L’Équateur s’embrase contre le FMI et son gouvernement
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Une semaine de mouvement social aura suffi à faire vaciller le pouvoir de cette nation andine. Désemparé face à l'ampleur de mécontentement, le président Lenín Moreno a très vite adopté un ton martial pour gérer cette crise alimentée, selon lui, depuis l'étranger. Le gouvernement, qui a fui la capitale, tente tant bien que mal de négocier avec les puissantes organisations indigènes pour obtenir un répit. Mais en refusant de revenir sur les restrictions imposées à l'économie nationale sous les conseils pressants du FMI, les autorités s'enfoncent dans l'impasse.
Une image qui en rappelle une autre. Fuir Quito face à la colère populaire, le président droitier Lucio Gutiérrez y avait été contraint en 2005. Lenín Moreno a dû faire de même cette semaine, déplaçant ainsi son gouvernement à Guayaquil, loin des rues d’une capitale en pleine ébullition. Cinq jours après avoir décrété l’état d’urgence pour deux mois, il a également imposé un couvre-feu autour des bâtiments officiels après que des manifestants aient pris d’assaut le Parlement.
Lors d’une allocation prononcée depuis cette métropole de la côte Pacifique, accompagné des généraux des différents corps d’armée, le président équatorien a parlé d’un ton grave. " Ce sont les corrompus […] qui sont à l'origine de cette tentative de coup d'État et qui utilisent et instrumentalisent certains groupes indigènes », a tonné Moreno, ciblant particulièrement le " satrape Maduro ", accusé d'avoir " activé, avec Correa, un plan de déstabilisation ».
Un argumentaire que le gouvernement n’a eu de cesse de répéter lors de cette crise, et pour lequel il a même reçu le soutien de plusieurs pays de la région, sans que des éléments tangibles ne soient apportés pour soutenir cette thèse hésitante. « Cela devient maladif », a répondu l’ancien président Rafael Correa depuis Bruxelles, où il réside, rejetant en bloc les accusations qui lui sont portées, qui incluent un supposé voyage au Venezuela. Quant à Nicolás Maduro, il a préféré ironiser. « Il pense qu’en agitant ma moustache, je fais tomber des gouvernements », a répondu depuis Caracas le président vénézuélien, en agitant justement sa moustache. Son principal opposant, Juan Guaidó - qui s’est autoproclamé président il y a maintenant huit mois - a pour sa part affirmé être convaincu que le chavisme finançait le mouvement équatorien.
Des accusations d’ingérence étrangère à la réalité politique
Ces passes d’armes n’ont finalement pas grand chose à voir avec les préoccupations des manifestants, qui réclament l’abrogation d’un décret promulgué par le gouvernement actuel, loin du giron de Correa, et plus encore de celui de Maduro. Le texte, qui abolit une subvention aux carburants, a provoqué des hausses atteignant 123 % du prix originel. Face à cette mesure, les « transporteurs » - taxis, bus et routiers - ont été les premiers à entrer en action. Le mouvement s’est éteint quelques jours à peine après son lancement, à la suite d’ajustements financiers négociés avec les autorités.
Quelques jours, mais peut-être trop tard : une partie du problème évacuée, la crise avait déjà éclaté. Un peu partout dans le pays, en particulier dans les régions andines, les routes ont commencé à être bloquées et des pans entiers de l’activité paralysés. Pendant que les syndicats et formations politiques commençaient à se mobiliser dans les centres urbains, les zones rurales ont été les théâtres de vastes manifestations indigènes, coordonnées par la Conaie (Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur). Certaines de ces marches ont conflué vers Quito. Ce mercredi 9 octobre, la grève était générale et même Guayaquil, où s’est réfugié le gouvernement, était en proie à la contestation.
En 2000, la même
Conaie
avait été à l’origine de la chute du président Jamil Mahuad. L’Équateur traversait alors sa plus grave crise économique : le pays avait notamment abandonné sa monnaie nationale pour le dollar et ouvert la voie aux banques d’investissement, au néolibéralisme et aux accords avec le Fonds Monétaire International (FMI).
La goutte d’essence enflamme le pays
En mars dernier, le FMI a fait son grand retour. « L'Équateur s'est engagé dans un nouveau programme économique visant à réduire fermement l'endettement public et à soutenir les politiques qui contribueront à stimuler la croissance et à accroître la productivité », peut-on lire sur le site de l’institution, décriée dans de nombreux pays d’Amérique latine. Le gouvernement Moreno a signé un deal à hauteur de 4,2 milliards de dollars pour « assainir » l’économie. Au total, environ 10 milliards ont été prêtés par différentes entités.
«
Grâce aux décisions fermes que j'ai prises, nous ne sommes pas ce qu’est aujourd'hui le Venezuela
», paradait alors Lenín Moreno en présentant l’accord. «
Nous avons sauvé la dollarisation, nous avons retrouvé la démocratie
», ajoutait également le président, qui avait dénoncé dès 2017 l’état des finances laissées par son prédécesseur, Rafael Correa.
Pour la Conaie , une gestion de crise digne d’une « dictature militaire »
La fin de l’aide de l’État à la pompe découle directement des recommandations du FMI, qui s’accompagne d’autres décisions visant à « équilibrer les finances publiques », comme la division par deux des congés des fonctionnaires (de 30 à 15 jours) ou la réduction de 20 % de la rémunération des contrats précaires du secteur public. En parallèle, des allègements fiscaux voient le jour au nom de la fameuse "compétitivité". Ce lot de mesures, les Équatoriens l’appellent le « paquetazo », et beaucoup de ceux qui ont pris la rue ces derniers jours le ressentent comme un coup de poignard dans le dos.
Moreno a loué sa propre « bravoure » et entend maintenir sa politique, qui s’accompagne d’un vaste plan d’austérité, alors même que plusieurs économistes prévoient une augmentation du chômage et de la précarité du fait de ces cures, dans un pays où le coût de la vie est déjà difficilement soutenable pour une large partie de la population. Sa popularité s’est effondrée. Aux revendications liées au prix de l’essence s’est désormais ajoutée la demande de son départ.
L’explosion sociale n’a fait que s’intensifier depuis que l’état d’urgence a été décrété. Ces mesures d’exception permettent notamment aux autorités de restreindre la liberté de réunion. Alors que l’ONU a invité les autorités à respecter les normes internationales en termes de maintien de l’ordre, des centaines de personnes ont été arrêtées et au moins un mort est à déplorer [MAJ, 11/10/2019 : un nouveau bilan fait désormais état de 5 morts]. La confédération indigène Conaie affirme quant à elle qu’il y en a bien plus, et s’insurge contre une gestion de crise digne d’une « dictature militaire ».
En juillet, Tristan Ustyanowski revenait sur les racines de la rupture Correa/Moreno :
Photo de Une : Martin Bernetti / AFP.