Chloroquine, la molécule qui m'a rendu fou - Le printemps marseillais (7)
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Après Emmanuel Macron, Édouard Philippe a pris la parole hier, pendant deux heures… Le flou règne plus que jamais sur la France confinée, et la promesse du 11 mai ressemble à une galéjade tant les interrogations sont nombreuses. Didier Raoult, lui, a promis le printemps - et le retour des beaux jours.
Lire les six premiers épisodes de notre enquête : L'agent provocateur (1), Science contre science (2), Les soldats de la cause (3), L'ombre portée des labos (4), La crise de nerfs (5) et Le dernier protocole (6)
La conférence d’octobre 2013, au cours de laquelle Didier Raoult dévoile lors d’un séminaire sa recette pour peser sur le pouvoir politique (épisode 6 de notre série), est riche de bien d’autres enseignements. « Innover et/ou désobéir, la désobéissance au cœur du processus de l’innovation en matière de recherche ? » : tout est déjà dans un titre manifeste.
À son pupitre, un écran de rétroprojecteur dans son dos, le chercheur praticien livre une vision bien arrêtée sur un système et des mécanismes de prise de décision auxquels il n’accorde aucun crédit. « Complètement déconnectés », ils sont « tellement lents » qu’ils semblent uniquement faits pour empêcher les scientifiques de travailler, dans un pays où on « adore interdire ». En cause : « l’incapacité à actualiser sa position », « au cours d’événements dont on sait bien qu'il faut les ajuster en permanence, [et qu’on] change tous les jours en fonction des nouveaux éléments qui arrivent ».
Le Didier Raoult de 2020 ne dirait pas mieux.
"Pas que ça à foutre"
« Les chemins par lesquels l'innovation et la découverte va se faire sont imprévus à l'avance, il faut laisser [faire] les gens qui ont de l'audace et de l'imagination », martèle-t-il. Pendant un peu plus d’une heure, le conférencier déroule un discours qui éclaire rétrospectivement la situation à l’heure de la crise du Covid-19. Par exemple lorsqu'il foudroie les comités scientifiques. « Ça fait 20 ans que je ne vais plus dans aucun comité, se félicite-t-il. Je m’excuse, je n’ai pas de temps à perdre […], je n’ai pas que ça à foutre, je travaille ».
De ces instances, mieux vaut ne rien attendre, surtout pas la lumière. De toute façon, elles sont peuplées d’incapables, devine-t-on.
La sentence se veut sans appel : « Pour faire un comité en France, il faut être Parisien ou médiocre, ou les deux ». « La plupart des gens qui évaluent l’innovation ne font pas d'innovation. Ils ne sont pas là à évaluer ceux qui font de l’innovation, ce n’est pas vrai. Ils ne savent pas […]. Les comités scientifiques, ils ne savent pas faire la différence entre ce qui est très bon et ce qui est bon, parce que ce n’est pas eux les très bons ! ». Ce n’est pas étonnant, au fond. Car ces inutiles sont « des gens qui sont élus sur des listes, avec des syndicats ». Tout un système médiocre qui s’auto-reproduit, logiquement : « Vous ne pouvez pas demander à des gens qui ne sont pas des stars de repérer les futures stars ! Les gens repèrent ceux qui leur ressemblent ». Tout le monde aura compris qui sont les stars.
« À chaque fois que vous trouvez quelque chose de nouveau, peste le conférencier, vous êtes emmerdé pendant trois ans ! Jusqu’à ce que quelqu’un ait trouvé la même chose que vous, on n’est pas sûr que vous ayez raison, quoi que vous ayez fait… ». Difficile, on le comprend, de résister au scepticisme ambiant. Pour tenir le cap, mieux vaut être fait d’un bois particulier, face à cette force d’inertie : « Il faut avoir de l'énergie, il faut résister », précise le Marseillais. À cette médiocrité, Didier Raoult oppose l’époque des Foucault, Derrida, Bourdieu, Lacan, ses idoles. « Des gens géniaux » qu’il regrette, « les plus anticonformistes », qui avaient une « pensée provocatrice », capables de « remettre en cause les dogmes » et la pensée dominante. « Je m’excuse, mais au Collège de France actuellement, il n’y en a pas un qui ait une pensée provocatrice ».
Un leurre pour le malade
Son auditoire bien accroché avec ce propos enlevé, l’épidémiologiste en profite pour révéler encore quelques-uns de ses secrets de fabrication. « Moi, je ne vais pas dans les grands champs », prévient-il. Lui préfère « regarder dans les endroits dans lesquels les autres ne regardent pas ». Cette façon de faire un pas de côté en privilégiant des voies en dehors des clous ne date donc pas d’aujourd’hui. Elle répond à une stratégie de distinction mûrement réfléchie.
Au détour de son intervention, on entend également Didier Raoult citer le nom d’un vieux copain d’internat. Celui d’un médecin qui a pris position, comme par hasard, dans le débat actuel autour de la chloroquine : il y a 15 jours, le cancérologue Dominique Maraninchi, ex-directeur général de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, a cosigné une tribune remarquée dans Le Figaro, soutenant les préconisations de son vieux camarade pour lutter contre le coronavirus.
Enfin, le microbiologiste se lance dans un développement sur le placebo qui apparaît rétrospectivement comme une incroyable mise en abyme. À ses yeux, ses effets sont aussi efficaces que les médicaments chimiques, en particulier pour soulager la douleur. Sauf que « notre société ne permet plus de leurrer le malade, qui en a bien besoin »...
Tiens, voilà le printemps !
Mardi dernier, dans un entretien accordé à RFI, Emmanuel Macron exprimait tout le bien qu’il fallait penser du professeur Raoult, « une de nos plus grandes sommités en la matière ». Le même dont il avait soigneusement tu le nom la vieille dans son allocution aux Français. Cette fois, le président de la République a tenu à partager son enthousiasme pour celui qu’il avait visité quelques jours plus tôt. Il s’est dit « passionné par ce qu’il dit ».
Ce mardi 14 avril, Didier Raoult justement a quelque chose à dire. Dans une énième vidéo tournée comme on en a pris l’habitude à son bureau, il a une bonne nouvelle à annoncer. Qui tranche forcément avec l’angoisse transpirant des propos émis sous les ors de l’Elysée. Le professeur marseillais, chemise rose vichy sous la blouse blanche, l’assure : « L’épidémie est en train de disparaître de Marseille ». Se projetant un peu plus encore, il estime que le printemps et les beaux jours qui viennent pourraient même entraîner sa disparition, « pour des raisons qui sont extrêmement étranges ». Un optimisme qui fait écho à la promesse présidentielle de la réouverture des écoles à partir du 11 mai, au point que certains y ont vu sa marque. Pourtant, il n’est pas partagé par tous, même à Marseille.
Bras armé du pouvoir dans la région pour la gestion de la crise sanitaire – ce qui pourrait changer avec le retour en première ligne des préfets, comme l’a laissé entendre hier Édouard Philippe lors de sa conférence de presse -, l’ARS Paca a tenu à remettre les choses en perspective par la voix de son directeur. Pour rappeler quelques réalités. Interrogé sur France Bleu Provence, Philippe de Mester estime plus qu’aventureux de se livrer à de tels pronostics, à ce stade. « Nous n’en savons rien malheureusement », explique-t-il, concernant la fin de la pandémie.
Si l'on constate « depuis quelques jours » que sa progression s’essouffle un peu, il ne s’agit « pas du tout [d’]une régression ». Et il y a loin, cette fois encore, avant de siffler la « fin de la partie ». « Je n’ai peut-être pas la notoriété du professeur Raoult, tacle le directeur de l’agence régionale de la santé, mais il faut être très sérieux sur les mesures de confinement ».
À Marseille toujours, le professeur Jean-Luc Jouve n’est pas plus convaincu. Le chef du pole orthopédie et pédiatrie de l’hôpital de la Timone juge même « un peu populiste » l’enthousiasme exprimé par son collègue marseillais. C’est ce qu’il explique à CNews, au lendemain de la sortie du patron de l’IHU : « Ce qu’il dit est vrai, son analyse dans un bureau face à des courbes est une réalité, pour autant lorsque l’on fait des projections par rapport à ces courbes... ça veut dire que, au 11 mai, au lieu de 100 patients en réanimation, il y en aura 60. C’est quand même une maladie qui n’est pas terminée ».
Pour le chirurgien, Didier Raoult « est comme le pilote d’avion » qui annoncerait avoir posé son appareil avant même d’avoir amorcé la descente… « L’hôpital est à genoux, les soignants sont à genoux », rappelle Jean-Luc Jouve, très terre-à-terre.
Starting-blocks
Le chef de l’État, lui, veut que la lumière soit faite une bonne fois pour toute sur la molécule et ses effets. Le plus tôt sera le mieux. Alors que le programme européen Discovery se poursuit, plusieurs autres études cliniques sont en cours à travers le monde pour trancher le débat autour de la chloroquine, et son dérivé l’hydroxychloroquine - sous diverses formes.
En France – « le pays européen qui en a le plus lancées », selon Emmanuel Macron -, Hycovid mobilise 36 hôpitaux principalement regroupés dans l’Ouest du pays, sous le pilotage du CHU d’Angers.
Contrairement à Discovery, l’étude concerne des patients volontaires (1 300 personnes) ne présentant pas de formes sévères de Covid-19. Des malades dont l’âge (75 ans et plus) fait cependant peser sur leurs épaules un risque d’aggravation. Certains d’entre eux doivent recevoir un placebo. De quoi trancher « avec certitude et neutralité », comme l’ambitionnent ses promoteurs ? À voir, car Hycovid teste uniquement l’hydroxychloroquine sans l’associer à l’azithromycine. Les premiers résultats devraient tomber fin avril, début mai.
Ceux de Covidoc n’arriveront eux pas avant la fin mai. Ce nouveau test, qui vient de démarrer, concerne 150 patients. Ceux-là reçoivent bien la bithérapie administrée à l’institut Marseille Infection. Initié par le centre hospitalier universitaire de Montpellier et conduit en « double aveugle », cet essai randomisé associe 7 hôpitaux d’Occitanie.
Selon plusieurs voix, ces tests Hycovid et Covidoc ont été vivement encouragés par le ministre Olivier Véran, à la demande d’Emmanuel Macron.
Sanofi a annoncé que ses capacités de production de Plaquenil (à base d'hydroxychloroquine) seront quadruplées d'ici l'été.
De leur côté, les industriels se tiennent prêts à soutenir une demande d’hydroxychloroquine potentiellement appelée à exploser dans l’hypothèse où le protocole Raoult finirait par être validé. Les producteurs historiques sont déjà positionnés. À l’étranger, le géant allemand Bayer, qui a réactivé sa chaîne de production de chloroquine, est dans les starting-blocks.
C’est le cas également chez Sanofi, où on a relevé depuis le début de la crise du Covid-19 « une augmentation des prescriptions » en France, indique-t-on au Média. Des prescriptions « on va dire anormales » selon le mot d’un porte-parole, « de nature différente des autorisations de mise sur le marché ». Avec, pour conséquence, « une tension au niveau des pharmacies pour avoir accès aux grossistes » - qui répartissent le médicament dans les 22 000 officines françaises.
Pour en limiter les effets, à travers les décrets des 25 et 26 mars, le gouvernement a demandé aux pharmaciens de vérifier que les ordonnances délivrées correspondent à ces autorisations. Autrement dit à un usage classique, afin d’empêcher l’automédication chez ceux que le virus inquiète le plus.
Le fabricant du Plaquenil se veut rassurant : « Pour nous ça n’a rien changé, on avait un stock disponible pour les maladies chroniques, il n’y a à ce jour aucun souci de délivrance du médicament », assure-t-on au siège du fabriquant. Les capacités de production ont d’ores et déjà été doublées (épisode 4 de notre série). Vendredi 10 avril, au lendemain de notre appel, Sanofi a par ailleurs annoncé qu’elles seront même quadruplées d’ici l’été. De toute façon, « si les posologies varient un peu selon les différentes études, par exemples en Chine ou à Marseille, une boîte suffit à traiter un patient ».
La molécule confinée
En attendant le résultat des études, plusieurs bonnes volontés se sont manifestées pour proposer leurs services aux autorités, et tenter d’ores et déjà de déconfiner l’hydroxychloroquine - seulement autorisée, rappelons-le, pour les cas les plus aigus en milieu hospitalier. À chaque fois, ces voix se sont heurtées à une fin de non-recevoir.
Le 4 avril, le président de l’exécutif de Corse Gilles Simeoni adresse une « lettre ouverte au Premier ministre » (cosignée par trois des quatre parlementaires de l’île) pour demander que celle-ci puisse être « un territoire pilote pour le lancement d’un essai clinique relatif à l’utilisation de l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine contre le Covid-19 ». Les signataires réclament par ailleurs que la population puisse être testée et l’autorisation pour les médecins de ville de prescrire la molécule dès l’apparition des premiers symptômes. La solution, à leurs yeux, pour « [éviter] le risque de saturation des structures hospitalières et de leurs personnels déjà sous tension et affaiblis ».
Cette préoccupation n’est pas que rhétorique. Elle tient de la théorie appliquée : à Ajaccio, la situation a un temps dégénéré, il y a un mois, au point d’avoir dû recourir le 22 mars à un porte-hélicoptères de la Marine nationale pour évacuer vers les établissements de Marseille une douzaine de malades - la moitié en réanimation, l’autre sous assistance respiratoire. Depuis plusieurs semaines, Gilles Simeoni et ses conseillers regardent de très près ce qui se passe à l’IHU Méditerranée Infection. Cet intérêt du président de l’exécutif de Corse - lui-même fils de médecin - a été encouragé par les nombreux insulaires exerçant à Marseille, notamment dans les hôpitaux.
Des médecins, il y en a également dans l’entourage du président de l’assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni, binôme de Simeoni à la tête de la majorité autonomistes/indépendantistes aux affaires dans l’île. Un autre docteur a pesé dans la conversion pro-Raoult du patron de l’exécutif insulaire : ces derniers temps, Gilles Simeoni a souvent eu au téléphone Renaud Muselier, son homologue à la tête de la région Paca. Le président des régions de France est un soutien inconditionnel de Didier Raoult (épisode 3 de notre série), avec qui les routes sont parallèles depuis les années 80/90. Autant d’interlocuteurs qui ont convaincu le fils d’Edmond Simeoni de revendiquer pour son île une stratégie différente de celle définie à Paris et pilotée par les agences régionales de santé.
Face à cette revendication d’indépendance, Olivier Véran s’est chargé de la réponse, expliquant ne pas vouloir prendre de « pari sur la santé des Corses ». Un non ferme qui ne fera pas remonter la côte de popularité du gouvernement, très faible sur place. Après ce refus, les relais marseillais de Simeoni se sont fendus d’une lettre de soutien qu’ils ont rendue publique. Une façon d’acter la rupture et de dénoncer l'absurdité de ce dialogue de sourds : « À Marseille, écrivent ces 25 médecins, professeurs, praticiens hospitaliers et chercheurs, les gens ont accès à cette option thérapeutique ». « Des médecins, des personnalités, des politiques », listent-ils, qui « ont eu la possibilité d’en bénéficier ». « Donc, nous pensons que chacun a, aussi, le droit de choisir d’accéder à ce traitement s’il le souhaite ». Pour les signataires, « c’est une question d’équité » : « Il n’y a pas de raison pour que ce soit possible pour certains et pas pour d’autres ».
Autre initiative à signaler, le président de la Caisse autonome des médecins de France (CARMF) a écrit et sollicité à trois reprises Olivier Véran et Jérôme Salomon. Pour soumettre une idée : tester le protocole Plaquenil/Zithromax sur les médecins libéraux touchés par le Covid-19. Thierry Lardenois assure avoir « déjà plusieurs volontaires » parmi ses adhérents. En revanche, il n’a pas obtenu de réponse.
People are people
Évidemment, les people ne pouvaient se tenir à l’écart d'un tel débat. Éric Cantona, l’indispensable Jean-Marie Bigard et même Laeticia Hallyday sont sortis de l’ombre pour exprimer leurs fortes pensées. Dans un autre genre, Olivier Mazerolle, ex-directeur de la rédaction de La Provence, a raconté sa guérison dans le quotidien de Bernard Tapie - lui-même soutien du chef de l’IHU. L’éditorialiste s’est soigné à l’hydroxychloroquine.
Plus signifiant, Charlélie Couture a témoigné de son expérience directement sur Facebook. Touché par le Covid-19, le chanteur a bien cru y passer. Il raconte des jours au « fond de la mine », « des jours sans fin », « au fond du trou », « la bouche sèche, le goût de l’eau en plomb ». « Comme un droïde cassé, un jouet sans pile, un pantin dans l’ombre d’un grenier », décrit le Franco-américain, entre « maux de tête, spasmes et tremblotements, le corps en vrac et la nuque qui craque, un clou entre les omoplates, les couilles molles, nauséeux, le teint blafard ». Un truc à perdre « jusqu’à l’estime de soi... ». Bref, « un zombie ».
Autour du « zombie », pourtant, on ne semble pas s'être affolé. Lui assurant que tout ça allait passer, son médecin lui demande de prendre son mal en patience. Visiblement, d’après le témoignage du chanteur, malgré toute sa patience, c’est surtout le mal qui était en train de prendre. Jusqu’à l’arrivée d’un... sauveur : Didier Raoult, venu ramener le mort-vivant parmi les hommes, en lui adressant une prescription qui va tout changer – des antibiotiques pour « protéger les poumons ».
Désormais requinqué et à nouveau à son piano, Charlélie Couture tire de son aventure personnelle une leçon pour tous. Estimant qu’il « faut être vraiment obtus pour refuser les évidences » : « Qu’on le veuille ou non, et quelle que soit la polémique, ce professeur Didier Raoult de Marseille – dont l’apparence hors du commun le faisant ressembler à Renaud, Buffalo Bill ou je-ne-sais-trop-qui déstabilise ceux qui se préoccupent des apparences – ce fils de médecin militaire, cet infectiologue hors norme, laissera c’est certain, a posteriori le souvenir d'avoir été l'un des médecins prêts à tout pour aider leurs patients à guérir. Les masques sont tombés, c'est le cas de le dire, on a vu les courageux, ceux qui osent et qui s’engagent au front contre la maladie et on a vu aussi les pitreries des théoriciens planqués derrière l’alibi de l’éthique universitaire ».
« Désormais, je suis immunisé, je ne crains plus personne et je ne risque plus de faire du tord [sic] à quiconque !, écrit encore le rocker sur son compte Facebook. Me revoilà de retour sur la terre ferme parmi les miens, vivants, biens vivants. Sur cette terre argileuse de Lorraine où j’ai choisi de me confiner in fine avec ma famille ».
Pompier pyromane
Au-delà de la crise sanitaire, l’embrasement autour de cette « affaire Raoult » en dit beaucoup sur l’état de nos civilisations, où l’irruption soudaine de figures providentielles et disruptives rencontre les pulsions et angoisses du plus grand nombre, nourries par la défiance vis-à-vis des élites et des gouvernants. Il est également éclairant sur celui de la France sous l’ère Macron et les fractures de la société française.
Il y a quatre semaines, l’appel à l’unité martelé par le président de la République en visite dans l’Est, sur le front le plus dur du combat contre l’épidémie, trahissait l’usure d’un nouveau monde groggy au moment où il affronte les réalités hors norme du monde d’après.
Face à cet effondrement, une sorte de professeur post-punk à l’allure de biker, mélange de Géo Trouvetou et de colonel tropical échappé d’un épisode de Tintin, ou d’un film des frères Cohen, monopolise l’attention depuis un mois avec ses solutions miracles."
L’insistance, ce soir-là, du chef de l’État était le signe d’un exécutif sonné par le constat de ce climat, et par sa violence. Un pouvoir qui sent bien que ça craque mais qui n’a rien fait pour que cet appel-là puisse être entendu - ou mieux encore qu'il n’y ait pas besoin de l'entendre, et que l'unité se fasse d’elle-même, comme une évidence. Après avoir tapé pendant des mois sur les Français, envoyé la troupe contre les femmes le jour où elles revendiquent leurs droits, tabassé le personnel hospitalier et les infirmières qui demandaient qu’on les écoute, qu’on les respecte et les soutienne.
Plus que le chef de guerre, qu’il pense camper ce 25 mars devant un hôpital militaire de campagne à Mulhouse (depuis partiellement remballé), Emmanuel Macron incarne les choix erratiques d’un pouvoir à contretemps, pompier pyromane promettant de déverser les milliards sur un hôpital public en surchauffe quand la catastrophe est là. Comment s’étonner dans ces conditions des tensions qui règnent dans le pays aujourd’hui, et particulièrement sur le front de la mort ? De ce point de vue, l’intervention de lundi dernier depuis l’Elysée marque un net changement de ton. À défaut de répondre à ces contradictions.
Certains journaux n’ont voulu voir dans cette histoire qu’une bataille opposant les légitimistes aux complotistes. Cette vision n’explique pas tout de l’histoire. Les soutiens de Raoult ne sont pas tous, loin de là, membres d’une secte dont l’objectif est de faire chuter le pouvoir et renverser la démocratie.
Face à cet effondrement, une sorte de professeur post-punk à l’allure de biker, mélange de Géo Trouvetou et de colonel tropical échappé d’un épisode de Tintin, ou d’un film des frères Cohen, monopolise l’attention depuis un mois avec ses solutions miracles. Au point de devenir l'une des « personnalités politiques (sic) préférées des Français ». L’histoire de la chloroquine et de cette folle controverse est aussi celle de ce match, qui achève de fracturer le pays. Certains journaux n’ont voulu voir dans cette histoire qu’une bataille opposant les légitimistes aux complotistes.
Cette vision n’explique pas tout de l’histoire. Les soutiens de Raoult ne sont pas tous, loin de là, membres d’une secte dont l’objectif est de faire chuter le pouvoir et renverser la démocratie – à moins de ranger les élus LR, Les Echos, un Douste-Blazy, une Geneviève Fioraso, un Pierre Larrouturou ou un Julien Dray parmi ceux-là. En réalité, cette caricature participe elle aussi à ce véritable combat de religion, qui passionne la France confinée : Jupiter contre Assurancetourix.
De ce combat des dieux, on ne sait qui sortira vainqueur, mais on a déjà une idée sur l’identité de celui qui a le plus à perdre dans l’affaire. Les gestes et les marques de considération ces derniers jours d’Emmanuel Macron sont une réponse. On espère simplement que la partie, quand on soldera les comptes, ne se sera pas jouée sur le dos des victimes du virus.
Sur le front de la mort justement, l’IHU Méditerranée infection continue, comme il en a pris l’habitude, de publier le décompte quotidien des victimes du Covid-19 sur son site. Une comptabilité là-aussi en concurrence avec la voix officielle, incarnée chaque soir par le monologue mortifère du directeur général de la Santé.
Ce lundi, elle recense 2 403 253 personnes contaminées dans le monde pour 165 788 décès. Et en dénombre 35 884 testées à Marseille par l’AP-HM et l’IHU. Sur ce total, 4 541 ont été déclarées positives, 97 sont mortes. L’IHU annonce avoir traité 2 970 patients à l’hydroxychloroquine et l’azithromycine et déplore 12 décès.
Dans un portrait que je lui consacrais en 2006, sur lequel je suis récemment retombé, Didier Raoult se disait partagé face aux nouveaux risques infectieux. À la fois optimiste devant la vitesse de la réponse scientifique - « qui n’a jamais été aussi efficace et rapide » - mais nettement moins rassurant quand il évoquait l’abandon de comportements « indispensables ». Parmi ceux-là, d’abord des gestes de protection de bon sens, ceux qu’on appelle « les gestes barrière » dans la France de 2020 - se laver les mains, se désinfecter...
Mais surtout une idée qu’il ne cesse de marteler depuis un mois - la nécessité de « confiner ceux qui sont contagieux » - qui est devenue paradoxalement un des piliers du plan imaginé par le gouvernement pour organiser la vie d’après, qui commence en principe le 11 mai. Et peut-être appliquer une politique de contrôle de l’épidémie identique à celles de Singapour ou de la Corée du Sud. Des pays que le professeur Raoult prenait pour modèle lorsqu'il dénonçait le confinement général.
Illustration de Une : Adrien Colrat - Le Média.