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L’école ou la rue : près de Lyon, l’amère réalité des familles sans-abri

Par Tania Kaddour-Sekiou

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Le collectif lyonnais Jamais Sans Toit tente coûte que coûte de trouver des solutions d’hébergement pour les familles sans-abris, au prix de frictions régulières avec les pouvoirs publics.

Il est 16h30, en ce début d’avril, lorsque la sonnerie de l’école Grandclément de Vaulx-en-Velin retentit, sonnant le glas d’une longue journée de cours pour les élèves et le début des agitations pour le collectif Jamais Sans Toit. À quelques mètres de la sortie, sur la place Gilbert Boissier, des bénévoles installent une table et des banderoles. Ils organisent un goûter solidaire en soutien aux familles mises à nouveau à la rue avec la fin du plan Grand Froid dans le Rhône. « Un toit c’est un droit !  », peut-on lire sur l’une des bannières. « Soirée pyjama chez Hélène Geoffroy !  » indique une autre, qui vise spécifiquement la première édile de cette ville de 47 000 habitants, ancienne secrétaire d’État à la Ville, en charge de la lutte contre les discriminations sous le mandat de François Hollande. Sur la table, des gâteaux fait maison sont disposés à côté des tirelires qui servent à récolter les dons destinés aux familles prises en charge par le collectif.

Des familles en situation précaire

Créé il y a 4 ans, Jamais Sans Toit est un collectif de parents d’élèves, de bénévoles et d’enseignants qui aide, trouve des solutions d’hébergement pour les familles à la rue et porte leur voix auprès des institutions. Tout commence lorsque des parents d’élèves et des enseignants remarquent des enfants épuisés en classe. Ils avaient passé la nuit dehors, dans un squat ou un abri de fortune, « le cartable bouffé par les rats », ajoute Marie Lugnier, secrétaire générale de la FCPE Rhône. Ces enfants sont pour la plupart des migrants dont les familles ont fui leur pays d’origine. « Ils viennent de tous les pays possibles et imaginables, que ce soit l’Arménie, les Comores, l’Angola...  », précise Annie Dureux, membre du collectif à Vaulx-en-Velin. « Nous ne pouvions pas rester impuissants face à cela, j’ai moi-même un enfant, je me sens concerné », ajoute un parent d’élève devant l’école Grandclément. L’insécurité et la précarité sont des situations encore plus difficiles pour de jeunes enfants, alors même que « certaines femmes sont enceintes, d’autres ont un enfant handicapé  », explique Annie Dureux.

Au total, sur la seule commune de Vaulx-en-Velin, on dénombre 18 familles sans logement, dont « 33 enfants » selon le collectif. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter avec la fin du plan Grand Froid, les familles étant de nouveau livrées à la rue. Du côté de Lyon, à l’école Berthelot, ils sont 5 enfants sans-abris avec leurs familles, et 8 à l’école Michel Servet. Au total, il y aurait plus de « 200 enfants » sans-abris sur Lyon selon Nadia Boutonnet, membre du collectif dans la capitale régionale.

Seule solution, dormir à l’école

À Vaulx-en-Velin, les militants de « Jamais Sans Toit » occupent des écoles après le temps scolaire afin de loger les familles et les enfants. « Nous faisons des occupations tournantes  » explique Nicolas, membre du collectif et parent d’élève à l’école Grandclément. Le principe : ne pas toujours occuper les mêmes écoles. « Les occupations se font dans le respect des locaux et du matériel. On rend les locaux bien plus propres que lorsqu’on les a trouvés  », poursuit Nicolas. Les écoles sont sous la responsabilité de la mairie, et celle-ci ne voit pas la mobilisation d’un bon œil. La maire, Hélène Geoffroy, s’est d’ailleurs exprimée à ce sujet par un communiqué de presse daté de janvier dernier. Elle « condamne avec la plus grande fermeté l’état dans lequel sont laissés les locaux et matériels des écoles après les occupations nocturnes  ». La municipalité tente d’empêcher l’accès du collectif à certaines écoles. Les écoles Henri Wallon, Anatole France ou Angélina Courcelles sont ainsi déjà quadrillées par la police lorsque le collectif pénètre dans l’école. La mairie, de son côté, a refusé de répondre aux questions du Média.

« Une occupation d’école, pour un enfant, c’est perturbant  » ajoute Nicolas. En effet, les jeunes élèves dorment sur des lits de camps et ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas quitté l’établissement de la journée. D’autres solutions, telles que les nuits à l’hôtel payées par les dons, ou l’altruisme de bénévoles qui ouvrent la porte de leur domicile aux familles sans-abris, restent toutefois temporaires et précaires.

En dehors du temps scolaire, les associations doivent obtenir l’autorisation de la mairie pour organiser un évènement dans l’enceinte des écoles. Le collectif les occupe donc hors du cadre légal, et la mairie s’empresse de contacter les services de police. « Je condamne plus encore l’intimidation à l’endroit des agents municipaux lors de ces actions illégales. Face à ces comportements inacceptables, la Ville n’exclut pas l’action judiciaire  » s’insurgeait ainsi la maire Hélène Geoffroy. « On préfère menacer plutôt qu’aider  », rétorque Magali Busquet, membre du collectif et parent d’élève à Vaulx-en-Velin.

Des listes qui ne cessent de s’allonger

Pour répertorier les familles sans-abris de la région, le collectif réalise des listes qui contiennent le nom, le prénom, la date de naissance et l’école dans laquelle les enfants sont scolarisés. Elles sont envoyées à la Maison de la veille sociale du Rhône, qui « évalue la vulnérabilité des familles selon différents critères avant de proposer d’éventuelles solutions  », explique la préfecture. Ces sélections, qui se fondent notamment sur l’âge des enfants, l’existence de handicaps ou de maladies, constituent « un tri inhumain  » pour Maître Tatiana Bechaux, avocate spécialiste du droit des étrangers. Nicolas, membre du collectif, s’énerve que l’on ajoute « des critères aux critères  ». La préfecture persiste : « les listes ne nous ont jamais été transmises. En voulant faire un circuit parallèle, le collectif met des gens en difficulté  ».

« Nous sommes dans l’illégalité car l’État est lui-même dans l’illégalité »

Le collectif reproche aux institutions leur inaction devant une situation problématique. « La mairie de Vaulx-en-Velin et la préfecture du Rhône se renvoient la balle. Des solutions, il en existe, mais ils ne veulent pas gérer ce problème plus qu’ils ne le font actuellement  », s’insurge Nicolas. « Ce n’est pas au citoyen de pallier les manquements de l’État  », ajoute Marie Lugnier. La mairie prend tout de même à sa charge les repas scolaires des enfants sans-abris et permet certaines réductions pour des activités extra-scolaires.

« L’asile relève de la compétence exclusive de l’État, en l’occurrence de la Préfecture, et des lieux d’hébergements sont ouverts par les communes à sa demande  » écrivait Hélène Geoffroy dans son communiqué. À Montreuil ou à Paris, les maires ont pourtant fait le choix de réquisitionner des logements pour loger des migrants. De son côté, la préfecture évoque « un principe de réalité  » à prendre en compte. « Les personnes en situation irrégulière n’ont pas vocation à être aidées  », conclut-elle.

L’hébergement d’urgence, un droit inconditionnel

« Le droit à l’hébergement est une compétence de l’État  » explique Maître Tatiana Bechaux. Selon le Code de l’action sociale et des familles, « toute personne sans-abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence  ».

« Il y a 3 degrés dans le cadre de l’hébergement d’urgence  » explique le porte-parole de la préfecture : « l’engagement classique d’hébergement d’urgence pérenne, la période hivernale d’octobre à mars, le plan Grand Froid  ». Ce dernier est mis en place lorsque les températures sont inférieures à 0 degrés trois nuits de suite. Sur l’année 2017, 1200 places étaient allouées dans le cadre du plan Grand Froid, contre 1300 cette année. Pourtant, il y aurait « 1800 personnes à la rue  », selon Annie Dureux. « Le problème de la préfecture, c’est qu’elle ne pérennise pas ces places  », commente l’avocate Tatiana Bechaux. Du côté de la mairie, Hélène Geoffroy met en avant les « plus de 700 places qui bénéficient chaque année à plus d’un millier de personnes  » sur la seule commune de Vaulx-en-Velin. Plusieurs centaines d’hommes et de femmes restent cependant à la rue.

« Nous travaillons étroitement avec les collectivités pour trouver les terrains, aménager des locaux, les louer, ce qui a un coût pour l’État alors que le flux migratoire ne cesse d’augmenter  », précise la préfecture. Des coûts indirects qui comprendraient « l’expertise sociale, l’analyse ou encore l’appel à des experts  ».

« Nous avons conscience que le dispositif n’est pas parfait »

Dans le cadre du plan Grand Froid initié par la préfecture, toutes les familles présentes sur la commune de Vaulx-en-Velin ont été hébergées, après de longs mois d’attente, certaines à plusieurs kilomètres des écoles de leurs enfants. « Plutôt que de dormir dehors, les familles préfèrent faire plus d’une heure de trajet pour emmener les enfants à l’école  » s’émeut Nicolas. « Un changement d’école change les repères de l’enfant  », explique Marie Lugnier.

Le Plan Grand Froid, qui a débuté le 1er novembre dernier et devait prendre fin le 31 mars. a été prolongé à titre exceptionnel jusqu’à la fin avril par la préfecture du Rhône. À cette date, plusieurs familles et enfants ont du quitter les hébergements, sans alternatives pérennes. « Les institutions sont hors la loi, elles ne sont pas supposées remettre les gens à la rue  », considère l’avocate Tatiana Bouchaux. Le collectif s’émeut du manque d’implication des pouvoirs publics : « On a l’impression que sur Lyon, tout est fait pour que les familles soient hébergées au plus vite. C’est une question d’image, de volonté politique  » dénonce Nicolas.

« Hélène Geoffroy, parait que t’as un toit, on va tous dormir chez toi »

Le 13 mars dernier, lors d’une manifestation du collectif vaudais, une banderole demandait la « réquisition des logements de fonction  » : d’après les manifestants, 13 habitations seraient inoccupées. La mairie n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet, malgré de multiples relances. « Le collectif ne sait pas de quoi il parle, ils ne sont pas dans le circuit de travail, ils n’ont pas toutes les informations  », nuance la préfecture. Dans un précédent communiqué, la municipalité s’emportait contre les personnes mobilisées, considérant que « La détresse que vivent quelques familles (…) ne saurait être préemptée, instrumentalisée par quelques activistes en mission, démonstratifs et donneurs de leçon  ».

« Il appartient à l’État d’ouvrir des places supplémentaires »

Davantage de places, mais également davantage de moyens pour prendre en charge ces familles : c’est ce qu’avait promis le sous-préfet Clément Vivès lors d’une intervention auprès du collectif en janvier dernier. Du côté de la FCPE, « un projet pour monter une commission de travail afin de trouver des solutions pérennes d’hébergement  » est en cours, en relation avec le collectif Jamais Sans Toit, tandis que la maire de Vaulx-en-Velin fait déjà partie d’une commission de travail dédiée aux logements et habitats sur sa commune. Sur ce point, la préfecture indique faire « un travail partenarial avec l’ensemble des associations  ».

Une question reste cependant en suspens : que deviendront les familles sans-abris lors des vacances scolaires ? La mairie de Vaulx-en-Velin n’a pas non plus souhaité s’exprimer à ce sujet, renvoyant seulement vers le communiqué de presse de janvier dernier. Pour sa part, la préfecture explique qu’il est difficile de travailler avec le collectif, « des personnes éphémères qui veulent faire un coup de communication  ». « Entre juillet et août, les familles dorment souvent dans des parcs  » explique Nicolas. « À Lyon, on vit au jour le jour  » ajoute Nadia Boutonnet, militante lyonnaise du collectif. « Les pouvoirs publics maintiennent les gens dans une situation de précarité  », conclut Maître Tatiana Bouchaux. Dès la rentrée prochaine, malgré l’opposition de la mairie et de la préfecture, le collectif prévoit de nouvelles occupations d’écoles.

Crédits photo de Une : Collectif Jamais sans toit.

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