Chaque semaine, Serge Faubert raconte l’actualité française à travers le prisme des délibérations au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ce qui perce de l’esprit des lois et de l’équilibre des forces politiques, au-delà du jeu des petites phrases.
Guerre de tranchées à l'Assemblée
Le débat sur la réforme des retraites en est à son 3e jour et les députés abordent seulement l’article 1. Rappels au règlement et suspension de séance s’enchaînent tandis que volent les noms d’oiseaux. Il serait étonnant que trois semaines suffisent pour examiner le projet de loi.
La guerre a donc commencé dans l’hémicycle. Et, au fond, quoi de plus normal. La représentation nationale n’est-elle pas, par définition, le mode d’expression et de résolution des conflits qui traversent la société.
Du côté de l’opposition, on a sorti la carte des motions de rejet préalable et motion référendaire. Sans succès. La majorité, elle, a appliqué à la lettre le nouveau règlement de l’Assemblée nationale.
Ainsi, hier, son président, Richard Ferrand, a écarté 1184 amendements déposés par le groupe communiste. Au motif que ceux-ci présentaient le même dispositif, c’est-à-dire le même contenu et le même exposé sommaire.
En avait-il le droit ? Les oppositions l’ont contesté. Résultat, la séance a donné lieu à une cascade de rappels au règlement entrecoupés de suspensions de séance.
Comme si l’atmosphère de cette journée ne s’annonçait pas assez tendue, le ministre de l’Intérieur a cru bon d’allumer une seconde mèche, hier matin sur France inter. Il s’en est pris à Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, qui avait commenté l’affaire Griveaux. Le responsable socialiste a répliqué en demandant que le chef de l’État convoque son ministre.
Hier soir, les députés abordaient à peine l’article 1. Après trois jours de débat !
Il reste encore 64 articles et plus de 39 000 amendements à examiner. Du coup,
L’Assemblée a prévu de siéger jusqu’au 6 mars, tous les jours, week-end compris.
Du côté du gouvernement, on réfléchit désormais à deux hypothèses.
Le recours à l’article 44.3 de la Constitution qui permet un vote bloqué sur une partie du texte.
Ce serait en quelque sorte la dernière sommation avant l’emploi de l’arme atomique, l’article 49.3.
Cet article 49.3 permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur le projet de loi qui est alors adopté. Sauf si une motion de censure est votée dans les 24 heures. Au regard du rapport de force dans l’hémicycle, cette hypothèse est hautement improbable.
La porte-parole du gouvernement jure que ce n’est pas à l’ordre du jour. Comme le nouveau ministre de la santé Olivier Véran.
Un jeu de posture en réalité. La majorité sait parfaitement que le recours à l’article 49.3 serait perçu, à ce stade de la discussion, comme un coup de force.
Il lui faut faire la démonstration devant l’opinion que l’opposition refuse le débat. Et donc laisser celui-ci se poursuivre jusqu’au moment où le blocage sera total.
Mais cela a un prix.
Car chaque jour qui passe est l’occasion pour l’opposition de marteler ses arguments sur le financement, les biais de l’étude d’impact et la baisse des pensions à terme.
Dans ce contexte, les aventures cinématographiques du zizi de Benjamin Griveaux appartiennent déjà au passé pour la plupart des députés. Nonobstant l’épisode Castaner Faure, bien sûr.
Avant de poursuivre, rappelons que ce qui se passe entre deux adultes consentants dans une chambre à coucher, celle-ci fut-elle prolongée numériquement par le biais d’un smartphone, ne regarde qu’eux.
Rappelons également qu’on attend d’un élu qu’il tienne ses engagements et qu’il respecte la loi commune, pas qu’il soit un prix de vertu, n’en déplaise à ceux qui prétendent jouer les justiciers des alcôves.
En revanche, on peut estimer très imprudent de filmer son sexe lorsqu’on est aussi exposé médiatiquement. Qu’un politique prenne ce risque témoigne de son manque de maturité.
Bref, la démission de Griveaux a davantage bouleversé les médias que la représentation nationale. Peut-être, parce que l’ancien porte-parole du gouvernement mettait rarement les pieds à l’Assemblée. Peut-être aussi parce que sa campagne électorale à Paris était déjà inscrite dans la colonne des profits et pertes.
Quoi qu’il en soit, la majorité ne jure plus que par sa remplaçante, Agnès Buzyn.
Et même si elle perd l’élection, c’est tout bénéfice. Car on attribuera l’échec à Griveaux. Ce qui permettra à la République en marche de faire bonne figure au soir des élections. Et d’assurer que les électeurs n’ont pas sanctionné les candidats du pouvoir.
Pourtant, les stratèges de la majorité ne désespèrent pas de rallier Cédric Villani au panache immaculé de leur nouvelle candidate.
Mais l’homme à l’araignée a posé ses conditions : il veut un plan d'investissements de 5 milliards pour le climat, l'agrandissement de Paris et le tirage au sort de certains élus parmi la population. Surtout, il réclame un accord de second tour avec les Verts.
Ce qui fait beaucoup pour l’ancienne ministre de la santé.
Pour le moment, ce désordre bénéficie à Rachida Dati, la candidate de la droite qui est désormais en tête dans les sondages. Au premier tour, s’entend. Car au second, c’est Anne Hidalgo qui l’emporterait.
À l’Élysée, on s’est dit qu’il était urgent d’ouvrir une nouvelle séquence. Une séquence régalienne qui détournerait l’attention de l’opinion du bourbier des retraites et du Trafalgar électoral qui s’annonce pour les marcheurs.
Mardi, Emmanuel Macron s’en est donc allé à Mulhouse pour parler de… l’Islam. Étonnant, non ?
Si cette prise de parole présidentielle avait vocation à séduire l’électorat de droite, c’est raté.
Prise pendant ce déplacement, la photo d’une femme intégralement voilée à quelques centimètres du président est venue ruiner l’opération de communication. Depuis 2010, la loi interdit en effet de se masquer le visage.
À la décharge du chef de l’État, il faut souligner que cette femme, dans un premier temps, s’était approchée visage dévoilé dans un premier temps. Elle a même fait un selfie avec le chef de l’État. Une provocation ?
Toujours est-il que la mouvance identitaire et les responsables du Printemps républicain se sont empressés de faire circuler le cliché de la jeune femme dans sa version voile intégral. Bientôt repris par l’hebdomadaire Valeurs actuelles, mais aussi d’autres médias comme la Dépêche du midi.
L’exécutif est à la peine. Comme au plus fort du mouvement des Gilets Jaunes. Certes, les institutions lui donnent l’avantage. Mais son intransigeance hypothèque chaque jour un peu plus son crédit dans l’opinion.