Répression de l'antisionisme, instrumentalisation de l'antisémitisme : une réponse à la tribune de Nous vivrons ! publiée par Le Monde
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Le quotidien Le Monde a récemment publié une tribune demandant à ce que la République « intègre dans sa loi l’antisionisme comme nouvelle forme d’antisémitisme ». Ce texte, rédigé à l'initiative de Nous Vivrons !, collectif engagé dans un soutien inconditionnel à l'État d'Israël depuis l'attaque du 7 octobre 2023, a été signé par plus de 200 personnalités issues d'horizons divers, parmi lesquelles des politiques, comme Gabriel Attal, Aurore Bergé, Christian Estrosi, François Hollande ou encore Manuel Valls, des journalistes, comme Mohamed Sifaoui ou Anne Sinclair, des acteurs, comme Yvan Attal, Gérard Darmon, Charlotte Gainsbourg ou Philippe Torreton, etc. La réponse argumentée que nous publions ici, signée par plus de 1700 personnes, a été refusée à la publication à deux reprises par le même journal Le Monde. Il nous a paru d'autant plus important de contribuer à sa diffusion qu'une proposition de loi votée par le sénat en février dernier visant à instituer une censure dans les universités concernant la question palestinienne, sous couvert de lutte contre l'antisémitisme, va être examinée par l'Assemblée Nationale les 6 et 7 mai 2025. Les forces de l'ordre françaises, il faut aussi le rappeler ici, portent aujourd'hui systématiquement atteinte à la liberté d'expression au détriment des protestations contre la guerre génocidaire menée par l'État d'Israël et des manifestations de soutien aux Palestiniens.
Pour que la lutte contre l'antisémitisme ne serve plus à la répression de ceux qui dénoncent le génocide palestinien
Nous, militants de la cause palestinienne, avons été choqués par la tribune, publiée par Le Monde, d’un collectif regroupant essentiellement des responsables politiques qui cherchent depuis le début à invisibiliser le génocide palestinien.
Cette tribune demande la pénalisation de l’antisionisme par l’inscription de celui-ci comme délit pénal par voie législative.
Ce texte est une nouvelle falsification grossière de la vérité historique, que nous entendons démontrer.
De quoi le sionisme est-il le nom ?
On lit dans cette tribune : « Le sionisme, c’est un idéal d’émancipation, un ancrage durable, un barrage à la haine, un rempart à l’extermination. ». Après un an et demi de bombardements, 50 000 morts dont plus de 15 600 enfants, des milliers de blessés, d’amputés, de torturés, d’orphelins et 70 % du territoire dévasté, nous estimons qu’il est logique d’en douter. Le sionisme, c’est à la fois la division territoriale de la Palestine sur des bases ethniques et l’extension sans fin de frontières jamais définies. L’entité qui porte ce projet n’est en rien représentative d’un peuple, mais au contraire, reflète les intérêts économiques et militaires de pays étrangers à la région, à commencer par les États-Unis. Nous assistons actuellement à l’aboutissement d’un projet d’expansion militaire et coloniale fondé sur la destruction de tout un peuple.
Cette tragédie n’a pas commencé le 7 octobre, mais il y a un siècle avec le nettoyage ethnique méthodique de la Palestine, combinant des phases d’agression miliaire de haute intensité et des phases d’oppression impitoyable basée sur un régime d’apartheid et d’enfermement généralisé des Palestiniens, d'assassinats, d’expulsion massive et de refus du retour des réfugiés.
Le sionisme, c’est à la fois la division territoriale de la Palestine sur des bases ethniques et l’extension sans fin de frontières jamais définies.
Le droit international bafoué de façon continuelle par Israël
La première résolution bafouée par Israël est celle dont il tire son existence même, la résolution 181 qui proposait un plan de partage avec un État israélien pour les juifs et un État arabe pour les Palestiniens. Ce plan de partage n’a jamais été respecté.
Selon le journal israélien Haaretz, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté depuis 1947 près de 1 500 résolutions. Entre 1968 et 2002, Israël a « violé 32 résolutions qui comportaient la condamnation ou les critiques à l'égard des politiques et des actions des gouvernements », se plaçant ainsi au premier rang des pays enfreignant les résolutions de l'ONU. Pour la seule année 2022, Israël a battu tous les records en faisant l’objet de 15 résolutions de l’ONU, pendant que la Russie faisait l’objet de 6 résolutions. 2022, c’est bien avant le 7 octobre 2023 ; et l’oppression, l’occupation, l’apartheid et le blocus de Gaza apparaissaient à la Communauté Internationale suffisamment insupportables pour interpeler 15 fois le gouvernement d’extrême-droite israélien, mais sans jamais le mettre au ban des nations. Certains d’entre nous pensent que la solution réside dans l’ONU ; d’autres pensent le contraire, car ses positions sont à géométrie variable. Pourquoi l’ONU n’envoie-t-elle pas des casques bleus en Palestine comme force d’interposition ? Quels que soient les moyens, le massacre doit cesser tout de suite et définitivement, car le sionisme dévaste la terre de Palestine et bafoue le droit international.
Pourquoi l’ONU n’envoie-t-elle pas des casques bleus en Palestine comme force d’interposition ? Quels que soient les moyens, le massacre doit cesser tout de suite et définitivement.
En finir avec l’instrumentalisation de l’antisionisme
Tous les sionistes ne sont pas juifs et tous les juifs ne sont pas sionistes : une des ambitions de cette sombre tribune est d’essentialiser les juifs comme cibles de l’antisionisme. C’est un procédé malhonnête, dangereux et… antisémite.
Car, que cherchent les auteurs de cette tribune en assimilant les juifs du monde entier aux atrocités israéliennes, tout en indiquant que ces dernières procèdent « d’un idéal d’émancipation » ? Quelle stratégie et quel cynisme animent des signataires n’ayant pour la plupart rien à voir avec le judaïsme et étant largement insérés dans les institutions ? De quel droit stigmatisent-ils les juifs français avec de tels propos ? Ces sionistes, quel que soit leur parti, sont des racistes prêts à mettre une cible dans le dos de tous ceux qui s’opposent à leur projet colonial.
Que cherchent les auteurs de cette tribune en assimilant les juifs du monde entier aux atrocités israéliennes ?
Rien ne peut justifier l’actuel nettoyage ethnique : les Palestiniens ne sont pour rien dans l’antisémitisme des années 30 en Allemagne, en France, en Italie…
Un passage du texte pousse même le raisonnement à son absurdité totale : « On ne reproche plus aux juifs de vouloir contrôler le monde mais aux sionistes de vouloir contrôler les terres ». Il ne faudrait donc pas critiquer le vol de terres et les dévastations des colons, car cela pourrait être comparé aux arguments ayant cours dans l’entre-deux-guerres ? Mais en quoi le Palestinien d’aujourd’hui est-il responsable des élucubrations de l’extrême-droite européenne des années 1930 ?
En grand nombre, des juifs du monde entier disent « pas en mon nom » et rappellent qu’on avait proclamé « plus jamais ça » après le génocide perpétré par les nazis. Des millions de citoyens sont saisis d’horreur en voyant hommes, femmes et enfants massacrés par milliers en direct, sans que les dirigeants des pays européens en perdent le sourire ni l’opportunité de vendre des armes.
Expliquer que l’émancipation d’un groupe ne peut passer que par un État religieux signifie qu’il serait impossible de combattre pour un État laïque, traitant les citoyens de la même manière quelle que soit la religion. Drôle de conception ! Pour nous, tous les citoyens doivent jouir des mêmes droits, indépendamment de la religion. Répéter un mensonge n’en fait pas une vérité.
Nous sommes solidaires des juifs antiracistes, y compris israéliens
L’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme... et ils le savent !
Notre empathie n’est pas dictée par les considérations des marchands d’armes américains. Nous sommes solidaires des juifs antiracistes, y compris israéliens, et clamons que le droit international doit être le cadre du règlement pacifique des conflits. Nous admirons tout autant une Rima Hassan qu’un Pierre Stambul ou un Rony Brauman. Nous nous intéressons trop à la justesse de l’émancipation pour prendre en compte les convictions religieuses ou philosophiques.
Nous en appelons à toutes celles et ceux, militants démocrates, défenseurs des droits de l’homme, descendants de la Résistance, syndicalistes, journalistes honnêtes, politiques auxquels il reste une conscience, et à tous ceux qui refusent le chantage et regardent avec lucidité l’étendue des injustices faites aux Palestiniens depuis un siècle. La critique du sionisme est une liberté qui nuit à l’extrême-droite et à ses marchepieds.
On ne règle pas un problème politique en interdisant la liberté d’expression. Liberté qui est toujours celle de celui qui pense autrement. En aucun cas, la moindre loi ne peut venir interdire à celleux qui dénoncent le génocide de donner leurs arguments, y compris dans leur combat contre le sionisme. ●●
Liste complète des signataires à télécharger ici
Parmi les signataires :
Pascal André, médecin infectiologue et urgentiste ; Marie Ardisson, psychologue ; Myriam Arnoux, harpiste, cantatrice ; Olivier Azam, réalisateur-producteur-éditeur ; Ariella Aïsha Azoulay, écrivaine, théoricienne de la photographie ; Sébastien Barles, adjoint au Maire de Marseille / les Écologistes ; Soizic Beaumier, pédiatre ; Shoshana Bechier Denning, artiste, traductrice ; Laila Benderra, pédiatre ; Jean-Luc Bennahmias, ancien député européen ; Judith Bernard, metteuse en scène ; Carole Boubli, responsable commerciale ; Martine Boudet, conseil Scientifique d'ATTAC ; Judith Bouilloc, autrice jeunesse ; Jacques-Marie Bourget, journaliste ; Houria Bouteldja, QG décolonial ; Charlotte Brives, anthropologue ; Alain Brossat, philosophe ; Olivier Butzbach, enseignant-chercheur ; Claude Calame, historien, EHESS Paris ; Maryannick Chalabi, conservatrice du patrimoine ; Déborah Cohen, historienne ; Pierre Cours-Salies, sociologue, professeur émérite Université Paris 8 ; Alain Dallongeville, chauffeur de bus ; Émilie Deleuze, cinéaste ; Yvette Dorémieux, psychiatre retraitée ; Olivia El Sabbagh, ingénieure ; Annie Ernaux, écrivaine ; Sylvain Excoffon, universitaire ; christian Eyschen, secrétaire Général de La Libre Pensée ; Olivier Filleule, professeur de sciences politiques ; Catherine Hollard, Attac Rhône ; Blanche Gardin, humoriste et comédienne ; Patricia Gonzalez, médecin ; Nacira Guénif, sociologue ; Alain Guiraudie, cinéaste ; Gérard Haddad, psychanalyste, écrivain ; Sylvain Janniard, historien ; Nathanaël Kahn, chanteur, membre de Tsedek! ; Pierre Khalfa, économiste, Fondation Copernic ; Nicolas Klotz, cinéaste ; Hélène Korb, UJFP, petite-fille de déportée ; Daniel Kupferstein, réalisateur ; Mathilde Larrère, historienne ; Céline Lateule, cinéaste ; Frédéric Lordon, philosophe ; Ivan Marin, mathématicien ; Elli Medeiros, artiste ; Yolande Moreau, comédienne/réalisatrice ; Olivier Neveu, universitaire ; Roland Pfefferkorn, professeur des universités émérite ; Jacques Pradel, président de l'Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs ami.e.s ; Marwan Rashed, professeur des universités, philologue et historien ; Fabrice Riceputi, historien ; Laurent Ripart, professeur des universités ; Alain Ruscio, historien, association Histoire coloniale et postcoloniale ; Jean-Marc Schiappa, Historien, Président de l'IRELP ; Emmanuelle Schies, réalisatrice ; Serge Sebban, membre de la LDH, historien ; Claude Serfati, économiste ; Michèle Sibony, UJFP ; Eyal Sivan, cinéaste ; Romain Telliez, historien, Sorbonne Université ; Sandra Timsit, pédiatre ; Françoise de Turckheim, médecin ; Stéphane Valter, professeur à Lyon 2 en études arabes ; Sarah Viale, Tsedek! ; Nicolas Vieillescazes, éditeur ; Anne Vigneron, Anne Vigneron, secrétaire LDH Béziers ; Dror Warchawski, chercheur biologiste ; Alexis Zimmer, historien.
À voir sur Le Média :
Gilad Erdan, ambassadeur de l'Etat d'Israël, au Conseil de sécurité de l'ONU le 30 octobre 2023.