Parce qu’il n’est plus possible que seuls “les milieux autorisés” soient autorisés à penser notre monde, ses réalités et ses combats. Cette émission se veut le carrefour des intellectuel·le·s, penseuses·eurs et actrices·eurs des luttes sociales dissident·e·s et/ou invisibilisé·e·s.
Comprendre la domination policière : le savoir au service des luttes
Julien Théry reçoit Mathieu Rigouste pour Le Média à l'occasion d'une réédition de son livre "La Domination policière", avec deux chapitres supplémentaires.
Il y a dix ans, Mathieu Rigouste publiait "La Domination policière", une étude socio-politique de la police française qui est aujourd'hui un classique de la recherche dans ce domaine.
Les études ont en effet rapidement intégré les principales thèses du livre, à savoir la généalogie coloniale de l'ordre policier actuel, la tendance structurelle à une militarisation du maintien de l'ordre policier, enfin une différenciation des régimes de maintien de l'ordre selon des critères socio-ethnico-spatiaux, autrement dit l'existence d'un apartheid socio-spatial qui va de pair avec une "guerre de basse intensité" menée par la police dans les banlieues défavorisées.
L'auteur présente d'abord ces additions à la version première : il s'agit, en premier lieu d'une mise en perspective historique plus approfondie, avec une synthèse des apports de nombreux travaux sur la mise en place du capitalisme patriarcal et des dispositifs de domination afférents, et en second lieu d'une mise à jour, avec l'analyse des évolutions importantes survenues sous les quinquennats Hollande et Macron - lesquels ont vu une nette accentuation de la répression et de sa militarisation, en relation avec l'entrée dans une nouvelle phase d'imposition de l'ordre néolibéral.
La dernière partie de l'émission est consacrée à une discussion autour des liens entre recherche et militantisme politique. La prétendue "neutralité axiologique" que l'on a pris l'habitude en France de promouvoir au nom du grand sociologue Max Weber résulte en réalité d'une traduction falsifiée (à l'initiative de Raymond Aron), d'un texte de Weber. Ce dernier souligne au contraire que la neutralité est impossible pour un chercheur en sciences sociales ; s'en réclamer revient en fait à cautionner implicitement l'ordre en place.
Le caractère nécessairement subjectif de la position de tout chercheur n'empêche nullement l'objectivation des phénomènes étudiés. Il impose, en revanche, que le chercheur présente explicitement sa position subjective, les valeurs qui sont les siennes et la façon dont elles déterminent les orientations de son travail. Tel est le véritable enseignement de Max Weber.
Pour Mathieu Rigouste, l'étude de la domination policière vise aussi bien à la connaissance de l'ordre socio-politique dont elle est le produit et l'instrument qu'à sa remise en cause au bénéfice des dominés. La vocation de son livre est donc aussi bien savante que militante : il s'agit d'une boîte à outil pour la pensée et pour l'action. Dans le même esprit, Mathieu Rigouste est membre de l'équipe du site internet "Enquête critique" (https://enquetecritique.org/), une "Plateforme de recherche en sciences sociales depuis les luttes 100% indépendante, libre & autogérée pour une auto-éducation populaire, collective et émancipatrice".