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À la porte de la Chapelle, la solidarité ne suffit plus

Par Simon Mauvieux

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Évacué des dizaines de fois depuis 2015, le camp d'exilés de la porte de la Chapelle, dans le nord de Paris, n’a jamais été aussi fréquenté qu’en ce début de mois d’avril. Sur le terrain, les associations sont à bout, à tel point qu’elles déclencheront une grève le 9 avril prochain. Elles disent ne plus pouvoir aider autant de personnes ni suppléer l’État dans l’accueil des migrants. Quelques jours avant une nouvelle évacuation, Le Média Presse a suivi l’un des ces collectifs citoyens qui se mobilisent quotidiennement pour distribuer des repas chauds à ces centaines de personnes en détresse qui vivent dans les rues de Paris.

Mardi 2 avril, boulevard du Président Wilson, à la Plaine Saint-Denis. Une vingtaine de bénévoles du collectif citoyen Solidarité migrants Wilson font le point sur le déroulement de la soirée avant de se diriger vers le camp de la Chapelle. Autour d’eux, des sacs remplis de gâteaux, de clémentines et de couvertures. La nuit commence à tomber, la température aussi.

La trêve hivernale s’est terminée quelques jours plus tôt [le 31 mars, NDLR] et près de 2000 places d’hébergement ont été fermées. Aux personnes qui ne sont plus logées, il faut ajouter les demandeurs d'asile qui continuent d’arriver en France, ceux qui attendent de recevoir leur statut, ceux qui ne l’ont pas obtenu et ne savent plus où aller. On croise aussi des Afghans et des Pakistanais, qui arrivent en France après avoir passé plusieurs années en Allemagne ou en Autriche sans y avoir obtenu l’asile. « Au bout de trois refus, ils doivent quitter le pays, sinon ils se font virer vers leur pays d’origine. Ils sont en Europe depuis 3, 4, 5 ans, ils ont travaillé en Allemagne et appris la langue  », explique Sylvana, l’une des bénévoles du collectif. Des guides d’informations destinés aux demandeurs d’asile ont d’ailleurs été traduits en allemand par un ami germanophone de Sylvana. Ils sont habituellement proposés en anglais et en arabe.

"La situation va s'aggraver"

Après une première distribution de repas à la Plaine Saint-Denis, le collectif arrive devant le camp de la Chapelle, bondé. Plus d’un millier de personnes sont là et une imposante file se constitue alors que la table est à peine montée et que les repas ne sont pas encore servis. Autour d’eux, des centaines de tentes entassées sous le pont, illuminées par une lumière blafarde et les flammes jaunes d’un immense feu qui réchauffe un groupe d’hommes.

« Il y a plus de monde qu’avant, on n’a jamais vu ça  », s’alarme Philippe, membre du collectif, indigné par une situation qui s’aggrave en ce début d’année. « Il y a eu une évacuation ici fin janvier, on nous a dit que les pouvoirs publics s’occupaient du problème. Mais si nous on n'est pas là pour montrer qu’il reste des centaines de gens, personne ne le saura  », poursuit-il. Trois ans qu’il vient avec le collectif distribuer de la nourriture ici ; trois ans, aussi, d’interminables réunions avec la ville de Paris, trois ans de couverture médiatique, trois ans de solutions temporaires et de plans d’urgence. Ce 2 avril 2019, pourtant, la situation n’a jamais été aussi catastrophique. Le matin même, une femme âgée a été retrouvée morte entre deux tentes, au bord du périphérique. Une enquête est en cours pour établir les circonstances de son décès.

Dans le camp, les conditions sanitaires sont terribles : de nombreuses personnes sont malades, d’autres souffrent de problèmes de santé mentale. Les demandeurs d’asile sont perdus dans le dédale administratif : certains ne perçoivent pas les allocations qu’ils devraient recevoir, d’autres n’arrivent pas à être pris en charge dans les hôpitaux. Moussa, un migrant tchadien qui veut étudier en France mais n’arrive pas à payer les frais de sa fac, nous raconte qu’une femme enceinte est là, quelque part dans une de ces tentes. Lui passera la nuit ici, à dormir debout contre un mur. « J’ai fait trois mois ici, on a vécu des mauvais moments  », raconte-t-il sans en dire davantage.

À la porte de la Chapelle, la solidarité ne suffit plus
Camp de migrants près du Canal Saint-Martin, le 22 février 2018, évacué par la police en juin 2018. Crédits : Jeanne Menjoulet / Flickr - CC.

Chaque évacuation du camp a pourtant été suivie d’une promesse d’hébergement digne pour ces personnes qui vivent sous un pont, dans le froid et les déchets. Pourtant, évacuation après évacuation, l’endroit est toujours repeuplé par de nouvelles personnes. Parce qu’il est proche de la gare de l’Est, les demandeurs d’asile qui arrivent à Paris finissent le plus souvent dans ce lieu, tant qu’ils ne sont pas relogés. Pour Clarisse Bouthier, une des fondatrices du collectif, ce camp permet surtout de cacher cette misère hors de Paris. « La police préfère que les gens viennent là, sous le périph’. Ils peuvent crever ici, personne ne pourra les aider ni les voir. Elle tolère ce camp parce qu’il est invisible  », s'exaspère-t-elle.

Une aide précieuse, mais insuffisante

La distribution commence, des conversations s’engagent entre bénévoles et demandeurs d'asile. Des kilos de makrouna bel salsa (pâtes à la tunisienne) sont distribués dans des barquettes à kebabs. Ce soir, le collectif distribuera au total 450 repas. Dans la même soirée, au même endroit, un groupe de taxis et de VTC distribue 300 repas ; les fidèles d’une mosquée de Massy en ont apporté 200 supplémentaires. En plus des associations et collectifs, des milliers de citoyens se mobilisent en Île-de-France depuis 4 ans, raconte Clarisse, pour qui cette solidarité vient tordre le cou aux discours xénophobes.

Face à une impressionnante file d’attente, quelques migrants jouent le service d’ordre et contiennent les plus impatients. Pour le collectif, composé d’une vingtaine de personnes, majoritairement des femmes, cette aide est précieuse et permet que tout se passe sans accroc. « Si une ou deux personnes viennent nous emmerder, on sait qu’il y en aura 20 derrière pour nous défendre  », explique Julie, une bénévole qui préfère aider ici « plutôt que de rester chez [elle] ».

À la porte de la Chapelle, les bénévoles sont connus et plusieurs personnes viennent constamment leur demander des informations. Un jeune Afghan s’impatiente : il cherche un endroit où dormir. « Tout le monde ici cherche un toit, rien de plus. Si tu appelles l’urgence, ils te disent d’aller ailleurs. Mais c’est toujours trop loin, comment aller chez le médecin ?  » demande-t-il, désespéré. Une bénévole lui répond qu’elle aimerait l’aider, mais qu’elle ne peut pas. « Je comprends Madame, vous voulez nous aider, mais vous n’avez rien pour nous  », lui lance-t-il, désabusé. Il ne perd pourtant pas sa bonne humeur et restera, avec quelques amis, discuter avec les bénévoles tout au long de la soirée. « Donner à manger, c’est pas juste pour ça qu’on est là  », poursuit Sylvana. Les repas, c’est un moyen d’être sur le terrain. On partage aussi du temps avec eux là-bas, pour voir s’il se passe des choses, de quel type d’aide ils ont besoin, qu’est-ce qu’on peut faire pour eux », explique-t-elle.

En grève pour rappeler l’État à ses responsabilités

Dépassés, une vingtaine d’associations et de collectifs citoyens, dont Solidarité migrants Wilson , Médecins du Monde ou Emmaüs , ont décidé d’entrer en grève le 9 avril prochain. Ils ne distribueront pas de repas et ne se rendront pas dans les camps aider les quelque 2000 personnes qui vivent dans les rues de Paris. Ils refusent de suppléer l’État dans l’aide aux migrants et demandent des actions immédiates. « C’est une grève symbolique. L’idée, c’est de taper du poing sur la table. Si on en arrive à se poser ces questions, à ne plus distribuer les repas, c’est que ça va mal. Les gens crèvent, c’est très très dur  », martèle Clarisse.

Il est 23 heures 30, la distribution s’est achevée depuis deux heures. Il fait froid et humide : la trêve hivernale est bien terminée, mais il fait toujours cinq degrés porte de la Chapelle. Les bénévoles repartent, quelque peu ébranlés par cette soirée plus difficile que d’habitude. Loin des débats politiques, des postures philosophiques et des coups médiatiques sur l’accueil des demandeurs d’asile, un millier de personnes s’apprêtent à passer la nuit sous ce pont parisien.

Photo de Une : camp sous le pont de la Chapelle, le 8 avril 2015. Crédits : Jeanne Menjoulet / Flickr – CC.

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