Henri Sterdyniak, signataire du manifeste des économistes atterrés, dissèque les choix économiques des gouvernants, débusque la propagande néolibérale et dévoile la logique prédatrice des multinationales.
Les actionnaires et le pillage de la richesse
Les conditions de travail dans les entreprises absentes du Grand Débat National ? Pour l'économiste atterré Henri Sterdyniak, il faudrait remettre en cause leur gestion et leurs objectifs, qui doivent être orientés vers le bien commun. Un nouvel épisode de la Chronique Éco.
Beaucoup des problèmes de notre société proviennent de choix faits au niveau des entreprises. Celles-ci répercutent sur les salariés les exigences de rentabilité des marchés financiers, en profitant de rapports de force déséquilibrés par le chômage de masse, les menaces de délocalisation et les facilités fournies par les lois Travail. Or les entreprises sont les grandes oubliées du débat national. La priorité devrait être de remettre en cause la façon dont les entreprises sont actuellement gérées - c’est-à-dire dans l’objectif de créer de valeur pour les actionnaires - et de se battre pour qu’elles prennent en compte les besoins de leurs salariés et surtout les besoins sociaux.. Les contrats à durée déterminée représentent encore 88 % des emplois, mais 87 % des embauches se font désormais en contrats à durée déterminée, pour une période de plus en plus courte. Les emplois atypiques (CDD, intérim, temps partiel) se développent dans beaucoup de secteurs. Un tiers des femmes salariées travaillent à temps partiel, le plus souvent subi. Ces emplois sont synonymes de revenus insuffisants, d’horaires morcelés et variables, de précarité. Il faudrait appliquer effectivement la loi interdisant de pourvoir en intérim ou en CDD un poste lié à l’activité normale de l’entreprise ; il faudrait permettre aux salariés qui le souhaitent de passer à temps plein, supprimer les dérogations aux 24 heures minimales pour un emploi à temps partiel ; il faudrait frapper de surcotisations les employeurs abusant des contrats courts. De nombreuses entreprises imposent à leurs salariés d'endosser le statut d’auto-entrepreneurs, de sorte qu’elles n’ont pas à respecter le smic, à verser des cotisations sociales ou à respecter le droit du travail. Dans tous les secteurs, les faux entrepreneurs indépendants devraient être requalifiés en salariés. Les conditions de travail se sont dégradées depuis plus de 20 ans. Les grandes entreprises sous-traitent une grande partie de leurs activités à des petites entreprises, qui font travailler leurs salariés sous une pression accrue, pour des salaires plus faibles, sans les avantages sociaux dont bénéficient les salariés des entreprises donneuses d’ordre. Dans de nombreux cas, le travail à temps prédéterminé permet de tourner le SMIC : la salariée est payée pour 2 heures alors qu’il lui en faut 3 en réalité pour effectuer la tache requise. Dans les EPHAD, les soignantes ne disposent du temps nécessaire pour s’occuper correctement des personnes âgées dépendantes. Les négociations dans les branches et les entreprises devraient viser la résorption de la sous-traitance, la réduction des cadences et l’amélioration des conditions de travail. Dans les grandes entreprises, les conseils d’administration poursuivent des objectifs de rentabilité financière et des objectifs productivistes, qui ne tiennent pas compte des exigences de la transition écologique. Les entreprises font ainsi des choix catastrophiques. Les banques ont ainsi choisi de se développer sur les marchés financiers, plutôt que dans la distribution de crédit aux entreprises productrices. Certaines entreprises automobiles ont choisi de tricher avec les tests d’homologation. L’industrie agro-alimentaire produit des aliments de mauvaise qualité, surchargés de sel, de sucre ou d’additifs chimiques. Les entreprises réduisent la durée de vie de leurs produits, soit par l’obsolescence accélérée, soit par des effets de mode. Des emplois inutiles mais bien rémunérés se développent : des services pour organiser l’optimisation fiscale ; le marketing et la publicité pour développer de faux besoins. Les inégalités de statut et de revenu explosent au sein des entreprises, entre les salariés précaires et les hauts dirigeants, qui s’octroient des salaires extravagants, des primes de résultats, des stocks options et des retraites-chapeaux. Les dirigeants d’entreprises sont ainsi grassement rémunérés pour servir les actionnaires, pour leur verser des dividendes exorbitants. Les clients, les salariés, la société civile doivent pouvoir peser sur les décisions des grandes entreprises, imposer qu’elles tiennent compte du bien commun. Les salariés doivent pouvoir intervenir dans des conseils d’ateliers et d’usines. Pour réduire le poids des actionnaires dans les conseils d’administration, il faut y faire entrer plus de représentants des salariés et des représentants des intérêts de la société civile. Réduire les inégalités de revenu et engager la transition écologique ne peut passer seulement par l’État et la fiscalité : ce doit être l’affaire du combat dans les entreprises.