit ces derniers mois. L’ensemble de la production chinoise a été absorbé par les besoins locaux.
Il faut ici rendre hommage à Roselyne Bachelot, ministre de la Santé de Jacques Chirac. C’est elle qui avait commandé en 2009 les masques qui ont constitué le stock stratégique de la France jusqu’en 2013.
Il s’agissait à l’époque de faire face à la menace de la grippe H1N1. Une commande qui portait sur 1,7 milliard de masques pour un prix de 350 millions d’euros.
Une bonne partie de la classe politique avait crié au gaspillage, parce que les masques avaient peu servi en définitive.
Au regard ce que va coûter la catastrophe sanitaire actuelle, ces 350 millions ne sont pourtant que de l’argent de poche.
Si l’on avait maintenu les stocks en l’état, il est incontestable que la situation sanitaire ne se serait pas dégradée aussi vite. Combien de vies aurait-on déjà épargnées ?
En 2011, le Haut conseil de la santé publique, avait été consulté. Cette instance joue un rôle de vigie auprès du ministère de la Santé.
Elle recommandait « la constitution d’un stock tournant impliquant la libération (par exemple vers les hôpitaux pour l'usage en soins courants) et la reconstitution régulières d'une partie du stock et ce compte tenu des durées de péremption de ces masques ».
Le Haut conseil observait également « qu'il n'est pas possible de prédire la durée d'une épidémie ou pandémie liée à un pathogène émergent, mais qu'une exposition intense ne devrait pas dépasser 3 mois localement. ».
C’est donc en partant de ce délai de 3 mois que le stock de masques aurait dû être constitué.
Il n’en a rien été.
Reste maintenant à déterminer qui doit porter un masque ? Le Premier ministre soutient que seuls les soignants en ont besoin.
Le rapport du Haut conseil de la santé publique ne dit pas la même chose.
S’il reconnaît que le port du masque par l’ensemble de la population n’est pas utile, il énumère en revanche, au-delà du personnel soignant, plusieurs catégories de population qui doivent porter un masque anti projections.
D’abord, les personnes infectées ou suspectes de l’être. Le Haut conseil de la santé publique vante d’ailleurs les comportements des populations asiatiques dans ce cas de figure.
Il y a ensuite les personnes qui vivent dans l'entourage immédiat d'un cas suspect ou confirmé ; celles qui se rendent dans les lieux publics ou qui prennent les transports en commun ; celles, enfin, qui sont exposées au risque du fait de leur profession, par exemple les métiers de guichet.
Chacun peut le constater, ces recommandations ne sont pas respectées aujourd’hui. C’est la troisième faute du gouvernement.
Quoi qu’il en dise, l’exécutif a sacrifié une fois encore la santé publique sur l’autel du marché. Il feint aujourd’hui de redécouvrir les mérites de l’État protecteur, de l’indépendance économique et de la souveraineté nationale. Les proches des victimes seront contents de l’apprendre…