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Le cinéma du Média #1. Toujours mort, Beetlejuice bouge encore

Par Emmanuel Burdeau

Critique, Emmanuel Burdeau a été rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Il a publié des livres entre autres sur Werner Herzog, Les Sopranos, Billy Wilder ou encore Vincente Minnelli. Il anime le podcast SPECULATIONS by So Film.

Pour cette première chronique cinéma du Média, Emmanuel Burdeau a choisi le nouveau film de Tim Burton, Beetljuice Beetljuice, sorti dans les salles ce mercredi

À coups d’agrafeuse, Monica Bellucci réassemble son propre cadavre qui, à l’instant, gisait en pièces détachées sur le sol d’un hangar. Puis, tant bien que mal, l’avaleuse d’âmes se lève et repart à l’attaque. Le personnage restera très secondaire. Il est toutefois l'un des meilleurs de cette suite donnée trente-six ans plus tard à Beetlejuice. Parce que la scène est belle. Et parce qu’elle marque l’entrée dans le cinéma de Tim Burton de l’actrice qui, depuis deux ans, partage sa vie. La déclaration d’amour paraît insolite ? Elle correspond à la logique d’un cinéaste sur lequel le macabre a toujours exercé la plus puissante, et la plus positive, des séductions.

Non seulement le moment est fort – à la fois affreux et cocasse –, mais il rassure : Burton reste amoureux de son art. Le numérique n’a pas tué l’artisan en lui, celui pour qui chaque créature ressemble à une poupée, un jouet s’adressant à l’enfant, ou au défunt, qu’il y a en chacun de nous. Car évidemment il s’est d’abord produit cela, entre 1988 et 2024 : le passage de la pellicule au numérique, du matériel à l’immatériel, du carton-pâte au pixel. Passage des couleurs, si vives dans le premier film, à cette lumière de cave qui a désormais tout envahi. Il ne fait jamais jour au royaume du numérique. Il ne fait jamais vraiment nuit non plus. Ni in, ni off. Le monde reste en mode veille.

Le cinéma de Tim Burton a plus souffert que profité de ce changement de règne. Nombreux sont les admirateurs de la première heure – celle de Beetlejuice, d’Edward aux Mains d’Argent, des deux Batman et d’Ed Wood, cette merveille – qui ont cessé de le suivre à partir du passage à l’an 2000. Quel est le point commun entre Charlie et la Chocolaterie, Alice au pays des merveilles et Dumbo ? Ce sont des remakes. Des films refaits, boursouflé et hideux – encore que la laideur, chez Burton, ne soit pas sans attrait.

Beetlejuice Beetlejuice est donc une bonne nouvelle. C’est également un remake – autant qu’une suite à proprement parler. On a ressorti le train-fantôme, les morts reviennent hanter les vivants, le carnaval des âmes en peine repart en tournée. Tout cela ne manque pas d’allant. Bien sûr, comme deux films hollywoodiens sur trois aujourd’hui, on a l’impression que la chirurgie esthétique est ici le seul vrai sujet. Pendant un temps on ne voit que cela, la peau plus ou moins trafiquée des acteurs, leur maquillage et leur vieillissement, surtout chez ceux qui figuraient au casting du premier film, Winona Ryder et son air d’animal blessé, Catherine O’Hara en performeuse zinzin… Deux visages sortent toutefois du lot. Celui de Michael Keaton – à nouveau irrésistible en Beetlejuice –, moisi, pourri gâté, beau par là-même. Et celui, intouché encore, de l’excellente Jenna Ortega, découverte par le même Burton avec la série Mercredi.

Pas la peine de trépasser, tout le monde est mort ou semble l’être. C’est ce qu’on se dit en attendant que l’histoire démarre. Mais démarre-t-elle vraiment ? Pas sûr. Il y a bien une affaire de mariage le soir d’Halloween, entre Lydia (W. Ryder) et le blaireau new-age en charge de sa carrière de medium médiatique. Il y a bien aussi le séjour forcé d’Astrid (J. Ortega) dans cet « Au-delà au-delà » d’où Beetlejuice devra aider à la sortir. Rien de très palpitant d’un strict point de vue narratif. Pour l’essentiel, Beetlejuice Beetlejuice consiste en une succession menée tambour battant de morceaux de bravoure, pour certains chantés et dansés. Ce n’est pas un hasard si un refrain entendu à plusieurs reprises – celui du célèbre « MacArthur » Park de Richard Harris – évoque une recette possiblement perdue… D’un numéro à l’autre, Burton hésite entre le vintage et l’actuel. Entre le retour à ses débuts que favorise cette suite et la satire d’un monde, le nôtre, où tout, y compris l’au-delà, est devenu un business. D’un côté, donc, le fiancé d’Astrid, collectionneur de vinyles et fan de James Dean, faux joli cœur et vrai macchabée. Et de l’autre un parterre d’influenceurs qui, venus couvrir le mariage de Lydia, voient l’écran de leur smartphone se retourner soudain pour leur aspirer le visage : forte scène, là encore.

Ce va-et-vient n’abîme pas trop le film. De toute façon, le partage ne passe pas pour Burton entre le vieux et le neuf, ni même entre le matériel et l’immatériel – on le sent soucieux de ne pas abuser des effets numériques. Le partage passe, comme dans le premier film, entre les vivants et les morts. À cet égard, la conviction du cinéaste n’a pas bougé d’un iota depuis la fin des années 1980 : le monde des seconds reste mille fois plus drôle, plus excitant que celui des premiers. Seuls les morts vivent. Les autres tuent le temps.

Beetlejuice Beetlejuice. Tim Burton, 2024. États-Unis, 1h44. Avec : Winona Ryder, Jenna Ortega, Michael Keaton, Catherine O’Hara, Justin Theroux, Monica Bellucci, Willem Dafoe.

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