Le coup d’État contre Evo Morales plonge la Bolivie dans le chaos
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Poussé à la démission par l’armée et une opposition radicalisée, Evo Morales a finalement rejoint le Mexique, qui lui a accordé l’asile politique. Le président déchu laisse dernière lui des rues quadrillées par les soldats dans un contexte d’affrontements toujours plus violents entre ses partisans et ses détracteurs.
Il est arrivé à Mexico, ce mardi 12 novembre, en remerciant le gouvernement d’Andrés Manuel López Obrador de lui avoir « sauvé la vie ». Depuis le tarmac de l’aéroport, Evo Morales accusait ses principaux opposants d’avoir voulu sa peau : il avait du se réfugier dans son bastion de la province de Chapare alors qu’un coup de force l’isolait du pouvoir. L’arrivée même de l’ex-président sur le sol de son pays d’accueil fut un véritable « périple », selon les autorités mexicaines, qui ont envoyé un avion de l’armée pour l’exfiltrer de sa région de l’ouest bolivien. L’appareil a du par la suite zigzaguer entre différents territoires après les interdictions successives de survol décrétées par le Pérou, l’Équateur mais également la Bolivie elle-même - bien que personne ne prétendait la gouverner à ce moment-là.
«
Un voyage à travers la politique latino-américaine
», ironisait le ministre des affaires étrangères d’AMLO, Marcelo Ebrard. Pour ramener « Evo » à bon port, Ebrard a du engager de vives tractations auprès de ses homologues, alors que le sous-continent est plus divisé que jamais face à cette nouvelle crise politique.
Deux jours plus tôt, Morales avait démissionné après avoir perdu le soutien des généraux de l’armée, qui se sont ainsi joints aux mutineries déclenchées par la police dans toute la Bolivie. Ce nouveau coup d’État, qui s’ajoute à la longue liste de ceux qu’a connu le pays depuis son indépendance, constitue néanmoins un tournant inattendu de la série de troubles qui a commencé il y a trois semaines.
Le coup met fin à un « processus » inédit en Bolivie
Dans la soirée du 20 octobre, jour des élections générales, le compteur numérique des votes s’arrête brusquement à environ 80% du dépouillement, alors que les premières estimations laissaient clairement envisager un second tout entre Evo Morales et Carlos Mesa, un ex-président qui s’est imposé comme la surprise du scrutin.
Mesa dénonce le soir même des irrégularités, appelle à la mobilisation de ses partisans et ravive ainsi un mécontentement latent depuis 2016, année de l’organisation d’un référendum constitutionnel visant à permettre une troisième réélection d’Evo Morales - la loi suprême qu’il a fait instaurer en 2009 n’autorisant théoriquement que deux mandats consécutifs. Marquant le premier revers électoral du président socialiste en une décennie, le « non » l’emporte. « Evo » promet dans la foulée de s’en tenir à ce résultat, mais, poussé par ses soutiens, il sera finalement investi grâce à un recours auprès de la Cour Constitutionnelle.
Dès lors, le pouvoir a du faire face à une opposition mieux structurée et composer avec une perte d’adhésion au « processus de changement », impulsé dès 2006 avec la prise de fonction du premier président bolivien d’origine indigène. Leader syndical, Evo Morales est devenu une figure-clé lors du « cycle rebelle » - de 2000 à 2005 - durant lequel se sont succédé les épisodes de crise du modèle néolibéral et pas moins de cinq présidents, dont Carlos Mesa.
En plus d’instaurer un contrôle de l’action gouvernementale par les mouvements populaires qui l’ont porté au pouvoir, Morales impulse une vaste campagne de nationalisation des entreprises de l’énergie, et de nombreux programmes sociaux. Les chiffres de la Banque Mondiale montrent que l’ère "Evo" a permis une multiplication par trois du PIB par habitant et une division par trois du nombre de personnes qui disposent de moins d’1,90 $ par jour. Un modèle longtemps plébiscité et illustré par deux larges réélections. Contestée et manifestement faussée, la dernière candidature marque néanmoins une rupture pour Morales.
Face au tollé suscité par l’annonce de la victoire d’Evo Morales dès le premier tour, après une longue attente, la mobilisation contre le processus électoral s’amplifie dans tout le pays. Pris dans une contestation sans précédent, le camp du président se montre rapidement ouvert à un audit organisé par l’Organisation des États Américains (OEA) et à l’organisation d’un second tour le cas échéant, principale demande de Carlos Mesa.
Une opposition qui rejette le dialogue
Mais l’arrivée sur le devant de la scène du puissant Comité pro Santa Cruz , une organisation dénoncée en 2008 par la Fédération internationale des droits de l’Homme pour ses actions « racistes » contre les indigènes et sa tendance « paramilitaire », rebat l’ensemble des cartes. Son chef, Luis Fernando Camacho, un ultraconservateur proche des milieux d’affaires, s’est imposé à la tête de vastes « grèves civiques » qui ont réuni des centaines de milliers de personnes partout dans le pays. Un personnage sulfureux, sans mandat électif, qui a été le premier à exiger la démission d’Evo Morales en invoquant la « justice divine » et la lutte « contre le communisme ».
Duo de circonstances, Camacho et Mesa ont encouragé une tournure radicale des événements face à un gouvernement qui n’avait pourtant jamais écarté le dialogue. Peu avant sa démission, suivie de celle de son équipe, Morales avait accepté le principe de nouvelles élections face aux premières conclusions de l’OEA, qui révélaient une « claire manipulation » des résultats du 20 octobre.
Après avoir rejeté samedi la dernière main tendue du président, Carlos Mesa a salué le lendemain « l’effort de la police et des forces armées pour garantir l’ordre et la tranquillité du peuple bolivien ». Luis Fernando Camacho, quant à lui, était présent ce mardi, bible en main, sur le balcon du Palais Quemado, lorsque Jeanine Áñez, seconde vice-présidente du Sénat, a officialisé son autoproclamation comme présidente temporaire du pays. Malgré les démissions en cascade de leurs principaux chefs, les députés du Movimiento al Socialismo , fidèles à « Evo », restent majoritaires au parlement bolivien et espèrent annuler tout à la fois l’auto-proclamation de la sénatrice et la démission du président.
Au même moment, dans les rues, des militaires étaient déployés pour la première fois en 16 ans pour aider une police «
débordée
». Au moins sept personnes ont perdu la vie lors d’affrontements. Pendant qu’Evo Morales remerciait le Mexique et promettait de «
continuer la lutte
» face au coup d’État, des manifestants brûlaient un drapeau
Qulla Suyu
dans le centre de La Paz, symbole du peuple aymara auquel appartient le président exilé.
Crédits photo de Une : Ronaldo Schemidt / AFP.