Comment peut-on se convaincre que la différence de mortalité entre 2019 et 2020 est réellement imputable au Covid-19 ?
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Vous avez été nombreux à lire et partager notre analyse de la surmortalité dans le cadre du Covid-19. Nous avons donc décidé de publier, pour les curieux, un complément sur notre démarche.
De nombreux phénomènes peuvent expliquer la différence de mortalité entre mars 2019 et mars 2020. Le Covid-19 n’est que l’un d’entre eux. Dans certains département, son impact est trop faible pour être décelable. Nous avons donc limité notre article à l’étude des départements pour lesquels l’impact est particulièrement significatif.
Pour tester l’hypothèse selon laquelle la hausse de mortalité que nous constations dans ces départements était bien attribuable en grande partie au Covid-19, nous avons réalisés plusieurs tests.
La première vérification que nous avons faite a été de s’assurer que la mortalité était stable entre 2019 et 2020 sur le mois de mars dans les départements épargnés par le Covid-19. Pour cela, nous avons estimé la différence de mortalité entre 2019 et 2020 dans 10 départements officiellement sans décès lié au Covid-19. Si notre hypothèse est exacte, nous devrions trouver une différence de mortalité proche de zéro dans chacun de ces départements. Nous ne nous attendons pas à trouver exactement zéro, car la mortalité peut-être considérée comme une variable aléatoire, déterminée par un processus stochastique. Pour cette raison, nous avons recours à ce qu’on appelle des “intervalles de confiance”. Ces intervalles décrivent l’ampleur des fluctuations statistiques attendues. Voici le résultat :
Les variations de mortalité estimées sont représentées par les points, département par département. Les intervalles de confiance sont représentés par les barres verticales. Si la barre inclut la valeur 0, on dit que la mortalité est “compatible” avec une variation nulle. C’est le cas de tous les départements, sauf le 46 et le 24. Dans ces départements, on peut affirmer que la mortalité a baissé de manière significative en 2020. Par ailleurs, dans tous les départements, on peut affirmer que l'espérance de mortalité (le nombre moyen de décès attendus), n’a certainement pas augmenté de plus de 50 décès par mois, ou tout au plus de quelques dizaines de décès par mois.
La conclusion générale est la suivante : la mortalité observée en 2020, dans les départements non touchés par le Covid-19, est en général compatible avec celle observée en 2019. Les seuls écarts significatifs indiquent une baisse de la mortalité dans ces départements en 2020. De plus, une augmentation de la mortalité au-delà de quelques dizaines de décès hors Covid-19 est exclue par ces observations.
Une fois rassurés sur ce point, nous pouvons nous intéresser plus globalement à la corrélation entre le nombre de décès attribués au Covid-19 et la variation de mortalité constatée. Pour cela on place chaque département sur un même graphique, avec un intervalle de confiance à titre indicatif qui indique grossièrement l’ampleur de fluctuations attendues. Voici ce qu’on obtient :
On observe qualitativement que les départements peu touchés connaissent des variations faibles de mortalité, en général à tendance négative, ce qui confirme notre analyse précédente. On observe que la surmortalité est bien plus élevée dans les départements touchés. La tendance est grossièrement décrite par une droite de pente 1,8. Comme cette droite semble grossièrement décrire la relation entre surmortalité et nombre officiel de victimes du Covid-19, il semble bien que le Covid-19 en soit la cause. Le fait que cette pente soit plus grande que 1 suggère le nombre de décès dus au Covid-19 est bien sous-évalué.
Cette méthode est bien sûre très limitée. Les analyses qui visent à estimer chaque année la mortalité imputable à la grippe, par exemple, sont plus sophistiquées. Elles consistent, grossièrement, dans un premier temps, à calculer la surmortalité observée par rapport à la mortalité attendue hors épidémies. Cette mortalité attendue peut-être obtenue à partir de modèles approximatifs qui tiennent comptent de la variation démographique sur des temps longs, ainsi que des variations saisonnières. En corrélant cette surmortalité avec des données sanitaires issues d’un échantillon de médecins, comme le réseau sentinelles en France, il est possible d’imputer une partie de cet excès de surmortalité à la grippe. De telles analyses, pour le Covid-19, permettront de mieux quantifier la surmortalité imputable à cette épidémie.
Malgré tout, nos constats sont déjà confortés par les données qui s’accumulent. Nos observations suggèrent que le décompte officiel pour mars ne reflétait environ que la moitié de la surmortalité. Or ces données ne comprenaient pas les décès survenus en EHPAD. Ceux-ci ne sont publiés que depuis quelques jours. À cette heure, aux 6.500 décès survenus à l’hôpital s’ajoutent désormais officiellement 2.400 décès en EHPAD : une partie significative des décès était en effet invisible dans les données de mars.