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Le Ciné-club hebdo d'Eugenio Renzi #1

Par Eugenio Renzi

Eugenio Renzi est critique de cinéma. Ancien membre de la rédaction des Cahiers du Cinéma, il écrit aussi pour le quotidien italien Il Manifesto.

Sous les apparences d’une offre presque infinie, les sites de streaming proposent en réalité un catalogue limité. Surtout, ils se contentent de mettre en avant quelques dizaines de films. On peut faire beaucoup mieux, même en période de confinement : quelques clics suffisent.

Ce ciné-club propose, avec un film par jour, des promenades en diagonale à travers le patrimoine mondial de l'image-mouvement, sans frontière de genre ni de format.

Avec un menu hebdomadaire. Lundi : film lunaire. Mardi : film de lutte. Mercredi : évasion. Jeudi : film jupitérien. Vendredi : film vénusien. Samedi : film marxiste ou satanique. Dimanche : film du Seigneur.

Seul élément contraignant : la disponibilité en streaming (payant ou, idéalement, via les médiathèques libres de droits).

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Lundi : film lunaire

Commençons la semaine par un film fou. Ou qui le semblait à sa sortie, mais dont le temps écoulé a démontré qu’il est on-ne-peut-plus sain d'esprit. En 2016, Gaz de France suggérait que l'absurde était possible. Aujourd'hui, le film vient seulement rappeler que la réalité est décidément aberrante. Le président Bird (Philippe Katerine, dans son meilleur rôle) est un ex-chanteur qu'une vague de dégagisme a envoyé à l'Élysée. Un an après son élection, sa cote de popularité est en chute libre. Incompétent mais arrogant, mou et pourtant têtu, il ressemble un peu à Berlusconi, pas vraiment à Coluche, pas mal à François Hollande. Son délire jupitérien, tout comme celui de Macron, étonne sans vraiment révolter. Ça n’est pas qu’il ne conviendrait pas au rôle de président ; il semble au contraire en révéler la nature. Vous imaginez la suite : le président Bird, possiblement le pire que la France ait connu, doit affronter une crise sans précédent... Pour savoir comment tout cela se termine, retrouvez le film en VOD (sur plusieurs plateformes).

CINÉ-CLUB HEBDO #1

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Mardi : film de lutte

Dans Comment j'ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon, Avi Mograbi est... Avi Mograbi, c'est à dire un documentariste israélien engagé qui décide de mettre sa caméra et son micro-perche au service d'une cause civique : tuer (politiquement) le monstre de Sabra et Chatila, l'organisateur de la colonisation des terres palestiniennes, le leader de la droite israélienne Ariel Sharon. L'occasion est offerte par une campagne électorale. Notre documentariste croit qu'il lui suffira de suivre de près l'ancien général de Tsahal pour démasquer le politicien véreux. Programme naïf, qui ne tarde pas à se retourner contre lui : c’est Avi qui tombe sous le charme d'Ariel… et commence à faire des cauchemars. Un film génial, une petite machine infernale qui a révélé l’un des plus grands cinéastes de notre temps, visible gratuitement en VO sous-titrée ici :

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Mercredi : évasion

La modernité, on le sait, consiste à mettre l'essentiel au premier plan : un couple, un moyen de locomotion (possiblement une voiture) et un pays à découvrir. Mais tout ce qui est au premier plan, on le sait aussi, ne devient par cela-même qu’apparence. Il y a toujours un arrière-plan, ou, comme dirait Tariq Teguia, un arrière-pays : Inland en anglais, Gabbia en arabe. Sur le devant, il y a un arpenteur. Il s'appelle Malek et accepte une mission du gouvernement algérien, qui consiste à partir cartographier une zone intérieure en vue de l’électrification. Le voilà dans cette région dévastée par la guerre civile mais en apparence pacifiée. Là, il rencontre des réfugiés d'autres guerres africaines que l'on chasse comme s'ils étaient des lapins. Parmi eux, une jeune femme noire épuisée et terrifiée se cache dans sa caravane. Le premier film de Tariq Teguia, Rome plutôt que vous, était citadin et circulaire. Ici le mouvement se fait en lignes droites, mais l'évasion n'en reste pas moins chimérique. L'un des plus beaux films des années 2000, étrange aventure dionysiaque et politique, racontée dans un langage à la fois poétique et enragé. 

Edit, 1/04/2020, 17h15 : Un accident de parcours, le premier mais pas forcément le dernier (quoi de plus éphémère qu'un lien internet ? Qu’un titre disponible sur YouTube ?), nous prive désormais du visionnage d'Inland, le film ayant été subitement retiré de YouTube. Ce qui ne manque pas de cohérence, pour un film sur la fuite. Il s'agit malheureusement d'un film très rare et ce lien était semble-t-il le seul actuellement disponible. On doit pour l'instant se contenter de l'extrait proposé plus bas... sans désespèrer de trouver une solution... En attendant, une évasion de secours peut-être trouvée sur la belle plateforme cinéphile MUBI.com (où sans doute l'on reviendra régulièrement). L'abonnement donne accès à une programmation de grande qualité, qui change en permanence (les films sont accessibles quelques semaines avant d'être remplacés par d'autres). L'expérience peut être entamée avec le très bel India Song de Marguerite Duras, visible encore pendant 6 jours.

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Jeudi : film jupitérien

L'éditeur Carlotta a récemment annoncé qu'une anthologie tirée de son catalogue est disponible en VOD. C'est l'occasion de revoir, dans une qualité impeccable, des films de Milos Forman, de Joe Dante, de John Landis... Malheureusement, l'un des titres les plus jupitériens de Carlotta n'est disponible qu'en DVD et Blue-ray (mais vous le trouverez en VOD sur d'autres plateformes, comme Apple store). Il s'agit de Network : Mains basses sur la télévision, de Sidney Lumet (1976). Cinéaste progressiste, Lumet a les qualités et les défauts du cinéma progressiste. Côté qualité : son scénario assure. Côté défaut, à peu près la même chose : aucun moment d'errance, aucun espace libre, aucune déviation, et le film, en dernière analyse, rassure tout le monde. En l'occurrence, il s'agit aussi de montrer comment l'esprit managérial est à même d'absorber toute sorte d'énergies et de convertir même la dissidence à son propre profit. Quand la chaîne UBS est rachetée par le groupe CCB, ce dernier décide de virer Howard Bale, qui présentait depuis 20 ans le JT du soir. Bale est censé lire une lettre de démission en direct… mais décide de changer de programme. La question du film est ainsi posée – jupitérienne s’il en est : peut-on renverser l’empire du management ? Bale retrouve son audimat lorsqu'il invite tout le monde à ouvrir la fenêtre et à crier avec lui : «  Je suis fou de rage et je ne vais plus accepter ça  ! ». Ce qui, nous sommes bien placés pour le savoir, veut dire exactement l'inverse : « Je suis soumis à tel point que ma colère n'ira jamais plus loin que mon balcon ! » Jupiter peut dormir tranquille.

LE CINÉ-CLUB HEBDO D'EUGENIO RENZI #1
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Vendredi : film vénusien

L'histoire des cinéastes femmes est tellement sous-estimée qu'on pourrait commencer par le début, les premières décennies du XXe siècle, où la grammaire du cinéma a été inventée. Mais les pionniers et les pionnières, ce sont aussi ceux et celles qui ont su renverser les codes, ou pousser le cinéma plus loin, souvent en retrouvant la simplicité des origines. Au début des années 1970, Carole Roussopoulos s'empare du premier système vidéo portatif pour entamer une carrière de cinéaste engagée aussi bien dans la lutte sociale que pour les droits de la communauté LGBT. Ses films sont pour la plupart des moyens-métrages. En une soirée, on peut en visionner facilement une petite dizaine. Pour un bon aperçu de la façon dont son regard a traversé les années 1970, avec une radicalisation formelle qui décline à sa manière un programme situationniste – tout en restant fidèle à la poésie présente dès son premier opus, Rester à la maison ou travailler ?, en visionnage libre ici :

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Samedi : film marxiste ou sataniste

C'est le sabbat, offrez-vous un film du diable. Bernardo Bertolucci a été le dernier cinéaste « hollywoodien » du cinéma italien. Hollywood a séjourné une dizaine d'année en Italie, plus précisément à Cinecittà, où ont été tourné les grands péplums des années 50 et du début des années 60. Les majors états-uniennes sont vites reparties, mais ont laissé sur place un savoir-faire et une idée : le cinéma, c’est l'art de faire rentrer un monde dans une boîte que l'on appelle un studio. Dans cette boîte, plus ou moins grande, on peut mettre les chars de Ben-Hur, le palais de Cléopâtre ou les esclaves qui suivent Spartacus. Bertolucci, qui était communiste, prend une ferme et y fait défiler les paysans de l'Émilie-Romagne : c’est le monumental Novecento, aux dimensions de ce que fut le communisme italien. Mais aussi extrêmement trivial. Marx partait de la simple marchandise pour faire apparaître à son lecteur le grand mouvement du capital et sa contradiction. Bertolucci part d'un accident, la naissance de deux enfants le même jour, pour dégager l’essentiel, c'est-à-dire ce qui détermine (l'un est fils de patron, l'autre de paysan). Tout Novecento possède une force dialectique qui fait croître et s’épanouir, sur le mode le plus ordinaire, les élements les plus structurants de l'histoire italienne. Le ciné-club breton de Plovan offre à ses amis le visionnage du film ; pour avoir le lien, vous pouvez écrire à : lestravauxlesjours@gmail.com

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Dimanche : film du Seigneur

Pour bien finir la semaine en célébrant dans la joie la gloire de Notre-Seigneur, une comédie. Récemment passé à meilleure vie (c'était l'été dernier, un 8 août), Jean-Pierre Mocky nous a laissé une œuvre faite de films gentiment sauvages. Un aristocrate désargenté, mais fidèle à l'oisiveté qui est la vertu de sa classe, trouve un stratagème pour subvenir aux besoins de sa famille sans se salir les mains au travail. La providentielle trouvaille ? Un bonbon au caramel accroché à un fil, qui peut être discrètement glissé par la fente des troncs, dans les églises, pour pêcher les pièces et les billets déposés en aumône par les fidèles… Un drôle de paroissien (1963) est tout entier à l’image de ce mielleux instrument et de la ténacité naïve de son héros, magnifiquement campé par Bourvil. Le film est visible sur plusieurs plateformes en VOD. Mise en bouche :

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