Parce qu’il n’est plus possible que seuls “les milieux autorisés” soient autorisés à penser notre monde, ses réalités et ses combats. Cette émission se veut le carrefour des intellectuel·le·s, penseuses·eurs et actrices·eurs des luttes sociales dissident·e·s et/ou invisibilisé·e·s.
Racisme et fascisation en France : comprendre, agir
"Défaire le racisme, affronter le fascisme" : c'est le titre du livre d'entretiens récemment publié aux éditions La Dispute par Ugo Palheta, sociologue, militant, auteur de plusieurs ouvrages sur la menace fasciste aujourd'hui, co-directeur de la revue en ligne "Contretemps", et Omar Slaouti, conseiller municipal à Argenteuil, militant antiraciste, co-directeur de l'ouvrage "Racismes de France" (La Découverte). Julien Théry a reçu les deux auteurs juste avant le premier tour de l'élection présidentielle, pour une discussion qui a encore gagné en actualité avec le passage au second tour (la troisième fois en 20 ans) d'une candidature d'extrême-droite.
Les deux auteurs reprennent des considérations historiques, des mises au points conceptuelles et des analyses sur le formes de lutte récentes données dans leur livre, pour clarifier l'articulation entre développement du racisme et menace fasciste, de manière à mieux réfléchir aux stratégies de résistance. Il est notamment question, au fil de la discussion, des liens historiques et structurels entre capitalisme et racisme ainsi que des racines spécifiquement coloniales du racisme français, en particulier du maintien de l'ordre militarisé dans les banlieues françaises. Ugo Palheta et Omar Slaouti reviennent aussi sur l'écrasante responsabilité de la "gauche de gouvernement" dans le développement en France du racisme, et tout particulièrement de l'islamophobie, depuis le début des années 1980, avec le choix inaugural fait par le premier ministre Pierre Mauroy et les membres de son gouvernement Gaston Deferre et Jean Auroux d'assimiler à un mouvement islamiste, pour mieux la réprimer, la grève des travailleurs immigrés des usines Talbot de Poissy. Depuis les pressions du président Mitterrand pour que la chaîne de Télévision Antenne 2 invite Jean-Marie Le Pen à la télévision, en 1984, jusqu'à l'obsession islamophobe d'un Manuel Valls, la stimulation et l'instrumentalisation du racisme ont été en bonne place dans le répertoire d'action des représentants du parti socialiste (et parfois du parti communiste). Ce sont toujours des pulsions profondes héritées du colonialisme qui ainsi ont été mobilisées, souvent sous les oripeaux progressistes d'un "universalisme" transformé en moyen de domination.
Au boycott par le PS et EELV de la grande manifestation "stop à l'islamophobie" du 10 novembre 2019 (laquelle a été l'un des rares succès du combat antiraciste ces dernières années en réunissant les premiers concernés, en lutte pour la dignité, et une bonne partie de la gauche dont LFI), s'est opposé la participation de Yannick Jadot, d'Olivier Faure et de Fabien Roussel, aux côté d'Eric Zemmour et de Gérald Darmanin, à la manifestation organisée le 19 mai 2021 par le syndicat policier d'extrême-droite Alliance... pour n'exiger rien de moins que la suspension de l'Etat de droit au profit de l'impunité policière dans les banlieues et dans la répression des contestations socio-politiques. On retrouve, en rapprochant ces deux événements, les liens structurels actuellement à l'oeuvre entre consensus raciste et consentement à la fascisation. A quel moment l'augmentation quantitative de l'autoritarisme et des violences d'Etat débouche-t-elle sur le saut qualitatif qui fait passer à un régime fasciste ? A quel moment la montée du racisme d'Etat laisse-t-elle la place à l'établissement d'un Etat raciste ? Les analyses d'Ugo Palheta et d'Omar Slaouti sur ces questions sont évidemment d'une actualité brûlante.