Henri Sterdyniak, signataire du manifeste des économistes atterrés, dissèque les choix économiques des gouvernants, débusque la propagande néolibérale et dévoile la logique prédatrice des multinationales.
Le gouvernement abandonne les smicards
Comme chaque année depuis 2008, le groupe d’experts prétendus indépendants a rendu début décembre son rapport dans lequel il recommande au gouvernement de ne pas donner de coup de pouce au SMIC, de s’en tenir à la revalorisation automatique, soit l’inflation et la moitié de la hausse du pouvoir d’achat du salaire horaire des ouvriers et employés. Nous pouvons vous donner une information exclusive : ce groupe fera la même recommandation en décembre 2020, en décembre 2021 et tant qu’il existera, dans sa composition actuelle c’est-à-dire sans le moindre pluralisme.
Pire, ce brillant aéropage demande régulièrement que soit supprimée la revalorisation automatique du pouvoir d’achat du SMIC et même son indexation sur l’inflation. C’est le gouvernement qui choisirait arbitrairement d’augmenter le SMIC, comme il le fait pour l’indice des traitements la fonction publique qui a perdu 19% de pouvoir d’achat depuis 2000. Déjà, depuis 2007, le SMIC a déjà perdu 5% par rapport au salaire horaire moyen. La plupart des pays développés ont aujourd’hui un salaire minimum. Celui-ci valorise le travail en lui donnant un prix minimal ; il contribue à assurer un niveau de vie minimal à tous les salariés et à leur famille ; il limite la concurrence des entreprises par les bas salaires ; il contribue à décourager l’emploi de travailleurs détachés.
La France peut-elle baisser son SMIC après avoir préconisé que tous les pays de l’UE adoptent un salaire minimum égal à 60% du salaire médian ? Le SMIC français, à 10 euros de l’heure, n’est pas à un niveau extravagant. Le salaire minimum est de 9,45 euros en Grande-Bretagne mais les conservateurs se sont engagés à le passer à 12,6 euros à terme.
Pour ces experts, le haut niveau du SMIC serait un frein à l’emploi des salariés dit non-qualifiés. Depuis 1993, cette thèse a incité les gouvernements successifs à mettre en place des exonérations de cotisations employeurs sur les bas-salaires qui sont devenues de plus en plus importantes. En 2019, elles représentent plus de 40 points de réduction au niveau du SMIC et un coût de 57 milliards. Ces exonérations fragilisent le financement de la Sécurité sociale. Elles incitent les entreprises à créer une catégorie spécifique d’emploi au SMIC, souvent à temps partiel, souvent précaires, sans perspective de promotion, coincés dans une trappe à bas salaires. Elles favorisent les entreprises à bas salaires au détriment de celles qui font des efforts pour payer et promouvoir leur personnel. Les emplois créés ne correspondent pas à la qualification croissante des jeunes.
Une deuxième thèse est que les travailleurs dit non-qualifiés refusent prendre les nombreux emplois disponibles car l’écart entre le RSA et les prestations chômage d’un côté et les revenus du travail de l’autre, n’est pas assez grand. Les experts officiels soutiennent donc les mesures iniques de baisse des allocations chômage des précaires. Ils proposent la hausse de la prime d’activité, puisque celle-ci est à la charge de l’État et non des entreprises. Selon eux, « une hausse de la prime d’activité contribue davantage à réduire la pauvreté qu’un relèvement du Smic ». Mais, la prime d’activité est une prestation d’assistance, alors que le Smic est un salaire. Le SMIC reconnaît la valeur du travail, la contribution du travailleur à la production. Il donne droit à des prestations retraite et chômage. Beaucoup de femmes n’ont pas droit à la prime d’activité en raison du salaire de leur conjoint. Les Smicards perdent la prime d’activité quand ils deviennent chômeurs, ce qui plongent leur famille dans la pauvreté. La prime d’activité est remise en cause par le projet d’un Revenu Universel d’activité, soumis à un contrôle de recherche d’activité, comme si les salariés payés au SMIC pouvaient choisir de travailler plus. Ils n’ont pas besoin de plus de contrôle, mais aussi de mesures fortes contre les contrats précaires, la sous-traitance, les temps partiels subis. Par ailleurs, la meilleure mesure contre la pauvreté serait la hausse du RSA, que les experts refusent pour maintenir l’écart entre le RSA et le SMIC.
Les experts ont trouvé un nouvel argument : le ralentissement de la croissance mondiale. Pourtant, dans cette conjoncture il faut plutôt soutenir la demande, donner du pouvoir d’achat aux ménages que l’inverse. Les entreprises exportatrices ne paient généralement pas leurs salariés au Smic, qui concerne surtout les secteurs du service à la personne, des hôtels-cafés-restaurant, du nettoyage, de la grande distribution.
Début 2020, les experts seront entendus. Le gouvernement ne donnera pas de coup de pouce au SMIC. Quelle belle victoire ! Tant pis pour les smicards.