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Taha Bouhafs, journaliste en procès pour le droit d'informer
Notre confrère Taha Bouhafs, journaliste à Là-bas si j’y suis, comparaissait devant le Tribunal judiciaire de Créteil, accusé d’outrage et de rébellion sur un fonctionnaire de police. En juillet dernier, alors qu’il filme une mobilisation des travailleurs sans papiers de Chronopost, il est arrêté dans l’exercice de ses fonctions. S’ensuivent une garde à vue de 48 heures et 10 jours d’ITT pour une blessure à l’épaule.
« Imaginons un journaliste mis en garde à vue. La police saisit son téléphone sur lequel figure la vidéo de son interpellation, elle décide de rendre in fine le téléphone mais le service des scellés refuse. C’est qui arrive à Taha Bouhafs, et ça s’appelle un abus de pouvoir », s’alarmait hier Jean Tortrat, représentant du SNJ-CGT, reprenant une formule de David Dufresne.
Selon son avocat, les images contenues dans le téléphone mis sous scellé pourraient permettre de l’innocenter. « Depuis le début, il a les images de la scène qui prouvent, selon lui, qu’il est innocent. Malheureusement, le service du parquet a fait en sorte de bloquer le téléphone portable dès le moment de la garde à vue, et a rendu impossible son exploitation », explique Maître Arié Alimi. Alors même qu’une décision de justice ordonne au parquet de restituer le téléphone, le service des scellés refusait de le restituer. « Nous avons déposé plainte, parce qu’il s’agit d’une infraction pénale que de s’opposer à l’exécution d’une décision de justice et d’empêcher la manifestation de la vérité », poursuit l’avocat. « Tant qu’on n’a pas cette vidéo, on ne voit pas comment il est possible de faire une audience et de montrer que Taha n’a ni outragé, ni ne s’est rebellé contre ce fonctionnaire de police ».
Pour un représentant d’Amnesty International, il est clair que le fait de « filmer les agissements de la police, ce qui devrait être tout simplement un droit démocratique, est aujourd’hui sans cesse remis en cause ». « Il n’y a pas d’un côté de vrais journalistes, de l’autre des militants, contrairement à ce que racontent les flics », accusait-il, en référence aux multiples remises en cause de la qualité de journaliste de notre confrère, pourtant dûment rémunéré par une entreprise de presse. « Il y a des journalistes qui militent du côté du pouvoir, des idées de la classe dominante, et il y a ceux qui sont un contre-pouvoir et militent aux côtés des exploités et des opprimés ».
L’audience sera finalement reportée au 3 juillet prochain, a-t-on appris de la présidente, informée de l’ouverture d’une enquête de l’IGPN et de l’existence d’une preuve vidéo pour le moment manquante. « J’ai informé le tribunal que nous envisagions de faire citer directement le fonctionnaire de police pour les violences qu’il a commis contre monsieur Taha Bouhafs », ajoutait Arié Alimi. Pour sa part, Taha Bouhafs a dénoncé « une nouvelle forme d’intimidation » de la part des membres du syndicat de police Alliance, présents au tribunal équipés de leurs armes de service. « Je rappelle qu’ils […] avaient fait un tract me représentant comme un chien avec de la bave, en écrivant « Taha Bouhafs a la rage », et en mettant une cible sur mon dos », précisait le journaliste.
Après de multiples allers et retours dans les sous-sols du tribunal et l’intervention du bâtonnier, le service des scellés restitue enfin le portable. D’après Maître Alimi, le visionnage de la vidéo atteste bien de l’innocence de son client.
Crédit photo : Joel Saget / AFP