Vous rêvez d'une autre info à la télé ? Nous aussi !
Déjà 10 000 récoltés.
Ensemble, créons la TV du futur !
Je fais un don

Le cinéma du Média #2. Ecce Zorro

Par Emmanuel Burdeau

Critique, Emmanuel Burdeau a été rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Il a publié des livres entre autres sur Werner Herzog, Les Sopranos, Billy Wilder ou encore Vincente Minnelli. Il anime le podcast SPECULATIONS by So Film.

Pour cette deuxième livraison du Cinéma du Média, Emmanuel Burdeau a vu Zorro, une série de Benjamin Charbit et Noé Debré disponible en intégralité sur Paramount + et bientôt sur France Télévisions. Que faire aujourd'hui de l'homme, et plus précisément de la virilité blanche ? Telle est la question ici portée, selon notre critique, par Jean Dujardin dans le rôle titre.

À trois reprises, Jean Dujardin a été Hubert Bonnisseur de la Bath, espion couillu, ringard et macho plus connu sous le nom d’OSS 117. Dans l’adaptation des Chemins noirs, il a incarné Sylvain Tesson, l’écrivain baroudeur fâché avec Internet mais copain avec l’extrême-droite et ses gros bras. La même année – 2023 –, il a porté la baguette, le marcel et le béret du Français éternel lors de la Cérémonie d’Ouverture de la Coupe du Monde de Rubgy. L’acteur est donc constant, l’homme a donc un sujet : l’homme. Moins la virilité en général que la virilité blanche, plus si jeune mais toujours amoureuse d’elle-même, aujourd’hui attaquée de toutes parts. Virilité moquée, bien sûr, mais avec laquelle Dujardin ne croit pas que soit venu le temps d’en finir. L’homme qui fait l’imbécile en bandant ses muscles est, soyons-en convaincu, un homme qui n’a pas dit son dernier mot.

La nouvelle adaptation en série télé, par Benjamin Charbit et Noé Debré, du personnage que Johnston McCulley créa en 1919 ne parle que de cela. Que faire aujourd’hui de l’homme, de l’héroïsme au masculin  ? La réponse n’est pas ébouriffante mais elle peut être instructive. Zorro est une comédie maline et volontiers goguenarde dans le genre esprit Canal. C’est également un intéressant signe des temps.

Dans la plupart des adaptations proposées jusque là, Don Diego de la Vega affecte de préférer les livres ou les éventails à la politique afin que Zorro puisse mieux, la nuit venue, défendre la veuve et l’orphelin, lutter contre la tyrannie et l’excès d’impôts. Et tant pis si Diego navre son père : la ruse du renard – zorro en espagnol – passe avant tout. Ici, l’action a beau toujours se passer dans la Haute-Californie pas encore indépendante des années 1820, la politique reste très loin en arrière. Car Diego et Zorro ont mieux à faire qu’à voler au secours des opprimés : ils ont à se faire la guerre. Sinon à s’éliminer l’un l’autre, au moins à échanger leurs places. 

Le super-héros et son alter-ego ne sont pas deux versions d’une même personne : ce sont des rivaux. Don Diego est hanté par un père – André Dussolier – qui le trouve nul. Le vieux fantôme n’a pas tort : ce Diego-là ne feint pas la délicatesse, il est réellement délicat, progressiste et parfaitement inefficace à son poste de maire. Pas woke, mais pas loin. Non content de faire remarquer que Colomb n’a pas découvert les Indes, il enseigne à qui veut l’entendre l’étymologie, remontant au grec ancien, du mot « autochtone ». Zorro, lui, reprend du service après 20 ans d’absence. La fine lame n’a rien perdu de son panache. Entre les deux, le cœur de Gabriella de la Vega – Audrey Dana – ne balance pas longtemps : lasse d’être mariée à un niais, elle tombe dans les bras du héros, dont le moindre charme n’est pas qu’il garde son masque pendant l’amour. 

La série de Charbit et Debré narre moins des aventures – elles restent rares – qu’elle ne fait défiler à toute allure diverses versions de l’alternative Zorro / Diego. Pour les mettre à l’épreuve, les tester, voir si par hasard l’une d’entre elles ne pourrait pas être la bonne. Après l’amant magnifique viendra la bête de foire. En cape pailletée, Zorro se produit sur les planches devant une foule comblée. Mais bientôt usé par le vedettariat et ses affres, il tombe à son tour dans la routine conjugale et devient un autre Diego. Vient alors l’idée de le tuer – de faire semblant au moins. C’est là, aux alentours de l’épisode 6, que la série atteint son sommet. Sans cesser d’être grotesque elle devient grave. Tout le monde se met à revendiquer ses droits sur le cadavre. Avec gourmandise, Diego prétend qu’il a été bouffé par tous les charognards de la terre. L’odieux capitaliste local – Eric Elmosnino – veut lui construire un mausolée et faire payer les visites : à cette fin, il prévoit de l’embaumer en lui ouvrant le ventre et en versant de la cire brûlante dans son anus. Le Sergent Garcia – Grégory Gadebois – a tellement pourchassé Zorro qu’il se sent abandonné. Il faut le voir, reniflant au-dessus de la dépouille de son ennemi juré. Et Gabriella, découvrant avec horreur le cercueil vide, adopte la plus lourde des résolutions : elle prendra la place du héros disparu. 

On a l’impression d’avoir traversé en courant une rétrospective consacrée au mâle dans tous ses états

On pleure Zorro, on rêve de lui, on lui parle, on croit le voir partout. On ne pense qu’à lui : c’est une obsession. On ne vit plus depuis qu’il est parti. Heureusement, même mort, le héros bouge encore et sert à tout. Fétiche, fantasme, épouvantail… Et la métamorphose se poursuit par-delà la tombe. Zorro était mâle, il devient femelle. Zorro était justicier, il devient un terroriste quand, pour favoriser la capture d’un imposteur, Diego vote l’interdiction des capes, des chapeaux noirs puis du noir tout court. Zorro islamiste ? Pourquoi pas. Homosexuel ? Le baiser qu’échangent Don Diego et la silhouette masquée le suggère aux badauds ahuris. Trans ? C’est bien le trait d’une moustache qui passe là, entre la bouche et le nez d’Audrey Dana. Et Zorro Christ ressuscité ? Aussi. 

Arrivé au terme de la série, on ne sait pas bien de quelle ruse de renard on a été le jouet. On a l’impression d’avoir traversé en courant une rétrospective consacrée au mâle dans tous ses états. Celui-ci, à force d’avatars voire de travestissements, a-t-il fini par s’évanouir ? Ou bien n’est-il passé par tant d’identités que pour sauver sa peau ? Un peu des deux, sans doute. Reste à attendre le prochain chapitre des aventures de Jean Dujardin, cet autochtone du masculin. 

Zorro. Série de Benjamin Charbit et Noé Debré, 2024. France, 8 épisodes de 37 mn environ. Avec : Jean Dujardin, Audrey Dana, Grégory Gadebois, Eric Elmosmino, Salvatore Ficarra. Disponible en intégralité sur Paramount + et bientôt sur France Télévisions.

Vous aimerez aussi

Le Média n'appartient ni à l'état, ni à des milliardaires, il est financé uniquement par des citoyens comme vous.

Il est en accès libre pour le plus grand nombre grâce à des citoyens qui contribuent tous les mois. Devenez Socio pour soutenir l'information indépendante !

Rejoignez les Socios

Afin de rester indépendant et en accès libre pour le plus grand nombre, et de continuer de vous proposer des enquêtes sur les magouilles de la Macronie et les arnaques des multinationales, des reportages de terrain au plus près de ceux qui luttent, des entretiens, débats et émissions comme on n'en voit plus à la télé, nous avons besoin de vous !