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Faut-il détester les intellos ? | Sarah Al-Matary
Julien Théry a reçu Sarah Al-Matary, historienne de la littérature, maîtresse de conférences à l’université Lumière Lyon 2, pour son essai intitulé « La haine des clercs, l'anti-intellectualisme en France » (Le Seuil).
Surprise, à la lecture du livre de Sarah Al-Matary : l'anti-intellectualisme est loin d'être seulement le fait de la droite et des milieux bourgeois ou conservateurs depuis le XIXe siècle. Il y a aussi une importante – et sans doute plus intéressante ! – tradition d'anti-intellectualisme à la gauche de la gauche, avec la conscience, dans le mouvement socialiste et ouvrier, que la division des tâches qui abandonne aux intellectuels celle de dire et penser les choses, celle d'être porte-parole, a pour conséquence leur domination sur les autres, rélégués dans la passivité. La maîtrise du savoir et du discours induit un pouvoir : pas plus que le second, les premiers ne peuvent se déléguer intégralement sans la perte de l'autonomie. Beaucoup d'intellectuels de gauche, à commence par Proudhon ou Zola, ont développé des formes d'anti-intellectualisme, parce que l'émancipation implique pour chacun d'être à soi-même son propre intellectuel et parce que l'intellectualisme empêche de saisir de très vastes pans de l'existence individuelle et sociale. C'est ainsi qu'il faut comprendre la méfiance des #giletsjaunes à l'égard des intellectuels, les entreprises d'auto-éducation populaire lancées parmi eux, et le refus d'un intellectuel de gauche comme Jacques Rancière, favorable aux gilets jaunes, de se poser en figure ou maître à penser du mouvement.