Chaque semaine, Fabrice alias le Stagirite porte un regard décalé sur l'actualité et les stratégies de communication des puissants. L'ironie n'empêchant pas l'analyse rigoureuse.
L'effrayante montée du terrorisme d'extrême-droite
Le 28 novembre, dans petit village de Koshobe, au Nord-Est du Nigeria, des combattants de Boko Haram débarquent à moto et massacrent hommes et femmes, principalement ouvriers agricoles, qui travaillaient dans une rizière. On compte au moins 110 morts. Ce massacre témoigne du tragique bond de l'activité terroriste djihadiste en Afrique subsaharienne.
C'est la première tendance que pointe le rapport Index Global du Terrorisme 2020 (GTI) publié le 25 novembre dernier par le think tank australien Institut pour l’économie et la paix (IEP). La deuxième tendance qu’indique ce rapport est l'inquiétante montée du terrorisme d'extrême droite en Occident, qui a plus que triplé en 5 ans.
Se livrer à des décomptes et des comparaisons entre victimes du terrorisme pourrait ressembler à une compétition scabreuse qui fait le jeu des terroristes, alors qu'évidemment le malheur est le même partout. Néanmoins pour connaître l’ampleur des menaces et des dynamiques il faut objectiver et contextualiser le phénomène en s'appuyant sur des données. Cette démarche est importante pour échapper aux discours dictés par des agendas politiciens, ou des sondages jouant sur les émotions.
Commençons par le 1er enseignement du rapport : le nombre de morts du terrorisme dans le monde est en baisse pour la 5e année consécutive, avec 13 826 morts en 2019. Ensuite, le terrorisme est très largement islamiste, enfin il tue surtout des musulmans, et essentiellement dans des pays qui sont déjà des zones de conflits. La plus grande partie des morts du terrorisme est due aux Talibans (40% des victimes) et à l’Etat Islamique, qui frappe désormais davantage en Afrique subsaharienne.
Depuis le 11 septembre 2001 nous avons presque fini par confondre les mots “terrorisme” et “djihadisme”. Pourtant le terrorisme, qui est une technique de pression, et non une idéologie, peut être utilisé par divers camps politiques ou courants religieux.
En l'occurence, en se focalisant sur le terrorisme qui frappe le monde occidental (Amérique du nord, Europe de l'Ouest, Australie, Nouvelle-Zélande), le rapport GTI met en évidence une tendance spécifique : au total, 89 des 108 morts du terrorisme en Occident en 2019 sont attribuables à l'extrême droite (p 60).
Il est plus difficile d’apercevoir cette menace depuis le contexte francais, puisqu'on a été frappé par les attentats islamistes des années 90, la vague des années 2010, particulièrement les carnages de 2015 et 2016 et encore récemment les attentats de Conflans-St-Honorine et Nice.
Pourtant un autre terrorisme de masse, d'extrême droite, s'est répandu à l’échelle de la planète : en témoignent l'attentat contre une synagogue de Pittsburg aux USA en octobre 2018 (11 morts), l’attaque contre deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande en mars 2019 (51 morts) elle-même inspirée par les attentats d’Oslo et Utøya en Norvège en juillet 2011 (77 morts), la tuerie anti-mexicaine d’El Paso au Texas en août 2019 (23 morts).
Dans ce sillage, début avril 2020, le Comité contre le terrorisme de l'ONU (Counter-Terrorism Committee Executive Directorate - CTED) lance une alerte très claire : «Les États membres sont préoccupés par la menace croissante et de plus en plus transnationale du terrorisme d'extrême droite.»
Actuellement c'est aux Etats-Unis que le terrorisme d’extrême droite est le plus fréquent et le plus mortel (GTI fig. 4.10). Durant la décennie 2010-2019, 76% des personnes tuées aux États-Unis lors d'attentats ont été victimes de terroristes d'extrême droite (330 vicimes) selon l'Anti-Defamation League (ADL).
Jusqu'à récemment, les motifs étaient principalement très spécifiques aux USA : Ku Klux Klan, nostalgie de l’esclavage, culture des milices anti-fédérales, groupes anti-avortement. Mais l'on voit désormais des hybridations et des déplacements idéologiques qui convergent vers une harmonisation internationale autour de la théorie du complot du Grand remplacement. Le tueur d'El Paso, par exemple, adhérait à cette théorie. Dans les attaques contre les synagogues de Pittsburgh et de Poway, les tueurs visaient les juifs non seulement par pur antisémitisme, mais aussi en les accusant d'organiser un génocide des blancs ou l'invasion migratoire des Etats-Unis.
C'est précisément cette harmonisation idéologique internationale qui inquiète l'ONU. Le CTED craint la constitution de groupes paramilitaires aux intentions terroristes, mais surtout le passage à l'acte de tueurs solitaires, motivés idéologiquement par une communauté internationale numérique. Le rapport de l'ONU souligne l'importance des convictions misogynes et antiféministes dans ce cocktail idéologique (p. 5). Discours antiféministe et misogynie sont en effet récurrents dans les justifications que ces terroristes donnent à leurs actes, tels les auteurs des attentats de Christchurch et Halle (Allemagne).
Des attentats d'extrême droite ont même été explicitement perpétrés au nom de ce motif par la mouvance “incel”, des hommes revendiquant une idéologie misogyne et mettant en avant leur frustration sexuelle. C'est le cas de ces deux attaques à Toronto, Canada, l'une en avril 2018 à la voiture bélier (10 morts) et l'autre en février 2020 à la machette (1 mort). Il est curieux qu'alors que les deux attaques surviennent dans un même contexte, avec le même genre de motivations, seule la seconde a été reconnue par le Canada comme attentat terroriste.
Ces derniers exemples illustrent la difficulté de tenir une comptabilité exacte des attaques terroristes d’extrême droite. Il semble qu’une partie significative d'entre elles ne soient pas considérées comme terroristes par les Etats. Or la méthodologie de tous les rapports internationaux est fondée sur ce que les Etats comptabilisent eux-mêmes comme terrorisme. Le rapport de l'ONU insiste d'ailleurs sur ce problème : “Leurs actes violents sont considérés comme des incidents isolés ou spontanés et sont souvent traités dans les enquêtes et procédures judiciaires comme des crimes de haine plutôt que des actes terroristes.”
Le rapport 2020 d'Europol sur le terrorisme dans l'Union européenne (Europol EU Terrorism Situation & Trend Report) fait le même constat et donne les exemples allemands de l'assassinat du préfet Walter Lübcke en juin 2019 et l'attaque de Halle en raison de particularités techniques du droit allemand (p.66). Sont aussi citées les attaques contre les mosquées de Brest en juin 2019 et de Bayonne en octobre 2019, considérées comme des actes commis par des déséquilibrés, non des terroristes par les autorités françaises.
En France la menace d'actes violents d'extrême droite est bien là. Les renseignements Français surveillent un noyau dur d’ultra de 1000 individus auquel s'ajoute un cercle de 1000 ou 2000 sympathisants radicaux.
Quantitativement, on recense peu de passages à l'acte terroristes réussis. Mais en plus des attaques non comptabilisées comme attaques terroristes, on note un certain nombres d'attentats déjoués.
Ce pourrait être autant de précurseurs en France d'une tendance à l'oeuvre dans tout l'Occident. Le bouillonnement de l'activité, ainsi que sa dangerosité potentielle font dire aux experts internationaux que la menace terroriste d'extrême droite dans l'Occident est réelle.
Selon le GTI, entre 2002 et 2019, les incidents terroristes islamistes faisaient 4,49 morts par incident. À titre de comparaison, l'extrême droite cause 5 fois moins de morts par incident, alors que l'extrême gauche en cause 40 fois moins par incident. Au total en occident, il y a eu 1215 mort du terrorisme sur cette période. Le djihadisme est responsable de la plupart des victimes : 814 morts, suivi par l'extrême droite : 286 morts. Le reste des victimes, 115 morts, est principalement imputable à des attaques de mouvements indépendantistes-séparatismes.
Le djihadisme est donc la première menace, loin devant les autres. Mais la menace suivante est clairement l'extrême droite, largement devant tout le reste.