Henri Sterdyniak, signataire du manifeste des économistes atterrés, dissèque les choix économiques des gouvernants, débusque la propagande néolibérale et dévoile la logique prédatrice des multinationales.
Orgie fiscale des multinationales : mode d'emploi
Dans son projet de budget 2020, le gouvernement persiste dans l’objectif fixé par Emmanuel Macron : faire baisser progressivement le taux de l’impôt sur les sociétés de 34,3 % à 25%, soit une réduction d’impôt de 14 milliards au profit des grandes entreprises.
La concurrence fiscale est une tendance générale dans les pays industrialisés : pour attirer les grandes entreprises, tous les pays baissent, chacun leur tour, leur taux d’imposition. A la fin, tous s’aligneront sur le taux le plus bas, celui de l’Irlande, 12,5%. Tant pis pour les recettes publiques ; tant mieux pour les grandes entreprises et leurs actionnaires.
Pourtant, il est légitime que les grandes entreprises qui bénéficient des dépenses publiques, infrastructures, sécurité, éducation et santé de leur personnel, financent ces dépenses publiques. Ces grandes entreprises sont aujourd’hui plus riches que les États, pensez à Google, à Facebook, à Amazon, à LVMH. Elles peuvent financer et orienter l’éducation, la culture, la presse, la recherche scientifique et médicale, ceci sans contrôle démocratique. Elles peuvent se payer des armées de lobbyistes et d’avocats. Au lieu de contribuer aux dépenses publiques, elles paient grassement des fiscalistes pour échapper à l’impôt. En fait, elles ont toutes une seconde activité, l’optimisation fiscale, c’est-à-dire la fraude fiscale.
Pour cela, elles s’appuient sur des paradis fiscaux, des pays où les taux d’imposition des profits sont très faibles comme l’Irlande, la Suisse, les Iles anglo-Normandes, les Iles Caïman ou les Bermudes. Elles profitent des failles de la législation de pays européens comme les Pays-Bas, le Belgique, le Luxembourg. Elles profitent de l’indulgence des fiscs de ces pays qui leur accordent clandestinement des rescrits, c’est-à-dire l’autorisation de faire des montages compliqués pour échapper à l’impôt. Ces pays organisent des trous dans leurs législations pour faciliter l’évasion fiscale et attirer ainsi les multinationales. Ainsi, Apple a bénéficié de réductions d’impôt de 13 milliards de la part de l’Irlande, qu’il a été condamné à rembourser, mais l’Irlande refuse ce remboursement pour montrer qu’elle entend un paradis fiscal.
Comment font les grandes entreprises multinationales pour échapper à l’impôt ? Le principe est de localiser tous leurs profits dans un paradis fiscal où les taux d’imposition sont très faibles ou même nul. Ainsi, une entreprise comme Starbucks France déclarer acheter son café à une branche de Starbucks située au Pays-Bas qui elle-même se fournit en Suisse à un prix excessif ; elle verse des redevances fabuleuses à des sociétés situées au Pays-Bas pour avoir le droit d’utiliser le nom, la décoration et même les recettes Starbucks, même si ces recettes sont banales ; Starbucks France s’endette à un taux excessif auprès d’une filiale bancaire néerlandaise de Starbucks. Ainsi, l’entreprise française est toujours en déficit , ne paie pas d’impôt en France ; son profit est prétendu réalisé au Pays-Bas et en Suisse, qui lui permettent de les transférer sans guère payer d’impôt en Irlande puis aux Bermudes. Cela permet à Starbucks de concurrencer le café du coin, qui lui paie tous ses impôts.
Ainsi, Jersey est devenu un des premiers exportateurs mondiaux de banane, sans que jamais aucune banane n’y pousse, ni même y transite, de sorte que les profits des négociants européens de banane sont réalisés sur cette île où le taux de l’IS est nul. Ainsi, les entreprises internet n’ont aucune filiale en France, ce qui leur permet d’établir des factures irlandaises et de payer (ou plutôt de pas payer) leurs impôts en Irlande.
On estime que 40% des profits des multinationales sont accumulés dans des paradis fiscaux, que ces pratiques d’optimisation fiscale font perdre chaque année 13milliards de ressources au budget français, soit de quoi doubler le RSA et d’embaucher 100 000 soignantes dans les EPHAD.
Comment lutter contre ces pratiques ? Chacun doit éviter, dans la mesure du possible, de faire des achats à des entreprises qui ne paient pas correctement leurs impôts en France, éviter Starbucks ou Amazon. Les citoyens européens doivent exiger que l’Europe prenne des mesures de rétorsion contre les pays complices en Europe même, l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg.
La France et l’Europe devraient dresser une liste sérieuse des paradis fiscaux, y inclure tous les pays où le taux de l’IS est inférieur à 25%, et interdire aux banques et entreprises européennes d’y transférer des profits. Enfin, il faut imposer aux entreprises multinationales de déclarer en France une part de leurs profits correspondant à leur activités en France.