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Trump, Élu de Dieu : vers le Millenium, l'Âge d'or, l'Apocalypse ?

Par Joël Schnapp

Historien, Joël Schnapp a publié Prophéties de fin du monde et peur des Turcs au XVe siècle : Ottomans, Antichrist, Apocalypse (éd. Classiques Garnier).

Donald Trump a beaucoup usé d’une puissante rhétorique religieuse tout au long de sa campagne présidentielle victorieuse, avec un fort recours à l’eschatologie qui a contribué à son succès dans les milieux évangéliques. Mais après son retour au pouvoir, en quoi va consister cet « Âge d'or » qu'il n'a cessé de promettre ? L'enjeu du quinquennat qui est sur le point de s'ouvrir aura une dimension théologique, souligne l'historien Joël Schnapp. De quoi nourrir des inquiétudes, car le « Millenium » de bonheur pourrait bien aussi être une « Grande Tribulation » et tourner à la dystopie.

À Mar a Lago, depuis la victoire de Donald Trump, la fête n’en finit plus. Les puissants du monde entier, de l’argentin Javier Milei à Viktor Orban, comme les Américains (le futur ministre Elon Musk, Sylvester Stallone, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg ou Ted Sarandos, le patron de Netflix), accourent pour présenter leurs hommages au president elect dans son immense palais de Palm Beach. L’afflux de personnalités du monde entier est d’ailleurs si soutenu que les édiles de la cité balnéaire ont rédigé une demande officielle visant limiter à le nombre d’événements chez le futur président : la sécurité impose en effet la fermeture de routes, la ville se retrouve coupée en deux et les résidents se plaignent  !

Comment expliquer cette joie profonde, cette félicité continue depuis le 5 novembre ? Il y a sans doute plusieurs facteurs à prendre en compte. Si l’ambiance est à l’euphorie dans le camp MAGA (« Make America Great Again »), c’est d’abord que le retour de Trump aux affaires était relativement inattendu. Dans l’histoire récente des États-Unis, on n’avait d’ailleurs plus vu un président vaincu s’imposer à nouveau depuis 1892 et la réélection, pour un deuxième mandat non consécutif, du démocrate Grocer Cleveland. De plus, les multiples affaires pour lesquelles le milliardaire a été poursuivi, qu’il s’agisse de la procédure concernant Stormy Daniels, la star du porno, de la condamnation à 364 millions d’amende pour fraude fiscale en février 2024 ou même de l’affaire de l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, ont longtemps pesé lourd. Il y a un an, les analystes ne donnaient pas cher de la peau de l’ex-président et l’inversion de la tendance a été spectaculaire. La victoire, qui plus est, a été longtemps incertaine et le futur président doit bien plus à l’effondrement démocrate qu’à un plébiscite en sa faveur. Certes, il a gagné 3 millions de voix par rapport à 2020, mais Kamala Harris en a perdu 6 millions par rapport à Joe Biden (les électeurs musulmans, en particulier, ont fui la candidate démocrate, qui n’a pas voulu dénoncer la guerre à Gaza). En dépit de ces monstrueuses difficultés, le champion MAGA s’est imposé et ses soutiens ressentent naturellement un certain soulagement, doublé d’une intense satisfaction.

Trump, élu de Dieu : vers le millenium, l'âge d'or, l'apocalypse ?

Mais il est sans doute une autre raison qui justifie la joie durable des républicains trumpistes : tout au long de sa campagne, le milliardaire a usé d’une puissante rhétorique religieuse, marquée par un fort recours à l’eschatologie, qui a indubitablement contribué à son succès dans les milieux évangéliques. Dans cette optique, Trump a reçu un soutien de poids, celui de Franklin Graham, le fils du célèbre prêcheur évangélique Billy Graham. Après l’attentat de Butler en Pennsylvanie, le révérend a déclaré que Trump était sans doute possible l’élu du Seigneur et qu’il devait à sa vie à une intervention divine. L’équipe de campagne a dès lors fait feu de tout bois pour présenter Donald Trump sous les traits de différents personnages bibliques qui ont tous considérablement péché mais ont néanmoins été choisis par Dieu : le fondateur de l’empire perse Cyrus, le roi David, ou le Dernier Empereur du monde de la littérature apocalyptique, selon les cas.

Bien entendu, il ne s’agissait pas seulement de promouvoir l’ex-président comme l’Élu de Dieu. La rhétorique de l’apocalypse a également servi à dénigrer, dans des discours d’une violence quasi insoutenable, son adversaire démocrate. Dans un article publié dans la New York Review, le journaliste irlandais Fintan O’Toole rappelait, entre autres, que durant la campagne, le milliardaire n’avait cessé de présenter Kamala Harris sous les traits de la Grande Prostituée de Babylone, en référence au chapitre 17 de l’Apocalypse de Jean. C’était à cause d’elle et de la politique migratoire démocrate, affirmait sans sourciller le milliardaire, que des meurtriers étaient entrés dans le pays. Elle aurait littéralement « du sang sur les mains ». Bien que peu crédible, l’argument a manifestement porté ses fruits.

Désormais, dans l’attente interminable de la passation de mandat, programmée ce 20 janvier, c’est plutôt la dimension millénariste des propos du futur président américain qui retient l’attention. La fin du monde et ses terribles tribulations ont été repoussées grâce à son élection, tout doit désormais changer, pour le mieux, pour la plus grande gloire des États-Unis et de Dieu. Et si l’on s’en tient aux promesses, il y a de quoi avoir le cœur en liesse ! Car il ne s’agit pas seulement de mettre fin au déclin qu’il n’a cessé de dénoncer durant la campagne. C’est un véritable Âge d’or que prépare le futur président. Telle était sa promesse lors de sa dernière adresse aux américains, la veille du vote, qui insistait avec un ton quasi christique sur le mot groceries (au sens de courses) :

« Voter pour Trump signifie que vos courses seront moins chères. Il y a tellement de gens qui me parlent de leurs courses, ce mot magnifique et simple, courses, ‘Monsieur, mes courses’. On n’y pense pas de cette façon, mais c’est ce dont ils parlent le plus souvent, ‘mes courses’. Vos salaires seront plus élevés, vos rues seront plus en sécurité et plus propres ; vos communautés seront plus riches et votre avenir sera plus brillant qu’il ne l’a jamais été… ce sera l’âge d’or de l’Amérique ».

Le Millénium consécutif au retour du Christ était déjà au cœur des préoccupations des Pères Pèlerins, les dissidents anglais qui fondèrent au XVIIe siècle Plymouth, la première colonie de Nouvelle Angleterre.

Cette envolée démagogique permettait à Trump de se revêtir d’une aura populaire ; on aurait cru entendre une tirade de M. Smith au Sénat, le film de Frank Capra ! Bien entendu, la posture ne résiste pas longtemps à l’analyse : étant lui-même fils de multi-millionnaire, Trump n’a sans doute jamais fait de courses de sa vie. L’image n’en était pas moins porteuse : elle donnait l’impression que le prétendant à la Maison Blanche se préoccupait du sort de ses concitoyens et de leurs difficultés économiques. Voire…

Au-delà du simple hymne à la consommation retrouvée et à la confiance restaurée, Trump préparait la victoire en renouant avec un élément essentiel de la théologie évangélique : le Millénium. L’idée provient trouve sa source dans un passage particulièrement obscur des chapitres 19 à 22 de l’Apocalypse de Jean : à la fin des temps, il y aura une période de mille ans qui s’étendra entre la Parousie et la bataille d’Armageddon. D’abord le Christ reviendra et jettera les Bêtes dans l’étang de feu. Un ange enchaînera le Diable, « l’antique serpent », pour mille ans. Les martyrs reviendront à la vie et vivront avec le Christ durant cette période (en cela, on peut identifier Millénium et Âge d’or). Puis le Diable se libèrera de ses chaines, les peuples infernaux de Gog et Magog se rassembleront. Alors se tiendra la grande bataille eschatologique. La séquence s’achève sur la Résurrection des morts et le Jugement Dernier.

Quand le futur président annonce un prochain Âge d’or, on peut parfaitement y voir, comme Romaric Godin une référence nostalgique et inquiétante au fameux Gilded Age, la « période dorée » de la fin du XIXe siècle au cours de laquelle l’économie américaine a connu un développement extraordinaire. L’expression a été popularisée par Mark Twain, qui a donné ce titre à l’un de ses plus célèbres romans. Après une campagne qui a usé et abusé de symboles eschatologiques et millénaristes, cependant, ce serait une erreur d’ignorer l’enjeu théologique. Le Millénium consécutif au retour du Christ était déjà au cœur des préoccupations des Pères Pèlerins, les dissidents anglais qui fondèrent au XVIIe siècle Plymouth, la première colonie de Nouvelle Angleterre. Trump le sait parfaitement, lui qui dans son discours de victoire, le 6 novembre 2024, réaffirmait sa foi dans un véritable âge d’or à venir .

Trump n’a-t-il pas promis un refoulement massif d’étrangers en situation irrégulière, avec l’organisation de « la plus grande déportation de tous les temps » ?

En fait d’Âge d’or, c’est plutôt dans une dystopie, c’est-à-dire une fiction dans laquelle l’auteur dépeint un avenir sombre sous la coupe d’un gouvernement totalitaire, qu’on s’apprête à entrer : une période lourde de répression et de régressions. Les Américains ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils se sont précipités, au lendemain de l’élection, sur la littérature dystopique, en particulier sur La Servante écarlate et 1984. Si l’on s’en tient aux annonces faites par le futur président, il y a de quoi être sérieusement inquiet.

Parmi les premières conséquences de la victoire de Trump, on a pu constater la désinhibition totale des soutiens du milliardaire. Le monde entier a vu avec horreur une poignée de néonazis manifester tranquillement, au vu de tous, drapeaux ornés de svastika au vent. C’était à Columbus, en Ohio, à la mi-novembre. George Rockwell, le fondateur du néonazisme américain, obtenait là une incroyable victoire posthume. Dans les prochaines semaines, on peut évidemment s’attendre à une violente répression contre les migrants : Trump n’a-t-il pas promis un refoulement massif d’étrangers en situation irrégulière, avec l’organisation de « la plus grande déportation de tous les temps  » ? En outre, un peu partout, les masculinistes ont le vent en poupe et affirment leur domination sur les femmes, notamment sur la question de l’avortement : your body, my choice (littéralement « ton corps, mon choix »), lit-on fréquemment sur les réseaux sociaux. Et il ne faut guère se faire d’illusion : les minorités ethniques et sexuelles, de même que les acteurs sociaux, seront en danger. Enfin, le saccage environnemental, théorisé par l’expression Drill, baby, drill (« fore, chéri, fore » [pour extraire des hydrocarbures]) est certain.

« Dans quatre ans, vous n’aurez plus à voter à nouveau. Nous aurons tout arrangé ». D. Trump, discours aux chrétiens du groupe Turning Point Action, 26 juillet 2024.

Il y a peut-être plus inquiétant encore. À la fin juillet, le candidat républicain s’adressait aux chrétiens dans des termes aux évidentes consonances bibliques :

« Et encore une fois, chers chrétiens, sortez de chez vous et allez voter ; juste cette fois-ci ; vous n’aurez plus besoin de le faire. Vous n’aurez plus besoin de voter à l’avenir, mes beaux amis chrétiens. Je vous aime, je suis chrétien, je vous aime ; sortez de chez vous et votez. Dans quatre ans, vous n’aurez plus à voter à nouveau. Nous aurons tout arrangé, si bien que vous n’aurez plus besoin de voter  ».

Dès le lendemain, l’équipe de campagne de Kamala Harris dénonçait vigoureusement ces propos, entendus comme expression d’une « volonté de renversement de la démocratie ». Le porte-parole de la candidate, James Singer, affirmait que Trump le criminel lançait l’assaut contre la démocratie. Jusqu’à ce jour les démocrates continuent, sans beaucoup de résultats visibles, à exploiter ce filon. En décembre dernier, la démocrate défaite incitait de nouveau les jeunes à rester combatifs, parce que la démocratie était assaillie. À l’entendre, on devait voir dans les paroles du milliardaire la volonté de prolonger l’insurrection du 6 janvier pour changer définitivement de régime.

L’explication se tient, mais l’attention aux aspects théologiques peut légitimement conduire se demander si, derrière cet appel aux chrétiens et cet amour affiché de la foi chrétienne, il n’y a pas aussi une pensée éminemment eschatologique. Dans cette optique, la victoire de Trump, l’Élu de Dieu, a permis une victoire écrasante sur les forces du Mal. Or, le millénium constitue l’une des pierres angulaires du christianisme évangélique. Au cours du XIXe siècle, l’Irlandais John Nelson Darby a mis au point une doctrine religieuse particulièrement complexe, le dispensationalisme, selon laquelle le millénium devait bientôt advenir . Au fil des années, ce système théologique a évolué et le millénium des évangéliques diffère désormais considérablement de l’âge d’or traditionnel, tel que le concevaient les Pères de l’Église.

Trump, élu de Dieu : vers le millenium, l'âge d'or, l'apocalypse ?
William E. Blackstone, Jesus is Coming, Fleming H. Revell Company, éd. de 1932

Ainsi, pour les évangéliques, les élus seront emmenés au ciel par le Fils de l’Homme après un premier retour de Jésus (ils attendent the Rapture, c’est-à-dire l’enlèvement), tandis que les autres resteront sur terre et vivront la Grande Tribulation (Jésus reviendra une seconde fois au terme de cette dernière, pour la grande bataille d’Armaggedon puis le Jugement Dernier). On parle de prémillénarisme pour désigner cette doctrine, qui a connu un grand succès auprès des évangéliques les plus radicaux avant de gagner en popularité au fil du temps. Jesus is coming proclamait William Blackstone en 1878, dans son livre éponyme. Le succès a été immense et l’ouvrage est devenu l’un des outils de propagande évangélique les plus efficaces du XXe siècle.

C’est peut-être bien ce qu’imagine ou fait imaginer Trump quand il annonce que les chrétiens n’auront plus besoin de voter : si Jésus revient, il emmènera avec lui une bonne partie des chrétiens. Les autres resteront sur terre, verront s’accomplir une à une les effroyables prophéties de l’Apocalypse de Jean et subiront de terribles persécutions. Et quoi qu’il en soit, si le Fils revient, la question démocratique ne pèsera certainement pas lourd. Une telle vision du millénium comme tribulation ne coïncide certes pas vraiment avec celle de l’âge d’or. Mais Trump est connu pour être un opportuniste, en politique comme en affaires. Il n’y a aucune raison qu’il en aille autrement en matière de théologie.

Au cœur de la propagande de Trump, l’eschatologie joue donc un rôle central. On en verra rapidement les conséquences sur le sol américain : soit le néo-isolationisme et la fermeture des frontières permettront une relance vigoureuse de l'économie, auquel cas le futur président gagnera en popularité et consolidera son image de sauveur eschatologique de l’Amérique ; soit l'arrêt de l'immigration illégale, les déportations massives, et de multiples chasses aux sorcières initiées par ses partisans exaltés entraîneront une contraction plus ou moins violente de l'économie et le millénarisme pourrait se retourner contre lui, puisqu’il risque alors d’apparaître comme l’Antichrist. Mais les répercussions seront aussi géopolitiques, notamment concernant Israël et le Moyen-Orient. ●●




    Georgios Klontzas (1535-1608), Le Second Retour. Istituto Ellenico di Studi Bizantini e Postbizantini di Venezia

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