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L’Usine Alteo de Gardanne, placée en redressement judicaire, est en quête d’un repreneur. D’après nos informations, une nouvelle offre est en discussions, portée par le propriétaire actuel, HIG, et la société UMS, dirigée par un proche du président guinéen Alpha Condé. La première offre d’UMS, qui transite par deux paradis fiscaux, a pourtant été jugée « peu crédible » dans un rapport confidentiel du cabinet Rothschild & Co.
À Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, les 505 salariés de l’usine Alteo ne sont pas au bout de leurs peines. Ce fleuron de l’industrie française, qui a survécu au XXème siècle sans jamais perdre sa position stratégique sur le marché de l’alumine, traverse une zone de turbulences qui dure, et qui semble ne jamais vouloir s’arrêter. Rachetée à plusieurs reprises pour finalement passer en 2012 sous le contrôle du fonds d’investissement américain HIG Capital, le site a été au cœur d’un vaste scandale écologique. Les fameuses « boues rouges » n’empoisonnèrent pas seulement la réputation de l’entreprise, mais aussi le parc national des Calanques.
L’extraction des hydrates d’alumine contenus dans la bauxite entraîne en effet des rejets de mercure ou d’arsenic qui pendant des décennies, furent directement déversés en mer Méditerranée. Après un bras de fer médiatico-judiciaire de plusieurs années, le problème de stockage de ces bouges rouges, aujourd’hui parquées à ciel ouvert sur le site de Mange-Garri, n’est toujours pas résolu. La baisse de la demande en alumines de spécialité (entrant dans la composition de batteries électriques ou d’écrans LCD) est venu porter un coup douloureux au groupe Alteo. À tel point que depuis décembre 2019, le site a été placé en redressement judiciaire.
Au fil des mois, huit repreneurs potentiels se sont déclarés. Du chinois Chalco au tentaculaire conglomérat Monaco Resources Group en passant par l’offre déposée par un ancien cadre de l’usine, Xavier Perrier, c’est tout le petit monde de la mine qui semble s’être précipité au chevet de la vénérable industrie, en activité depuis 1893. Sept des huit repreneurs plaident à plus ou moins long terme pour l’abandon de la partie « amont », à savoir l’extraction d’hydrates d’alumine à partir de la bauxite, opération à l’origine des boues rouges. L’idée est de se recentrer sur la partie « aval », la transformation des hydrates d’alumine en alumines de spécialité, dont l'usine de Gardanne est le premier producteur mondial. Mais la restructuration inquiète les syndicats, qui craignent la suppression de nombreux emplois. L’audience examinant les offres de reprise devait se tenir le 15 octobre au tribunal de commerce de Marseille, mais sera probablement reportée.
Car le 6 octobre 2020, coup de théâtre : d’après nos informations, recoupées auprès de sources indépendantes, la direction a annoncé aux syndicats et aux cadres qu’HIG et UMS préparaient une offre de reprise. En effet, le fonds d'investissement, actuel propriétaire de l’usine de Gardanne, s’est toujours réservé le droit de se présenter lui-même à sa propre succession. Et pour ce faire, HIG pourrait s'associer avec l’un des huit repreneurs potentiels en lice, la guinéenne United Mining Supply (UMS).
Un proche d'Alpha Condé, des interrogations et des paradis fiscaux
Fondée en 2002, cette société de logistique minière est au cœur de l’exploitation de la bauxite de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest. Dans cet eldorado des grandes compagnies minières (la Guinée détient un tiers des réserves de bauxite mondiales), UMS s’est bâti un véritable empire. En 2019, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 300 millions de dollars. Elle s’est associée avec la Société minière de Boké (SMB) et le transporteur chinois Winning pour former un consortium à l’efficacité redoutable, qui, en cinq ans à peine, a fait main basse sur le secteur de la bauxite et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
En 2019, le consortium à capitaux majoritairement chinois et singapouriens a raflé la moitié des blocs de la montagne de Simandou, un gisement de fer considéré comme le plus prometteur d’Afrique. À la tête d’UMS mais aussi du conseil d’administration de la SMB, un personnage incarne cette fulgurante réussite : Fadi Wazni. Cet homme d’affaires franco-libano-guinéen est réputé proche du président guinéen, Alpha Condé, et de son fils, le très influent Mohamed. Certaines sources bien introduites à Conakry le décrivent même comme un « maillon essentiel » de ce régime arrivé aux affaires en 2010.
Après avoir fait souffler un vent d’espoir sur ce pays meurtri, l’opposant historique Alpha Condé a modifié à 82 ans la Constitution – il brigue un troisième mandat le 18 octobre prochain, dans un climat de violences et de peur. Au moins deux plaintes ont été déposées contre le président guinéen devant la Cour Pénale Internationale, pour des exactions susceptibles de recouvrir le qualificatif de « crimes contre l’humanité ».
Et tandis que plus de la moitié des Guinéens vivent avec moins d’un euro par jour, les grandes compagnies minières engrangent de faramineux bénéfices. Les royalties reversées à l’Etat guinéen ne profitent que très peu aux populations locales, qui croupissent dans la misère et finissent par se révolter comme en 2017, à Boké, où la ville minière s’est embrasée pour protester contre l’avidité des multinationales. Un rapport d’Human Rights Watch de 2018 pointe directement le consortium SMB-UMS-Winning, accusé non seulement d’appauvrir les populations locales mais aussi de détruire l’environnement : « L’exploitation minière menace le mode de vie de milliers d’habitants. Elle a détruit des terres ancestrales, endommagé des sources d’eau et recouvert de poussière des maisons et des arbres ».
Dans sa première offre de reprise du site de Gardanne, que Le Média a pu consulter, UMS propose pourtant de réaliser un « audit environnemental » de l’usine. De plus, UMS compte importer à Gardanne de la bauxite déjà traitée, ce qui éviterait la pollution aux « boues rouges ». Là où le bât blesse, c’est que l’offre de reprise proposée par UMS ne précise pas vraiment comment. Car le consortium SMB-UMS-Winning ne dispose pas de raffinerie en Guinée qui permettrait l’extraction d’hydrates d’alumine à partir de la bauxite brute. La construction de la raffinerie guinéenne est certes prévue, mais a été retardée à cause de la pandémie. De plus, selon Olivier Dubuquoy, lanceur d’alertes sur les boues rouges, cette solution ne ferait que déplacer le problème : « La situation est ubuesque. La bauxite serait extraite en Guinée-Conakry où les déchets rouges resteraient, au prix de terres agricoles spoliées et de paysans rendus dépendants d’indemnité de subsistance ».
C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles, d’après une évaluation confidentielle réalisée par le cabinet de conseil financier Rothschild & Co, l’offre de reprise d’UMS a été jugée l’une des moins crédibles des huit initialement en lice. Pourquoi HIG, l’actuel propriétaire, envisage-t-il un partenariat avec UMS ? Le fonds d’investissement n’a pour l’heure pas donné suite à nos sollicitations.
D’autant qu’un dernier élément vient assombrir le tableau. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance, a proclamé urbi et orbi que « si une entreprise a son siège fiscal ou des filiales dans un paradis fiscal, elle ne pourra pas bénéficier des aides de trésorerie de l'Etat ». Or, UMS, qui a souhaité ne faire « aucun commentaire » à nos sollicitations, rentre précisément dans ce cas de figure. En effet, d’après les documents que nous avons pu consulter, l’actionnaire unique d’United Mining Suppliers Ltd, le véhicule d’UMS, est la société Lanister Investments LTD, enregistrée aux Îles Vierges Britanniques. Celle-ci est elle-même détenue par Shanklin Holding LTD, une structure immatriculée aux Seychelles et contrôlée par Fadi Wazni. À ce jour, les Îles Vierges britanniques et les Seychelles font partie de la liste restreinte des « Etats et territoires non coopératifs en matière fiscale » dressée par la France.
Crédits photo de Une : Nicolas Tucat / AFP.