Enquête : Laurent Obadia, la sulfureuse éminence grise de la Macronie
Il fut haut fonctionnaire avant de se saborder. Aujourd'hui journaliste et écrivain, il raconte les malheurs de la Françafrique et porte la voix de ceux qui la combattent.
Vous ne connaissez sans doute pas son nom, mais Laurent Obadia est pourtant l’un des rouages essentiels de la Macronie. Ce communicant redouté dans le Tout-Paris est l’un des artisans de la terrible OPA de Veolia sur Suez. Proche d'Emmanuel Macron, l'homme a eu mille vies et cultive mille réseaux. Grâce à des documents jamais rendus publics, le Média éclaire la trajectoire d'un Laurent Obadia qui a frayé avec le maître-espion Bernard Squarcini, est parti en vacances aux frais de l’un des financiers du Front National, et s'est adonné à des activités d'espionnage envers le mentor de Volodymyr Zelensky. Entre grands noms du macronisme et missions de surveillance à la limite de la légalité, plongée dans un monde trouble où se mêlent trahisons, dictatures et paradis fiscaux.
Il était une fois un professeur de ping-pong, devenu l’un des personnages les plus puissants de France. Cette histoire n’est pas un conte de fées, car Laurent Obadia existe bel et bien. La trajectoire de ce gamin des Hauts-de-Seine, issu d’une famille modeste, a tout pour surprendre dans un pays où l’ascenseur social est depuis longtemps en panne. Mais il faut croire qu’Obadia a pris les escaliers, car, un à un, il a gravi les échelons qui font aujourd’hui de lui non seulement le directeur général-adjoint de Veolia, mais aussi et surtout un très proche d’Emmanuel Macron. Même les pires ennemis d’Obadia admettent le craindre, reconnaissant en lui un « autodidacte d’une rare intelligence ». Dans cet entre-soi de nantis et de bien-nés, dans cette république qui n’a pas vraiment aboli les privilèges, l’homme fascine car il ne doit rien à sa naissance et tout à son entregent. Il faut dire que le modeste employé municipal de Clichy a bien vite rangé les raquettes de tennis de table. Au cours des années 90, il a gagné la confiance de Didier Schuller, ce ponte du RPR mouillé dans une affaire de financement occulte de la chiraquie et qui, au lieu de se rendre à la justice, ira faire bronzette aux Bahamas. Puis Obadia se réfugiera sous l’aile de l’ancien magistrat anti-terroriste Alain Marsaud, qui le fera entrer à Vivendi Environnement (futur Veolia Environnement). Mais c’est avec le sulfureux Alexandre Djouhri qu’il enchaînera coup d’éclat sur coup de poing. Et qu’il aura pour la première fois les honneurs de la presse.
Un communicant aux mille réseaux
Nul hasard, sans doute, si Obadia a longtemps fait les quatre cents coups avec « Monsieur Alexandre », cet autre Rastignac parti de rien et arrivé à tout, petit banlieusard devenu marchand de pétrole, d’armes et d’influence, en Afrique ou au Moyen-Orient, le tout au service d’une droite à laquelle ce barbouze de génie est devenu indispensable. En 2004, Alexandre Djouhri n’a pas encore trempé dans le présumé financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Mais il fait déjà de l’argent, beaucoup d’argent. Il négocie des contrats à l’international dans le secteur de l’eau pour le compte de Veolia Environnement. Une filiale de la multinationale française doit se créer au Moyen-Orient. Un intermédiaire tunisien accuse Alexandre Djouhri de racket. Le ton monte, la rencontre organisée dans un palace parisien dégénère. Accompagné de son compère Obadia, Djouhri tape dans le tas et passe à tabac l’intermédiaire Mohamed Ajroudi. « Monsieur Alexandre » sera condamné par la justice à une amende, tandis qu’Obadia en sera quitte pour une nuit de garde à vue. Cet esclandre ne freinera pas la marche en avant de Laurent Obadia. Bien au contraire. Grâce à son amitié avec Djouhri, il se fait une place dans les réseaux Sarkozy. Il se taille aussi un nom chez les requins de la com’ en travaillant chez un des leaders du secteur, Euro RSCG (qui deviendra plus tard Havas, propriété du groupe Bolloré). En 2010, Laurent Obadia est appelé à la rescousse de Liliane Bettencourt, alors en pleine tempête médiatique parce qu’elle se serait montrée un peu trop généreuse avec l’entourage de Nicolas Sarkozy. Pour la coquette somme de 80 000 euros par mois, Obadia devient le « conseiller en relations publiques » de la femme la plus riche de France. « Madame (ndlr : Bettencourt) t’attend avec impatience et tu vas dormir dans la chambre à côté d’elle » écrit-on à Obadia dans un mail de juillet 2011. Le communicant organise les interviews de l’héritière de L’Oréal et l’accompagne même lors de voyages à l’autre bout du monde, dans des pays paradisiaques... dont Obadia est étonnamment familier.
Car l’ancien prof’ de ping-pong a le talent particulier de se faire des amis, partout où il passe. En 1998, il a posé ses valises à l’Ile Maurice. Il y est un temps devenu le conseiller économique du premier ministre Navin Ramgoolam, tissant sa toile dans ce pays qui devient peu à peu un trou noir de la finance mondiale, attirant évadés fiscaux de tout poil. Jusqu’en 2015, Laurent Obadia restera conseiller commercial auprès de l’ambassade de l’Ile Maurice à Paris (laquelle n’a pas souhaité répondre à nos questions). Ce n’est d’ailleurs pas la seule destination exotique où Obadia a placé ses billes. Au Gabon, monarchie françafricaine qui a pour habitude de financer nos compagnes présidentielles, il a cultivé sa proximité avec l’entourage du despote Ali Bongo, qui venait alors de succéder à son père. « Obadia était à tu et à toi avec le directeur de cabinet d’Ali, le très influent Maixent Accrombessi » nous raconte une ancienne connaissance gabonaise d’Obadia. Au point d’être prévu dans la délégation officielle d’Ali Bongo lorsque ce dernier se rend à Rio de Janeiro en 2012 pour participer à une conférence onusienne sur le climat. Ces conflits d’intérêts potentiels avec des puissances étrangères posent question, alors même qu’Obadia n’a jamais cessé de travailler pour Veolia, un géant des déchets et de l’eau présent jusqu’au Gabon, dans lequel l’Etat français a gardé des parts minoritaires via la Caisse des dépôts et consignations. Mais il y a plus troublant encore.
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