Chaque semaine, Serge Faubert raconte l’actualité française à travers le prisme des délibérations au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ce qui perce de l’esprit des lois et de l’équilibre des forces politiques, au-delà du jeu des petites phrases.
Municipales : les élections de la peur
Incertitudes sur la tenue du second tour, prime aux maires sortants et poussée écologiste : le scrutin a été largement influencé par l’épidémie du Covid-19.
Y aura-t-il seulement un second tour ? La perspective d’un confinement général éloigne l’hypothèse. Le gouvernement devrait dire ce qu’il en est dans les heures qui viennent.
Fallait-il, dans ce contexte d’épidémie, convoquer les 47 millions et demi d’électeurs ? La réponse est non, bien sûr. Pour une simple et bonne raison qui n’est pas sanitaire, mais politique : la psychose ambiante a altéré la sincérité du scrutin. À preuve l’abstention record pour ce type de consultation : 56%. Contre 36,45 en 2014.
Selon un sondage IPSOS pour France télévisions, 39% des abstentionnistes ne se sont pas rendus aux urnes par crainte d’être contaminés.
Le chef de l’État avait pourtant envisagé de reporter les élections municipales. Il y a renoncé, notamment en raison de l’hostilité du président du Sénat, Gérard Larcher. Selon le Figaro, ce dernier aurait mis en garde le président en ces termes : « Si vous reportez les élections municipales, alors je dirai publiquement que je suis totalement opposé à ce report ».
Pourquoi cette hostilité ? Parce qu’en septembre, la moitié du Sénat doit être renouvelée. 178 sièges sont à pourvoir. Et les grands électeurs qui vont être appelés à se prononcer sont des conseillers municipaux dans une écrasante proportion. 95% !
Reporter les élections, c’était donc bouleverser par ricochet une seconde consultation.
Mais au moment où Gérard Larcher s’entretient par téléphone, jeudi dernier vers 17 h, avec le chef de l'État, celui-ci n'évoque pas de passage au stade 3 ni de mesure de confinement généralisé.
Dans un communiqué publié hier soir, Larcher indique que « Si ce passage au stade 3 avait été décidé, ma position aurait été différente ». Fin de la polémique, donc.
Reste maintenant à savoir s’il est possible de reporter le second tour.
Yannick Jadot l’a expressément demandé. Et Marine Le Pen considère que la décision est acquise. Anne Hidalgo y est favorable. Comme six présidents de région. Ou encore le député France insoumise François Ruffin.
Mais repousser le second tour n’est pas si simple. Le code électoral est formel : l’article L 56 précise qu’en « en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour ».
Si le deuxième tour est reporté, il faudra alors recommencer toute la consultation, c’est-à-dire refaire un premier tour.
Ce n’est pas tout. Le mandat des conseillers municipaux sortant expire le 31 mars. Dans cette hypothèse, il faudrait que le parlement vote une loi dans la semaine pour prolonger le mandat en question. Pas simple. Car les séances ne reprennent normalement qu’après le 22 mars. Et, par ailleurs, l’Assemblée s’est révélée être un foyer d’infection.
Reste enfin le cas des candidats élus dès le premier tour. La plupart des constitutionnalistes s’accordent à dire que le processus électoral étant terminé, l’élection est validée.
Seconde conséquence de ce qu’il faut bien appeler un vote de la peur : le réflexe légitimiste. Les électeurs qui se sont déplacés ont privilégié la stabilité plutôt que l’expression protestataire ou un quelconque dégagisme.
À Toulon, c’est le maire sortant LR Hubert Falco qui est reconduit pour la 4e fois avec plus de 60% des voix au 1er tour.
À Nice, Christian Estrosi frôle la réélection avec 47,6%.
À Lens, le socialiste Sylvain Robert, contre toute attente, a été réélu dès le premier tour avec 55% des voix.
Situation identique à Tourcoing avec Gérald Darmanin, le ministre du budget et à Coulommiers avec Franck Riester, le ministre de la culture.
À Meaux, Jean-François Copé est réélu avec 76% des voix.
Même le RN bénéficie de cette prime au sortant.
À Fréjus, David Rachline a été réélu au premier tour. Comme Julien Sanchez à Beaucaire. Ou Steve Briois à Hénin-Beaumont. Et même Robert Ménard à Béziers avec 69% des voix, bien qu’il n’ait pas eu, cette fois le soutien du RN.
À Nantes, la maire sortante PS Johanna Rolland est largement en tête. Comme l’écologiste Éric Piolle à Grenoble, que l’on disait menacé. On peut également citer François Bayrou à Pau ou même Édouard Philippe au Havre – ce dernier pourrait cependant être battu si ses adversaires se rassemblent derrière le communiste Jean-Paul Lecoq.
À Paris, Anne Hidalgo que l’on donnait au coude à coude avec Rachida Dati est en tête, distançant cette dernière de 8 points.
Bref, tout se passe comme si les électeurs avaient voulu geler la carte électorale.
Il est significatif, par exemple, que tous les espoirs de conquête du RN se soient envolés.
À Denain, le porte-parole du mouvement, Sébastien Chenu, échoue devant la maire sortante, la socialiste Anne Lise Dufour-Tonini. Celle-ci a été reconduite dès le premier tour avec 57,10% des voix.
Échec également à Calais , ville que le RN comptait bien ravir à la droite.
Certes, à Perpignan, la plus grosse ville briguée par le RN, Louis Alliot arrive en tête avec 35,65% des voix. Mais le jeu reste ouvert. Le candidat RN n’améliore son score que d’un point et demi par rapport à 2014.
La seule surprise de ce scrutin reste la poussée écologiste. La dimension apocalyptique du moment – conjugaison d’une crise sanitaire avec une crise environnementale, sociale et financière - n’y est sans doute pas étrangère.
Ainsi à Lyon, Grégory Doucet (EELV) est en tête avec 28,46 % des voix. Dans la ville, Yann Cucherat, le successeur désigné de Gérard Collomb est arrivé en 3e position. Candidat à la présidence de la métropole, ce dernier voit désormais cette perspective s’éloigner.
À Strasbourg, c’est Jeanne Barseghian qui devance de 8 points son adversaire Alain Fontanel (LREM), pourtant soutenu par le maire sortant.
À Bordeaux, l’écologiste Pierre Hurmic fait jeu égal avec le maire sortant, Nicolas Florian qui avait succédé à Alain Juppé voici un an. À 96 voix près, l’écologiste était en tête.
À Toulouse, si le maire sortant Jean-Luc Moudenc (LR, soutenu par LaREM) arrive en tête, il pourrait bien être battu au second tour par un candidat écologiste, Antoine Maurice, soutenu par EELV, la FI et des dissidents du PS. Le réservoir des voix à gauche lui donne la victoire sur le papier.
Enfin, à Marseille, la liste de rassemblement de la gauche conduite par l’écologiste Michèle Rubirola devance celle de la LR Martine Vassal, pourtant soutenue par Jean-Claude Gaudin.
La République en marche est la grande perdante de ce scrutin. Le parti du président de la République se retrouve en 3e position à Lille, Rennes, Rouen, Besançon, Bordeaux, Lyon et même en 4e position à Perpignan. À Limoges, il est éliminé.
À Paris, Agnès Buzyn est en 3e position. Elle appelle au rassemblement.
Mais même si Cédric Villani lui apporte ses voix, Agnès Buzyn restera derrière Anne Hidalgo. Car Rachida Dati ne compte certainement pas se désister en sa faveur.
Ces élections municipales ont été terrassées par le virus. Elles ne reflètent que l’angoisse légitime du pays devant un mal invisible. Raison de plus de les reporter à des jours meilleurs. Il en va de la santé de notre démocratie locale.