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On sort les dossiers

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Chaque semaine, Fabrice alias le Stagirite porte un regard décalé sur l'actualité et les stratégies de communication des puissants. L'ironie n'empêchant pas l'analyse rigoureuse.

Violences policières : petites avancées dans la bataille médiatique

On se complait souvent dans un pessimisme devant le mur des institutions politiques et du système médiatique. Il peut être bon de donner un exemple de cause qui avance - à petits pas, certes, et du du moins dans l’espace médiatique-, en l'occurence le problème des violences policières.

Le 5 novembre 2020, à l'Assemblée nationale, la commission des lois examinait la loi Sécurité globale. Le rapporteur du texte, Jean-Michel Fauvergue, député LREM déclarait que “l’autorité, l’État en particulier, (…) est en train de perdre la guerre des images”. Selon lui, les caméras-piéton portées par les policiers devraient rééquilibrer les forces dans cette guerre, car elles montreraient ce que les films de passants ne montrent pas : l’avant intervention, ce qui justifie qu’elle ait lieu et qu'elle se passe ainsi.

En effet, ceux qui dénoncent les violences policières sont en train de remporter un certain nombre de batailles sur le plan médiatique. Voyons ce qu’il se produit lorsqu'on parvient à imposer nos cadrages, notre vocabulaire, dans l’espace médiatique, faisant prendre consience à l'opinion publique d'un certain nombre de réalités que le pouvoir préfèrerait garder dans l'ombre.

Le grand entretien animé par Carine Bécard le 21 décembre 2020, dans la matinale de France Inter, est un bon exemple de qui se passe quand le rapport des forces s’équilibre un peu, et que l’interviewer pose les bonnes questions. Il y est question de police, crise de l’institution, perception du public, problèmes de formation, relations avec le ministère. Les invités sont le sociologue spécialiste de la police Fabien Jobard, le gardien de la paix Abdoulaye Kanté, ancien de la BAC, et le Commandant Sabrina Rigollé, secrétaire générale adjointe du Syndicat des Cadres de la Sécurité Intérieure.

Celles et ceux qui ont l'habitude de ce genre d'émission diront que le scénario est prévisible. Tout est en place pour que le point de vue de Fabien Jobard soit écrasé par le “camp du réalisme” : les policiers invités qui “connaissent le terrain”, et l’animatrice appelant à la responsabilité et exhortant à condamner les violences. Pourtant, cela ne va pas se passer ainsi. Car Carine Bécard va accepter de parler de “violences policières”. D’abord sans reprendre l’expression à son compte – en citant un sondage - puis, plus tard, sans guillemets.

Contrairement aux documentaires télévisés à sensation sur les BAC, qui n'interrogent jamais le discours policier classique selon lequel le niveau de violence déployé lors des interventions est strictement proportionné à celui des malfras, ce jour-là sur France Inter, on questionne d'emblée les dérapages. Si bien qu'avant de avant de pouvoir dérouler son narratif, le policier est bien obligé de reconnaître que “c’est vrai, des fois ça dérape”.

Certes, on reste dans un premier temps sur une manière classique d'aborder la question : la journaliste ne va pas plus loin que le cadrage en terme d'abus, de bavures, de brebis galeuses, de pommes pourries dans un panier sain. En revanche, plus tard dans la discussion, elle parle bien "violences policières", et pas seulement de "violences de policiers". C'est donc bien l'institution qui est pointée du doigt.

Il est donc à souligner qu'on a là une journaliste de la matinale la plus écoutée de France qui est en train d’accepter, si ce n'est le fait qu’il y a bien des violences policières, du moins que la question se pose. Première victoire. Et surtout, que la question se pose en ces termes. Deuxième victoire.

D'autant que Carine Bécard n'est pas, loin s'en faut, une journaliste que la macronie risquerait de traiter de “journaliste-militante”.

En l'absence de questions stupides, Fabien Jobard peut donc développer des explications plus intéressantes, pointant l’éloignement entre la police et son environnement de travail, une méconnaissance du quartier et ses habitants qui dégrade la confiance, exacerbe les peurs réciproques, limite les remontées d’informations et entrave l'identification des sources de danger.

Par la suite la journaliste va même, rapport du Défenseur des droits à l’appui, insister sur la réalité des contrôles “au faciès”. Il faut mesurer ici le renversement : auparavant, il fallait batailler pour simplement évoquer la question des contrôles au faciès, qui est ici présentée comme un fait par celle qui anime le débat.

Ce qu'on voit avec l'exemple de cette émission de France Inter, c'est que la présentatrice a intégré des cadres d'analyse qui auparavant ne circulaient que dans la presse alternative.

Comment expliquer ce revirement ? Evidemment, il n'est pas spontané, car malheureusement, les images violentes font rarement scandale par elles-mêmes. Provoquer la prise de conscience dans l'opinion publique demande tout un travail de vérification, de mise en forme, de diffusion. Un travail collectif impliquant reporters indépendants, militants, associations, presse en ligne, mais aussi presse étrangère et institutions internationales qui signalent le problème au gouvernement français, ou encore forces politiques qui poussent la question des violences policières comme problème public.

Bien sûr, le studio de France inter n'est pas le plateau des Grandes Gueules. Néanmoins, il faut noter que depuis quelques mois, on commence à voir les fruits de ce travail de mise en lumière jusque dans les médias mainstream. On rétorquera peut-être qu'il agit là d'un excès d'optimisme. Certes, Carine Bécard est loin de dire que c'est l'institution policière elle-même qui est productrice de violence, ou que les violences policières traduisent l'incapacité du gouvernement à mener une politique légitime, ou encore que la police est le bras armé de la bourgeoisie. Mais l'important, c'est que l'on a réussi, dans le débat public, à déplacer le curseur de "ce que vous dites est absurde" vers "il est raisonnable de le penser, la question se pose", soit, en d'autres termes, à "déplacer la fenêtre d’Overton".

Les choses politiques ne sont pas affaire de tout ou rien : ce n’est pas parce que l’Etat ou la formation politique au pouvoir réagissent peu que les choses n’avancent pas. La bataille médiatique se mène patiemment, sur le long terme ; elle est plus une guerre de position qu'une guerre de mouvement. Continuer ce travail de fourmi, et être attentif à ces micro-déplacements est un bon remède au désespoir. 

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