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L'ex-agent secret qui en sait beaucoup trop #13 Areva et l'argent de l'affaire UraMin : corruption en Afrique du Sud ?

Par Marc Eichinger

Fils de résistants, Marc Eichinger a été trader pour plusieurs banques avant de diriger sa société d’enquêtes et de sécurité, APIC, qui protège les entreprises sur des terrains hostiles. Avec l’affaire Areva il devient un espion, spécialisé dans la criminalité financière.

Quels ont été les bénéficiaires de l’opération UraMin ? Pour formuler des hypothèses, il faut revenir sur les affaires de corruption dans lesquelles des employés d’Areva et de ses partenaires locaux ont été impliqués. Après la Chine, l'Afrique du Sud. Avec un témoin-clef dont l'existence à été révélée par l'ex-agent et écrivain Vincent Crouzet : Saifee Durbar

Le bilan 2007 d’Areva, certifié par les deux cabinets Mazars & Guérard et Deloitte, indique : « Commercialement, l’offre pour deux EPR a été transmise le 31 janvier 2008 à Eskom » (le groupe public d’électricité sud-africain). « La réponse à une deuxième demande de l’Afrique du Sud sur dix EPR complémentaires sera remise ultérieurement sur 2008. »

Ceux qui connaissent l’Afrique du Sud post-apartheid, comme mon camarade Vincent Crouzet, lequel a été en fonction dans ce pays, savent pertinemment qu’Eskom est incapable de financer ce genre de projet. En 2008, malgré son monopole d’État, le résultat de la société est à peine positif de 100 millions de dollars.

À l’époque, le pays est dirigé par Thabo Mbeki et la corruption fait rage, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Construire des EPR dans ce pays représenterait une menace pour la sécurité de la planète.

L'ex-agent secret qui en sait beaucoup trop #12 Areva et l'argent de l'affaire UraMin : corruption en Afrique du Sud ?

Selon l’enquête sur Areva-UraMin publiée par le quotidien sud-africain Mail & Guardian en août 2012, le montant versé à des proches de l’ANC, le parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, serait de l’ordre de 450 à 500 millions de dollars.

Mais le « deal du siècle » démarre très mal pour Areva, qui sous-évalue l’impact des luttes intestines de l’ANC. Lors de son 52e congrès en décembre 2007, Jacob Zuma prend le pouvoir et devient président au détriment de Thabo Mbeki. Eskom va bientôt retirer sa marque d’intérêt pour les centrales nucléaires françaises, et Mbeki quitte toutes ses fonctions en septembre 2008. La visite de la ministre de l’économie Christine Lagarde et du président Sarkozy en Afrique du Sud, en février 2008, n’a pas permis de changer quoi que ce soit.

Il faut désormais commencer à gérer le désastre UraMin. L’enveloppe supposée correspondre à la caisse noire qui a pu être créée lors de l'opération est déjà sérieusement entamée, et il n’y a aucun contrat effectif pour contrebalancer les pertes.

Dès 2009, bien avant l'article du Mail & Guardian, un témoin-clef avait révélé à Vincent Crouzet les tenants et les aboutissants de l'arnaque UraMin, et notamment les opérations de corruption conduites en Afrique du Sud avec l'argent détourné : l'homme d'affaire Saifee Dubar.  Secret-défense oblige, nous ne pouvons pas expliquer ici pourquoi Saifee Durbar connaissait très bien Vincent Crouzet et pourquoi il lui était redevable au point de lui confier ses premiers secrets sur l’affaire UraMin.

L'ex-agent secret qui en sait beaucoup trop #12 Areva et l'argent de l'affaire UraMin : corruption en Afrique du Sud ?
Saifee Durbar dans ses bureaux londoniens en 2014. Steve Forrest/Workers' Photo

Saifee Durbar était conseiller de l’ancien président centrafricain François Bozizé. En 2007, il est condamné en France à trois ans de prison ferme, assortis d’une amende de 375 000 euros pour escroquerie. Il a bien été incarcéré, mais il est sorti de prison au bout de trois mois. Il faut savoir que Saifee a utilisé les services d’un ancien enquêteur de Scotland Yard pour démêler l’affaire UraMin dès son origine. Il savait, bien avant tout le monde, que cette OPA cachait une « affaire de corruption présumée », pour utiliser les termes idoines lorsque l’instruction est encore en cours. Curieusement, durant sa détention en France, il reçoit la visite d’un haut fonctionnaire avec qui il conclut un accord, et il sort de prison au bout de quelques semaines.

L'ex-agent secret qui en sait beaucoup trop #12 Areva et l'argent de l'affaire UraMin : corruption en Afrique du Sud ?

Interrogé à ce sujet par la journaliste Caroline Michel de L’Obs, Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur de juillet 2008 à mai 2012, a nié être le mystérieux visiteur. Nous appellerons donc ce dernier, poétiquement, le « fantôme de la Santé ». Le fantôme est aussi venu voir Saifee à Londres pour lui demander des documents. Peut-être que ce spectre a laissé sa signature sur le document de levée d’écrou, qu’il est possible de consulter cette pièce et de convoquer au pôle financier la personne qui a signé ?...

Saifee Durbar s’est mis à la disposition de la justice française et a demandé à être entendu dès septembre 2014, alors que rien ne l’y obligeait. Il est indo-pakistanais, et sa fortune ne le dispense pas de demander un visa pour séjourner en France. Malgré les deux auditions auxquelles se rend volontairement Durbar devant les magistrats en juillet et septembre 2015, le ministère de l’Intérieur le considère toujours comme un trouble à l’ordre public et lui refuse un visa.

Durbar, indigné par ce refus, décide alors de saisir le tribunal administratif de Nantes. La note transmise au tribunal par la direction de l’immigration indique qu’il serait « impliqué » dans le dossier. Il n’en est rien. Durbar est un simple témoin. Plus grotesque, la note du ministère de l’Intérieur stipule expressément que Saifee Durbard « représente un risque à l’ordre public, tant pour son implication dans cette affaire que suite à sa condamnation en 2007 ».

Nous avons donc un fonctionnaire-fantôme qui a libéré Durbar de sa cellule et un autre qui a peur que son séjour en France trouble l’ordre public. Durbar a eu gain de cause auprès du tribunal administratif de Nantes, lequel a fini par condamner l’État à lui verser 1 200 euros de dédommagement pour la procédure. Malgré ce jugement, la direction de l’immigration du ministère de l’Intérieur lui refuse toujours un visa. Là encore, nous ne pouvons que constater l’abus d’autorité.

(à suivre)

L'homme qui en savait beaucoup trop. Révélations d'un agent au coeur des secrets d'État, le livre de Marc Eichinger (avec la collaboration de Thierry Gadault) dont ce texte est extrait, est vendu en ligne sous forme d'ebook (9,99 €). Il peut être téléchargé par exemple ici.

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