Pour les confinés de la rue, la détresse et l'incertitude
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Depuis le début de la crise sanitaire, les sans-abris sont les grands oubliés de ce confinement historique. Depuis cinq jours, associations et bénévoles tentent par tous les moyens d’aider ceux qui vivent dans la rue. L’État arrive à la rescousse, mais semble se reposer sur le tissu associatif, très largement diminué par les mesures d'isolement. Une situation catastrophique qui révèle l’abandon des plus précaires par les pouvoirs publics.
Dans les rues vides de Paris, le COVID-19 a fait émerger une question qui serait presque absurde si elle n’était pas tragique. Comment rentrer chez soi lorsque l’on vit dehors ?
Mardi après-midi, alors que les gens rentraient se confiner, l’incompréhension est venue s’ajouter à la solitude des sans-abris.
Très vite, l’eau et la nourriture ont commencé à manquer. Comment gagner quelques pièces alors que personne n'est là ? Aucun mot, aucune consigne n’ont été adressés aux sans-abris, oubliés parmi les oubliés - même les toilettes publiques ont été fermées. Ils sont pourtant plus de 3500 à Paris et 250 000 en France.
« Les gens nous évitent, plus personne ne veut nous donner d’argent », explique ce sans-abri croisé entre Bastille et République, mardi, quelques heures après le début officiel du confinement. Lui ne sait pas quoi faire ni où aller, et reste avec ses amis, dehors, sans savoir si la police viendra le verbaliser.
Même constat pour Mickaël, qui se sent bien seul au métro Saint-Paul. Il vient de croiser une patrouille de police. « Une policière m’a fait un doigt d’honneur [...] Il n’y a plus personne, on ne nous donne plus rien. Dès qu’ils voient des SDF, ils nous esquivent. On dit qu’ils vont nous reloger, mais c’est du blabla », lâche-t-il, exténué.
Des associations débordées, des bénévoles confinés
Dès le week-end dernier, les associations se sont mises en marche, mais à vitesse réduite. Les bénévoles, qui constituent le gros des troupes, sont pour la plupart confinés. Ils gardent leurs enfants et petits-enfants, ou s'isolent pour éviter tout risque de propagation du virus. Nombre d'entre eux sont âgés.
Aux Restos du Cœur, les maraudes continuent, mais c’est le service minimum. Certains accueils de jour ont fermé après l’hiver, et ceux qui restent distribuent désormais des paniers-repas, à consommer dehors. Les stocks de nourriture ne manquent pas, pourtant. Mais il n'y a pas assez de bras pour le tri et la distribution. Partout, la baisse des effectifs complique la tâche.
« Avec les arrêts de travail, la garde d’enfants, on a une diminution de 40 à 50% des effectifs dans certains secteurs du social. Ça va vraiment poser un problème et on verra des fermetures de centres d‘hébergement », soutient Guillaume Cheruy, chargé de mission à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).
Du côté d'Emmaüs Solidarité, on s’est rapidement réorganisé pour pouvoir sécuriser les accueils d’urgence encore ouverts. « On continue nos activités, mais sous un mode allégé, on applique des règles de distance sanitaire, on accueille les gens par groupe de 20 avec des prestations allégées. Mais on a moins de personnel, alors on est extrêmement vigilants sur les protocoles sanitaires », explique Bruno Morel, le directeur. Chez Emmaüs, un bénévole sur deux qui est disponible. Pour l’instant, l’association a dénombré 20 personnes en hébergement qui présentent des symptômes du COVID-19.
À Aubervilliers, des centaines d’exilés confinés… dans leurs tentes
Ils sont plus de 500 exilés à vivre dans un nouveau campement après l’évacuation des camps du nord de Paris, en début d’année. Là-bas, la situation s’est rapidement dégradée depuis lundi.
Ce n’est que le jeudi 19 mars que la préfecture d'Île-de-France a annoncé l’évacuation, prévue « en début de semaine prochaine ».
« Ce camp, c’est une catastrophe », lâche Phillipe Caro, membre de l’association citoyenne Solidarité Migrants Wilson, quelques minutes avant l’annonce de l’évacuation. Mardi soir, il est allé avec plusieurs bénévoles de son association sur les lieux pour distribuer de la nourriture et constater la gravité de la situation. « Il n’y a ni eau, ni savon sur le site et très peu d’aide extérieure. Il faut s’attendre à avoir des morts sur ce campement », alerte-t-il.
Depuis lundi, les maraudes se sont organisées tant bien que mal. « La police empêche les exilés de sortir, on a des images tournées par une voisine où on voit des policiers à cheval regrouper des dizaines de personnes comme du bétail, pour les reconduire vers le campement », explique le militant associatif.
La semaine prochaine, dans le cadre de l’évacuation du camp, 200 personnes seront prises en charge par la préfecture de Seine Saint-Denis, et 300 autres seront dirigées vers des gymnases parisiens. Mais tous accepteront-ils de monter dans les bus de la préfecture ? Si la situation administrative des exilés doit être étudiée, il est fort probable que de nombreuses personnes refusent d’être prises en charge, par peur d’être arrêtées, comme ce fut le cas lors des dizaines d’évacuations précédentes des camps.
Des mesures annoncées, et après ?
Finalement, le jeudi 19 mars - et avec un sacré retard à l’allumage -, le ministre du Logement Julien Denormandie a annoncé vouloir réquisitionner des hôtels et des gymnases pour loger les sans-abris. Des centres de desserrement doivent aussi voir le jour pour traiter ceux qui présentent des symptômes du Covid-19. Au total, la préfecture de Paris a annoncé l’ouverture de 200 places en centre de desserrement dans la capitale.
Selon le ministère du Logement, des discussions sont en cours auprès de certains hôteliers pour héberger les personnes à la rue dans des chambres d’hôtel. Le groupe Accor ouvrira 600 chambres dans les prochains jours.
Pour le reste, difficile d’avoir des chiffres clairs, car les centres d’hébergement sont soit pleins, soit fermés par manque de personnel. Et la réquisition de gymnases laisse dubitatifs les acteurs associatifs.
« Ce qu’on constate, c’est que dans les centres de desserrement ou de confinement, c’est difficile pour l‘état de s’organiser. Dans un gymnase de 100 places, il y a encore des risques de transmission du virus et des conditions de vie compliquées », témoigne Guillaume Cheruy, de la FAS. D'après lui, « ces mesures ne serviront à rien sans matériel de protection ». Certains centres d’accueil de demandeurs d’asile ont même été abandonnés par les gestionnaires, laissant livrés à eux-mêmes des centaines d’exilés, de sans-papiers ou de mineurs isolés, alerte le Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrant.es (BAAM).
La crise sanitaire révèle la faiblesse de l'État social
« L’État se repose sur les associations, mais là, on est sous l’eau. S'il s'appuie sur nous, encore faudrait-il que nos assos aient des moyens sanitaires », déplore Thomas Bertigne, représentant de Ligue des droits de l'Homme à Paris. Pas de masques, pas de gants, pas de gel : c'est ce que répètent tous les acteurs associatifs, qui craignent pour leur santé et celles des personnes à la rue.
Le gouvernement, qui a débloqué 50 millions d’euros, est attendu au tournant par les associations, qui militent depuis des années pour un renforcement des moyens dédiées à ces publics spécifiques.
« Il a fallu que nous, acteurs de la solidarité, on interpelle l’État sur ce sujet pour que des mesures soient prises », ajoute Guillaume Cheruy, de la FAS, qui voit dans cette crise sanitaire « la continuité des problèmes rencontrés toute l’année par les acteurs sociaux ».
« Faire nation », c’est le vœu d’Emmanuel Macron, qui en a appelé à la solidarité et à l’union nationale. Si la crise a en effet révélé une immense solidarité dans la rue ou dans les cages d’escaliers, elle n’est pas moins révélatrice des fractures de notre société. Car à Paris et ailleurs en France, des sans-abris ont été abandonnés dans la rue, au pied des logements vides de ceux qui ont fui les grandes villes.
Photo de Une : Simon Mauvieux - Le Média.