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Région lyonnaise : pollution et parfum de scandale dans "la vallée de la chimie"
Les perfluorés, dits PFAS, rassemblent plus de 4000 composants chimiques dont le PFOA, découverts lors du scandale de Dark waters en 2015 aux EU, concernant les poêles Teflon. Le PFOA est alors interdit en 2020 en France, mais les perfluorés sont des polluants dits éternels, ultra-résistants. Malgré ces conséquences désastreuses, les entreprises continuent d’utiliser d’autres composés chimiques de cette même substance, non-réglementés pour le moment.
hierry Mounib est habitant de Pierre-Bénite depuis plus de 70 ans. Commune au sud de Lyon, elle est au cœur de la Vallée de la chimie, une zone rassemblant de nombreuses usines chimiques, dont Arkema. L’été dernier, après une enquête du média Vert de rage, il découvre que son jardin est gravement pollué aux perfluorés. Risque de cancers, d’effet sur la thyroïde ou le système immunitaire, ces produits utilisés notamment dans les emballages alimentaires et les cosmétiques, seraient fortement toxiques pour la santé. "Voilà, je me suis retrouvé avec 6 fois la future norme de PFAS qui entrera en vigueur en 2026. Ils savent très bien qu'ils rejettent des produits toxiques, et ils continuent de le faire encore aujourd'hui 380 kilos de PFAS pure dans le Rhône chaque mois ! ", dénonce Thierry Mounib.
Retrouvés à fortes doses dans l’eau du Rhône, dans l’air, le sol, celui du stade où jouent les enfants du quartier, mais aussi dans l’eau du robinet de 110 communes, dont 19 qui dépassent la future norme européenne de 2026. Pourtant, l’ARS ne prévoit pas de restrictions de la consommation d’eau, estimant que “les dépassements constatés restent modérés, (…) une molécule, pour laquelle les valeurs sanitaires montrent un risque très faible, représente à elle seule la moitié des quantités retrouvées, alors que les 4 molécules identifiées comme les plus à risque respectent les critères définis par l’ANSES."
Mais les habitants sont inquiets et demandent des comptes aux collectivités, qui semblent dépassées, alors que des scientifiques alertent sur ces dangers depuis 2011. Après ces révélations, la préfecture du Rhône décide alors d’interdire à Arkema l’utilisation de ces produits en 2024, avec réduction par pallier dès 2023, un calendrier calé sur celui de l’entreprise. Avec une question qui se pose : le traitement de la pollution déjà faite, des perfluorés nocifs et difficilement traitables.
"Le service communication d'Arkema ce sont de grands professionnels. Ils nous faisaient visiter tout Arkema, que tout était bien, qu'ils investissaient des millions et des millions dans la sécurité ... donc je pense que les ouvriers ont beaucoup de mal à faire la part des choses, et puis il y a leur salaire ...", explique une habitante.
Des salariés pris en étau entre leur santé et leur travail, un chantage à l’emploi qui rend la contestation difficile, car Arkema c’est plus de 1000 postes à Pierre-Bénite. Alors rares sont les salariés qui veulent prendre la parole, excepté Roger Tarrago, retraité de l'entreprise : "Les salariés se sont refermés sur eux-mêmes mais je les comprends, ils culpabilisent de se dire qu'ils fabriquent de la merde, puis il y a une énorme pression de l'employeur, avec la peur de perdre leur emploi ou que l'usine ferme." Il a travaillé pendant 38 ans à Arkema, une entreprise au lourd passif, condamnée pour l’amiante en 2005 notamment, et se pose lui-même des questions quant aux raisons de ses problèmes de santé. "Il faudrait qu'il y ait des études de sang ou autre pour établir dans quelles proportions ces produits sont dangereux pour la santé. Car ça donne la possibilité au directeur de dire qu'il respecte la réglementation étant donné que les PFAS ne sont pas réglementés", explique Roger Tarrago.
Jouer sur une réglementation défaillante, tant ce produit est stratégique pour les entreprises. Il facilite la fabrication de produits anti-adhésifs et imperméabilisants, notamment pour les batteries des voitures électriques, un marché conséquent. Une pollution qui vient s’ajouter à d’autres, comme une partie émergée de l’iceberg. Un droit de l’environnement bafoué dans sa globalité, que dénonce Notre affaire à tous. "Ces entreprises sont régulièrement en non-conformité, et est venu s'ajouter le scandale des perfluorés qui sont des pollutions non-réglementées. Donc on se retrouve avec des pollutions réglementées, les entreprises ne respectent déjà pas le droit de l'environnement, alors vous imaginez pour celles qui ne sont pas réglementées ...", explique Camille Panisset, référente locale Notre affaire à Tous Lyon.
Deux recours ont donc été déposés en mai 2022 par Notre affaire à Tous et une association de riverains, afin d’obliger les entreprises à se mettre aux normes. Un problème systémique que dénonce l’avocate, Louise Tschanz : "Ces non-respect du droit de l'environnement sont des infractions pénales. Pourquoi l'administration et pourquoi l'Etat tolèrent ces non-conformités, sans mettre de sanction ? Il y a une pratique de la négociation, et c'est une pratique institutionnalisée."
Dans la vallée de la chimie, les deux référés environnementaux visent deux entreprises, Arkema donc, et Elkem. Ces actions en justice pointent de très nombreuses non-conformités chroniques, très rarement sanctionnées donc. La dréal (direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement), l’autorité déconcentrée de l’Etat pour contrôler ces usines à risque, n’a pas souhaité répondre à nos questions. "La dréal manque cruellement de moyens c'est vrai, mais bizarrement depuis le début de nos référés, il n'y a plus du tout d'inspecteur à Arkema, ça semble incroyable dans ce contexte", ajoute Louise Tschanz.
Stéphanie fait partie des requérantes, elle habite proche de l’usine depuis quinze ans. Maman d’un petit garçon, elle a découvert que son lait maternel était contaminé. "Moi j'ai besoin de savoir que ces résultats vont être pris au sérieux et qu'il y aura une réflexion sur comment ces usines peuvent travailler en respectant l'environnement et notre santé.", explique-t-elle.
Reprendre le contrôle, faire pression sur les industriels et demander des sanctions si nécessaire, ce recours environnemental ferait jurisprudence, pour toute autre pollution en France. Mais une surveillance citoyenne semble aussi nécessaire afin d'anticiper les pollutions en amont, c’est ce que demandent les habitants : la création d’un institut éco-citoyen indépendant, des entreprises et de l’Etat.