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Chloroquine, la molécule qui m'a rendu fou - La crise de nerfs (5)

Par Olivier-Jourdan Roulot

Vous pouvez retrouver tous les contenus de Olivier-Jourdan Roulot en consultant sa page.

La France est à cran. La guerre de la chloroquine fait rage, désormais. Les camps sont constitués, les coups et les balles fusent. L’heure n’est plus aux sommations d’usage. Cinquième volet de notre enquête.

Lire les quatre premiers épisodes de notre enquête : L'agent provocateur (1), Science contre science (2), Les soldats de la cause (3) et L'ombre portée des labos (4)

La semaine a été éprouvante pour le journaliste embarqué dans une histoire ébouriffante et un moment hors norme. Je coule parfois, submergé et lessivé par l’info jaillissant par gros bouillons épais, ballotée de toutes parts, amplifiée puis déformée par les amis comme les ennemis - les « pour » face aux « contre » -, recrachée sur tous les écrans et tous les réseaux.

La partie engagée avec le pouvoir et l’appareil d’État, l’infectiologue marseillais la mène sur plusieurs fronts. Maniant selon le moment la baguette et parfois la sulfateuse, ou la carotte et la négociation. En soufflant ainsi le chaud et le froid, celui qui est devenu « la deuxième personnalité politique préférée des Français » s’est placé au centre du jeu, et a forcé les autorités à entendre sa voix et ses préconisations en dépit de préventions nombreuses (relatives à son expérience) et de solides inimitiés (sur le plan personnel).

Chloroquine, la molécule qui m'a rendu fou - La crise de nerfs (5)
En mars 2020, l'iconoclaste Didier Raoult apparaît en deuxième position du baromètre Odoxa des personnalités politiques préférées des Français.

Le gouvernement a fait quelques pas pour crédibiliser en partie le protocole de Didier Raoult - sans le valider - parce qu'il y a été contraint par la pression populaire. À regret. La façon dont chaque avancée a été arrachée en atteste. Chacune d'entre elles est systématiquement accompagnée de conditions et de verrous, qui, derrière le langage de la responsabilité, sont une façon de rogner ce qui a été concédé. Quand le ministre de la Santé accepte l’usage de la chloroquine, la mesure est bridée par le Haut conseil de la santé publique, qui recommande qu’elle ne soit délivrée qu’en milieu hospitalier et uniquement pour les « cas graves ». Comme pour essayer de mettre à nouveau à distance le Marseillais, et avec lui sa foutue molécule antipaludique.

« Combien de morts allons-nous compter durant ces 15 jours pendant lesquels les malades n'auront pas pu avoir le médicament ? » ; « Commençons tout de suite ! » ; « Qu’est-ce qu’on attend ? », s’enflamment les réseaux sociaux. Un pas en avant, un en arrière, et réciproquement. La visite « surprise » du président de la République au professeur à la potion magique, ce jeudi, ne relève pas d’autre chose. En Macronie, le « en même temps » est définitivement un métabolisme.

Bras d'honneur

Quand l’hydroxychloroquine est finalement intégrée à l’essai clinique européen Discovery, après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ait décidé de la classer dans sa liste des traitements prioritaires, on découvre qu’elle sera testée seule, et non selon les préconisations et la posologie défendues par le professeur Raoult. Par ailleurs, les tests actuellement en cours concernent des cas modérés à graves quand ce dernier défend une approche préventive, avant même que la personne positive ait besoin d’être hospitalisée.

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Détail des modalités de l'essai clinique européen Discovery.

C’est peut être un détail, mais l’Inserm pilote l’organisation de l’essai Discovery. L’organisme public de recherche est depuis plusieurs années en guerre ouverte avec le directeur de l’IHU, à qui il a retiré son label en janvier 2018 (le CNRS également). Une décision motivée par un rapport défavorable du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) sur la qualité de la production des unités et laboratoires sous la direction de Didier Raoult, mais aussi après que les CHSCT des organismes de tutelle aient pointé du doigt des méthodes de management plutôt brutales – ainsi qu’une sombre affaire de harcèlement, pour le règlement de laquelle le patron de l’Institut n’a pas vraiment fait preuve de diligence. En sens inverse, en 2010, l’Inserm lui avait attribué son grand prix pour distinguer l’ensemble de sa carrière…

Exit donc, pour Discovery, la bithérapie chloroquine + azythromicine appliquée à Marseille. De quoi prévoir le résultat à l’avance pour Didier Raoult. Les premiers résultats provisoires de l’étude, qui a démarré et teste quatre remèdes possibles contre le Covid-19, seront communiqués au mieux d’ici trois semaines. D’ores et déjà, prévoyant pour l’après-crise « une enquête parlementaire » qui « sera sanglante, autant que l’affaire du sang contaminé », le Marseillais a rejeté son verdict. Controverse sur la méthode, encore et toujours.

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Extrait d'un entretien accordé le 25 mars par le professeur Raoult au média en ligne marseillais Marcelle.

Face à cette hostilité manifeste, Didier Raoult ne s’est pas démonté. Sentant l’adversaire vaciller, il pousse son avantage avec ce communiqué hors sol du samedi 22 mars, dans lequel l’IHU annonce qu’il dépistera toute personne qui le souhaite et administrera son traitement « à tous les patients infectés », au nom d’Hippocrate.

Chloroquine, la molécule qui m'a rendu fou - La crise de nerfs (5)
Communiqué de l'IHU Marseille Infection en date du 22 mars 2020.

Conséquence de ce bras d’honneur : dès le lundi 23 mars, les Marseillais font le pied de grue devant l’entrée du bâtiment ultramoderne qui abrite les laboratoires de l’IHU. La veille, Didier Raoult a enregistré un ralliement important : celui de Jean-Luc Harousseau. L’ancien président de la Haute autorité de santé (HAS) appelle à autoriser la prescription de la chloroquine dans les hôpitaux sans attendre les résultats des tests en double aveugle.

« Il faut foncer ! », encourage le Nantais, pour qui ceux qui s'arc-boutent sur les habituelles mesures d’efficacité et de toxicité préalables aux autorisations de prescription sont à côté de la plaque. « Je comprends ce point de vue, mais c’est un point de vue académique qui est complètement dépassé, ne soyons pas frileux ! »;

Désormais, l’institut marseillais est un territoire autonome, une principauté édictant ses propres règles en toute souveraineté. Où l'on vient pour se faire détecter et, si besoin, avaler le remède miraculeux. Au pays du professeur Raoult, chacun retrouve sa liberté brimée et le confinement flanche. Double miracle - ou mirage, c’est au choix.

Trump sent bien le truc...

Aux États-Unis, le très imprévisible Donald Trump s’y est mis, qualifiant la chloroquine de « don du ciel ». Un soutien de poids pour son principal promoteur, à prendre avec la mesure et les précautions qu’imposent un tel personnage. À trois reprises en l’espace d’une semaine, l’homme d’affaires devenu président vend les mérites du produit miracle à son peuple pour faire face au coronavirus - qui a pris pied sur le sol américain. Le 19 mars, il explique que la molécule va « changer la donne », qu’il va la rendre « disponible quasiment immédiatement » et que l’hydroxychloroquine a été approuvée par la FDA pour le traitement du virus. 

L’organisme chargé de l’autorisation des médicaments devra tempérer l’enthousiasme présidentiel, précisant qu’elle n’est pas autorisée mais simplement en cours d’étude. Le lendemain, Donald Trump coupe court aux questions de la presse. Fidèle à lui-même, le président américain ne doute pas. « Je suis un type intelligent, vous savez. Je le sens bien ce truc, et on verra bien assez vite ». Chloroquine, toujours et encore, pour la troisième fois dans la bouche de l’homme fort de la Maison blanche, le lundi 23 mars, lors d’une nouvelle conférence de presse : « On ne sait pas mais je crois qu’il y a une vraie chance ». 

Ce même 23 mars, invité dans la matinale de France Inter, Xavier Bertrand apporte son soutien à Didier Raoult, « quelqu’un de sérieux » que le président LR des Hauts-de-France connaît « depuis des années ». S’il reste prudent, l’ancien ministre de la Santé prévient : « il ne faut pas tourner en dérision [ses] travaux ». Ce même jour, on apprend que Didier Raoult sort un livre aux éditions Michel Lafon. Au titre très à propos : Épidémies, vrais dangers et fausses alertes, de la grippe aviaire au Covid-19.

Un plan com' d'enfer

À la lecture de la présentation de l’ouvrage, certains s’étranglent. « Anthrax, chikungunya, Ebola, grippes aviaires, H1N1, Zika, SARS-coronavirus, MERS- coronavirus... Pour toutes ces épidémies, on a prédit des millions de morts : il n’en a rien été. Qu’en sera-t-il du coronavirus chinois qui provoque une panique mondiale ? ». De quoi alimenter un peu plus le procès en sorcellerie autour de ce qui ne serait qu’un énorme plan com'. De là à penser que les soins administrés à ses patients par l’auteur faisaient aussi partie du plan, certains n’hésitent pas… À ce degré de machiavélisme, on frise le chef d’œuvre.

Chloroquine, la molécule qui m'a rendu fou - La crise de nerfs (5)
L'ouvrage très à propos du professeur Raoult, paru en mars chez Michel Lafon.

Le chapitre consacré au coronavirus, qui met la planète entière sens dessus dessous, est rapidement survolé. S’il sert à attirer le lecteur, cette lecture lui fera probablement regretter son achat, tant elle se révèle rapide et tant le sujet est approché rapidement. Elle laisse largement perplexe. Une bonne partie renvoie à ce que l’auteur expliquait fin janvier. « La description de ce nouveau virus par la Chine a entraîné une hystérie mondiale en dépit du fait que très rapidement on ait identifié que la mortalité était moindre que celle annoncée au départ », peut-on lire. 

L’auteur prédit à nouveau que la mortalité du coronavirus devrait « rejoindre probablement la mortalité de la grippe qui est aux alentours de 0,1% ». Il insiste sur le fait que les Chinois, dont il vante « la vitesse de réaction » (« stupéfiante ») « ont pu rapidement montrer que la chloroquine est peut être le meilleur traitement des coronavirus et la meilleure prévention ». Conclusion sous forme de redite, qui nous renvoie plusieurs semaines en arrière : « Ce qui en ferait une des infections respiratoires les plus simples à prévenir et à traiter ».

Didier Raoult s’aventure par ailleurs à livrer quelques éléments chiffrés pour relativiser ce qui se joue. Il invite ainsi à comparer la mortalité de l’épidémie du coronavirus chinois aux « 68 000 morts par infections saisonnières respiratoires en France et aux 2,6 millions de morts par infections respiratoires en 2018 dans le monde ». Pour lui, « le risque que le coronavirus chinois change les statistiques de la mortalité française ou mondiale est nul ».

Il finit ce rapide survol d’une crise qui méritait à l’évidence plus que ces quelques pages en pointant une « distorsion entre réalité et bruits », due selon lui à « la peur des maladies nouvelles », à « l’intérêt des laboratoires qui vendent des antiviraux » - visant en particulier l’américain Gilead, qui fabrique le Redemsivir également testé par Discovery, et qui « a fait une progression boursière spectaculaire » -, à « l’intérêt de ceux qui produisent des vaccins par précaution », « de ceux qui sont heureux d’être sur un plateau de télévision comme experts virtuels » et « ceux qui font de l’audimat sur la peur ». Et ajoute aussi à la liste… « ceux qui se voient en sauveurs providentiels ».

« Nous avons affaire à des événements que la science elle-même peine à expliquer, lit-on encore en refermant l’ouvrage sur la quatrième de couverture, telles la transmission accélérée des épidémies à leur début, leur variation saisonnière et... leur disparition spontanée sans raison apparente ». Deux choses sont sûres. D’une part, Raoult ne fait rien pour calmer les esprits, va-t-en-guerre incorrigible et pompier pyromane d’un jeu vertigineux. Autre certitude, le coup est parfait pour Michel Lafon, qui démontre ici un opportunisme à toute épreuve - l'une de ses marques de fabrique. Placé partout où c’est possible (jusque dans les Monoprix), l’ouvrage est promis à un carton alors que les librairies sont fermées.

Naturellement, son auteur récoltera les fruits de ce succès annoncé – des droits qui se chiffreront au bas mot à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Interrogé dans la semaine de sa sortie par Le Parisien, une des éditrices maison assure que le livre a été écrit en un mois, et qu’il n’était pas dans les tuyaux avant que tout ne s’emballe.

Journée épileptique

La journée du 24 mars est épileptique. Le matin, Les Echos annoncent que Didier Raoult claque la porte du conseil scientifique qui conseille Emmanuel Macron dans la crise sanitaire. Dans l’après-midi, un de ses porte-paroles à Marseille précise qu’il s’agit d’une simple mise en retrait, pas d’une démission. « Il ne participera pas aux prochaines réunions », apprend-on. Pas plus qu’aux précédentes, où il n’a pas posé le pied.

Au sein de cette instance, les sorties de Didier Raoult sur la stratégie « moyenâgeuse » du gouvernement n’ont jamais fait l’unanimité. Mouche sur le fromage, il n’y a jamais été le bienvenu, et son nom y a été ajouté sans enthousiasme. « Le conseil ne correspond pas à ce que je pense devoir être un conseil stratégique », flingue sur Twitter le non-démissionnaire. Réciproque partagée.

Amorcée bien avant le Covid-19, la rupture avec la technostructure de la politique de santé publique semble actée. « Je suis en contact avec le ministère et avec le président de la République pour leur dire ce que je pense », précise l’intéressé. Désormais, c’est à Jupiter – et éventuellement son délégué - que le druide Raoult s’adresse, et à personne d’autre. Court-circuitant les filtres traditionnels, qu’il juge pas au niveau, enfermés dans leur certitudes, leur frilosité et rongés par leurs liens d’intérêts. À la fois dans et hors système, un orteil dedans, deux pieds dehors, encore et toujours. À la hussarde.

Ce même mardi, Françoise Barré-Sinoussi jette à son tour son poids dans la bataille. Elle vient d’être nommée par l’Elysée à la tête d’un nouveau comité chargé de conseiller le gouvernement sur les traitements du Covid-19 - une sorte de conseil scientifique bis. Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde, la prix Nobel de médecine fait part de son scepticisme. Tout est déjà dans le titre : « Ne donnons pas de faux espoirs, c’est une question d’éthique ».

La virologue exprime sa stupéfaction « à la vue des files d’attente devant l’Institut hopitalo-universitaire de Marseille [...] pour bénéficier d’un traitement, l’hydroxychloroquine, dont l’efficacité n’a pas été prouvée de façon rigoureuse ». « C’est n’importe quoi », s’indigne-t-elle. Interrogée sur les résultats annoncés par l’équipe du professeur Raoult, Françoise Barré-Sinoussi ne se défile pas. « Il nous faut quelque chose de sérieux […]. Il n’est pas raisonnable de la proposer à un grand nombre de patients pour l’instant, tant qu’on ne dispose pas de résultats fiables ».

Dans l’entretien, elle souligne combien cette situation lui « rappelle en bien des points beaucoup de choses douloureuses de l’épidémie de VIH-sida ». Elle n’est pas la seule. Polémique pour polémique, certains se souviennent qu’elle avait été extrêmement décriée dans la gestion de la trithérapie, au plus fort de la crise du sida.

Mardi soir, les anti-Raoult triomphent sur les réseaux sociaux : « La chloroquine tue », relaient-ils un peu partout avec des accents de victoire. Aux États-Unis, deux personnes comptent au rang des victimes de la propagande du professeur marseillais, décédées après en avoir avalé... Cette fois, c’est en fini de l’épidémiologiste à l’allure de gourou. Vérification faite, l’histoire ne mérite pas pareil honneur, d’autant que Didier Raoult n’a jamais incité à s’auto-médicamenter. Elle est effectivement éloquente. Il y a bien mort d’homme, mais d’un seul, qui a avalé une cuillère d’un... produit de nettoyage pour aquarium, après avoir constaté qu’il contenait de la chloroquine.

Une coupe de lait

Jeudi 26 mars, le décret n° 2020-314 « prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire » est publié au Journal officiel. « L’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir peuvent être prescrits, édicte le texte, dispensés et administrés sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile ».

Didier Raoult boit du petit lait. C’est une importante victoire pour l’homme qui a rendu dingue la France entière. « Dans le cadre de l’urgence sanitaire, l’hydroxychloroquine peut être prescrite en traitement du COVID-19. Merci à @olivierveran pour son écoute », se félicite-t-il sur son compte Twitter.

Jeudi 26 mars, l’Agence régionale de la santé (ARS) Paca exprime sa désapprobation au sujet des files d’attentes sur le parvis de l’IHU. Peine perdue : dans le bras de fer qu’il a lancé aux autorités, le professeur Raoult a également imposé les règles du jeu. Ainsi, chaque info, annonce ou prise de position de nature à mettre en cause ses préconisations se retourne contre son émetteur. Le résultat est couru d’avance. Ses soutiens et adeptes hurlent d’un seul homme face à cette nouvelle preuve de la corruption des esprits et du système - et promettent de faire rendre gorge aux coupables, le moment venu. En sens inverse, quand elle semble lui donner raison, les mêmes poussent alors un cri, un râle maori à la victoire, enfin, et appellent à faire rouler les têtes dans la sciure…

À l’échelle de Marseille, où des agents de désinfection à l’allure de cosmonautes épandent dans les rues désertes un virucide - dont on sait seulement qu’il est « conforme aux normes européennes présentant une biodégradabilité primaire d’au moins 80% » (1) -, les queues qui s’étirent au pied du bâtiment de l’IHU ne sont pas prêtes de se résorber. Et quand l’ARS rappelle aussi que les tests doivent se faire sur prescription pour les « réserver aux personnes les plus vulnérables et fragiles » et « préserver notre système de santé », le peuple a déjà choisi son héros. Entre l’anticonformiste qui emmerde le pouvoir et dit la vérité contre les compromissions de celui-ci, et le message un peu corseté d’une autorité (dont c’est aussi le rôle d’en distribuer), le match n’a pas même besoin d’être joué.

Chloroquine, la molécule qui m'a rendu fou - La crise de nerfs (5)
Consignes de l'ARS Paca en date du 24 mars 2020.

Coup sur coup

Vendredi 27 mars, au terme d’une semaine de feu, Didier Raoult remet une belle bûche dans le four déjà incandescent. De quoi hystériser un peu plus l’atmosphère : l’épidémiologiste annonce une seconde étude qui permet « de continuer à démontrer l’efficacité de notre protocole ». Celle-ci porte cette fois sur 80 patients traités à l’IHU Méditerranée Infection.

Invité le lendemain à se prononcer à nouveau sur le sujet, le ministre de la Santé Olivier Véran se retranche derrière « les recommandations des sociétés savantes » et des données « bien trop insuffisantes » pour justifier la position des autorités, qui persistent à circonscrire l’usage de la molécule aux cas graves, et uniquement à l’hôpital.

La riposte des anti ne se pas fait attendre. Quasi instantanément, les critiques des adversaires de l’ex-président d’université redoublent d’intensité, toujours aussi virulentes sur le plan scientifique. Dans un nouveau communiqué du 30 mars, le réseau Prescrire appelle une nouvelle fois à la prudence sur l’usage de l’hydroxychloroquine. Avec des arguments qui confortent ceux qui crient à la mystification.

« Les résultats d’un essai randomisé publiés en Chine début mars 2020, chez 30 patients atteints de covid-19, ont montré que le test de diagnostic virologique par PCR sur prélèvement de gorge peut devenir rapidement négatif avec ou sans hydroxychloroquine ». L’essai évoqué, qui a été traduit, a été publié dans le Journal of Zhejiang. Au terme de deux semaines de suivi, l’état de santé de tous les patients s’est amélioré sans différence notable entre les groupes, ceux qui ont été traités avec la fameuse molécule, ceux chez qui on n’en a pas administré, constate Prescrire. « L’hypothèse que l’hydroxychloroquine aggrave le covid-19 chez certains patients n’est pas exclue », lit-t-on par ailleurs dans le communiqué.

« Au total, dans cet essai randomisé chinois et dans une étude marseillaise médiatisée mi-mars 2020 (avec des résultats complémentaires rendus publics le 27 mars 2020), l’état de santé de plusieurs patients s’est aggravé, tous parmi les patients exposés à l’hydroxychloroquine ». Les experts de Prescrire y voient le « signal de risque d’aggravation du covid-19 par l’hydroxychloroquine, utilisée par ailleurs comme immunodépresseur faible dans certaines affections auto-immunes. Avant d’exposer les patients en routine, la conduite d’autres essais comparatifs randomisés, de plus grande ampleur, est justifiée pour explorer cette hypothèse, tel l’essai en cours au niveau européen (essai dit Discovery) ».

Dans un bain de breaking news

Dans l’autre vie, celle d’avant, mon travail tenait d’une aventure solitaire, sur des chemins et des sujets peu ou pas fréquentés. Un truc d’une extrême fragilité, un petit artisanat qui ne se partage pas. Une sorte d’affaire personnelle, pour reprendre le titre d’un très beau livre.

Pour trouver une image, enquêter revient à nager en haut mer, au large, là où il n’y a personne, à des milles de la côte. Il s’agit de se raccrocher à la moindre information, ou au plus petit élément à portée de main. Comme un mort de faim, comme s’il en allait de sa propre vie.

Au large, il n’y a personne d’habitude. Cette fois, je nage dans une marée humaine - toute la plage est là, comme si elle avait été transportée au large. Je suis au milieu des breaking news, un truc que je fuis, sur un sujet qui tourne en boucle partout. Chaque jour amène son flot toujours plus nourri et contradictoire, porté par des avis toujours plus définitifs et radicaux. Comme si, à l’approche d’une vérité qui reste à établir, chacun redoublait d’efforts pour tenter de peser sur elle, et emporter la mise. Pendant que les anti hurlent à l’escroc toujours plus fort, les pour reprennent en canon le même refrain : « Chloroquine ! Chloroquine ! Chloroquine ! »…

Au milieu de ce spectacle flippant, le gouvernement français continue de compter les morts, comme une promesse de faire mieux le lendemain. Et donne l’impression de toujours naviguer à vue. Pendant ce temps, Didier Raoult fait du Didier Raoult. Ça n’a rien pour calmer les esprits, bien au contraire.


(1) Le ministère de la Transition écologique a recommandé ce jeudi de ne plus utiliser de produits de désinfection spécifique pour nettoyer les rues.

Illustration de Une : Adrien Colrat - Le Média.

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