Historien, Julien Théry contribue au Média depuis septembre 2018.
À Strasbourg ce samedi, où il commémorait la libération de la ville il y a 80 ans, le Président de la République a fait l'annonce d'une prochaine entrée de Marc Bloch au Panthéon. Éminent historien du Moyen Âge et père de l'histoire des mentalités, privé de sa chaire en Sorbonne par le régime de Vichy en vertu du Statut des juifs d'octobre 1940, Marc Bloch s'engagea dans la Résistance au sein du groupe Franc-Tireur, dont il devint un dirigeant. Arrêté à Lyon, il fut torturé par la Gestapo avant d'être exécuté sommairement le 16 juin 1944. Les « panthéonisations » étant propices aux récupérations politiques et la figure de Marc Bloch ayant déjà fait l'objet de tentatives en ce sens, la famille de l'historien – dont on peut rappeler qu'il signa l'appel des intellectuels antifascistes en 1934 – a tenu à présenter une série d'exigences au Président de la République, dans une lettre que Le Média publie ici.
« Monsieur le Président de la République,
Monsieur Bruno Roger-Petit,
La famille de Marc Bloch se réjouit de votre intérêt pour sa vie et son œuvre. La Panthéonisation, comme acte de reconnaissance de la France de l’apport intellectuel et de l’héroïsme de Marc Bloch, est pour nous un grand honneur.
Fidèle à une tradition familiale de grande vigilance et exigence sur l’usage de la mémoire de notre aïeul, il nous apparaît nécessaire de vous exposer nos souhaits sur le processus de panthéonisation. La vie de Marc Bloch, exemplaire, a été l’objet de nombreuses récupérations politiques auxquelles nous nous sommes toujours opposés. La panthéonisation est l’occasion de mettre fin à cette évidente incompréhension ou méconnaissance et de faire diffuser au plus grand nombre sa pensée et son courage. Nos demandes sont les suivantes :
– Nous souhaitons que Marc Bloch entre au Panthéon avec sa femme, Simonne Bloch, née Vidal. Leurs corps devront toutefois rester au cimetière du Bourg d’Hem, en Creuse. La famille envisage un cénotaphe, avec des objets symboliques (décorations militaires, ouvrages, testament…).
– La vie de Marc Bloch s’est structurée autour d’une œuvre d’historien, aujourd’hui mondialement célèbre. Une place égale doit être faite à l’historien et au professeur, au résistant et au combattant. L’association avec l’Université et l’Éducation nationale doit être la colonne vertébrale du projet de Panthéonisation. L’intégration de la jeunesse nous semble essentielle.
– Nous rappelons également que l’œuvre de ce patriote convaincu est profondément anti-nationaliste, construite contre le roman national et la réduction de l’histoire française aux frontières nationales. Cet engagement se concrétisa jusque dans la mort. En ce sens, il nous paraît essentiel que l’extrême-droite, dans toutes ses formes, soit exclue de toute participation à la cérémonie.
– La famille tient à ce que l’hommage soit purement civil, comme Marc Bloch le demandait dans son testament. En ce sens, aucune récupération ou présence religieuse et communautaire ne nous semble acceptable. Marc Bloch, athée, n’avait foi qu’en une seule idée, la République.
– Nous souhaitons que la famille soit pleinement associée au processus de Panthéonisation, ainsi que des historiens dont nous connaissons l’expertise sur Marc Bloch.
En nous réjouissant de cet honneur fait à Marc Bloch, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos sentiments respectueux. »
Suzette Bloch et Matis Bloch,
mandataires des ayant-droits