Pau : un médecin ORL condamné pour agressions sexuelles sur plusieurs patients
Journaliste indépendante originaire du Sud-Ouest, Sarah Duhieu s’intéresse aux questions de justice et aux violences faites aux femmes.
Alors que se poursuit depuis bientôt deux mois le procès hors-normes de Joël Le Scouarnec, ce chirurgien à la retraite qui a reconnu des viols et aggressions sexuelles sur plusieurs centaines de victimes mineures, une autre affaire impliquant un médecin à la retraite vient d'être jugée à Pau. Le docteur Paul Dufauret, 69 ans, a été condamné à quatre ans de prison ferme pour des agressions sur sept patients masculins, dont deux mineurs.
« Vous ne jugez aujourd’hui pas un malentendu, mais des atteintes sexuelles répétées, sur une très longue période, par un médecin qui a profité de la confidentialité de son cabinet et de la confiance des malades », avait insisté la procureure lors de son réquisitoire.
Le docteur Paul Dufauret, ORL à Pau, a été condamné, ce jeudi 10 avril, à quatre ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt pour agressions sexuelles sur sept de ses patients, commises entre 2019 et 2022. « C’est une peine importante car le tribunal considère que c’est une infraction d’une gravité particulière de la part d’un médecin, à qui les patients confient leur confiance et leur intimité », a précisé le président du tribunal correctionnel.
Les victimes, toutes des hommes, étaient âgées de 14 à 47 ans au moment des faits. Alors qu’elles venaient consulter pour des problèmes d’audition, des saignements de nez ou des ronflements, le spécialiste leur a imposé un « malaxage » ou des « palpations » des testicules ou du pénis.
Des faits récurrents
L’affaire débute le 27 février 2022. Ce jour-là, Enzo* (tous les prénoms ont été modifiés), 14 ans, se présente au commissariat de Pau avec sa mère. Après une violente crise de panique avec vomissements, il a confié à celle-ci avoir été agressé sexuellement par le docteur Paul Dufauret, qu’il avait consulté un mois plus tôt pour des problèmes d’audition.
Alors que sa mère attendait dans le bureau, le spécialiste l’avait emmené réaliser un test dans la salle d’audiométrie. Dans cette pièce « insonorisée » et « peu lumineuse », il avait commencé par lui examiner les oreilles. Puis, expliquant « rechercher des bulles dans son bas ventre », il lui avait baissé le pantalon et le caleçon et avait palpé son pénis pendant plusieurs minutes. L’adolescent, choqué, avait ressenti du « dégoût » et le sentiment d’une « immense trahison. »
La sûreté départementale prend le témoignage d’Enzo au sérieux, et le 10 mars 2022, Paul Dufauret est interpelé. Les enquêteurs apprennent qu’un second patient, trentenaire, accuse lui aussi l’ORL de l’avoir agressé sexuellement quand il était âgé de 12 ans. Il décrit des faits similaires, qui remontent aux années 1990 – et sont désormais prescrits.
Dans le cadre de l’enquête, 438 patient.es sont contacté.es, dont près de 300 hommes. Parmi eux, 54 expliquent que le spécialiste leur a palpé l’aine durant la consultation, expliquant rechercher des ganglions. 19 d’entre eux rapportent avoir subi une palpation du pénis ou des testicules. « Les récits sont étrangement les mêmes, relève Me Thierry Sagardoytho, avocat de plusieurs plaignants, alors qu’aucun d’entre eux ne se connaît. » Pour certains, les faits sont aujourd’hui prescrits. Les sept autres portent plainte contre Paul Dufauret pour agression sexuelle.
« Je suis certain dans mon schéma de ne pas commettre de geste sexualisé, se défend l’ORL. C’étaient des gestes de diagnostic, et rien d’autre. »
« J’ai bien conscience que c’est une pratique inhabituelle »
Comment un médecin ORL, spécialisé dans l’examen des oreilles, du nez et de la gorge, peut-il être amené à examiner l’aine de ses patients ? Interrogé à ce sujet, le spécialiste plaide une pratique « excessive » due à une mauvaise expérience. Au début de sa carrière, il n’avait pas repéré qu’un de ses patients développait un lymphome – un cancer qui se manifeste par une augmentation du volume des ganglions. « J’ai été traumatisé, raconte-t-il. J’avais la crainte de passer à côté d’un diagnostic. Je me suis dit qu’il fallait être plus rigoureux. »
Depuis, il explique suivre le même processus durant toutes ses consultations. Il procède « de façon systématique » à l’examen du nez, de la gorge et des oreilles, puis effectue une palpation du cou. Lorsqu’il décèle un ganglion, il demande au patient l’autorisation de l’examiner aux aisselles et à l’aine. « Je n’examine l’aine lorsque j’ai une alerte au niveau du cou », affirme-t-il.
« On donne sa confiance à un médecin et finalement on se fait abuser sa confiance, bien sûr que ça laisse des traces », résume une victime.
Tout au long de l’audience, il fera référence à ce « schéma ». « J’ai bien conscience que c’est une pratique inhabituelle, que peu d’ORL pratiquent comme moi », précise-t-il, quand le tribunal lui indique que ses confrères ne procèdent qu’exceptionnellement à ce type de palpations et, surtout, ne déshabillent jamais leurs patients. « Je fais partie d’une génération de médecins où on nous inculquait le sens clinique, se justifie-t-il. On ne prescrivait pas d’autres examens à tout va, comme aujourd’hui. »
Son tort selon lui : ne pas avoir suffisamment détaillé sa pratique aux patients. « Peut-être que mon manque d’explications fait que j’ai choqué, peut-être traumatisé », avance-t-il. « La proximité avec le sexe masculin est réelle, et c’est vrai qu’on peut être amené à effleurer les parties génitales.»
Mais la justice ne lui reproche pas d’avoir touché l’aine de ses patients, rappelle le président. « Ce qui nous intéresse, ce sont les patients qui se plaignent, notamment ceux qui viennent aujourd’hui et qui disent clairement : monsieur Dufauret a touché mon sexe, pas dans un but médical, mais dans un but sexuel. »
Abus de confiance
Lucas* explique effectuer un suivi ORL depuis l’enfance pour des problèmes d’audition. En 2022, il consulte Paul Dufauret. Durant le rendez-vous, ce dernier lui demande de baisser son pantalon et son caleçon pour rechercher des ganglions. « J’étais hyper étonné et très mal à l’aise, se souvient-il. J’avais déjà vu des ORL, et jamais on ne m’avait demandé ça… Mais je me suis dit : bon, c’est un médecin. » Une seconde consultation est programmée. Cette fois, le spécialiste lui touche le pénis et les testicules sans le prévenir, et lui met une main sur la cuisse. « J’étais mal à l’aise au point que ça a faussé mon test, raconte Lucas. Je n’étais pas bien, désorienté. Je me suis dit que c’était vraiment anormal. »
« Moi, je suis tétanisé. J’ai en face de moi un médecin, je comprends que c’est bizarre, mais je ne sais pas… »
Questionné sur ces faits, Paul Dufauret le répète : il n’a « pas fait de geste à caractère sexuel », « pas de palpation de sexe, de pénis. » « Donc, monsieur est un menteur ? », l’interroge Me Thierry Sagardoytho. « Non, je pense que la perception de mon examen a été différente », avance l’ORL.
Maxime*, lui, raconte l’avoir consulté en 2019, à 17 ans. Il explique qu’une fois dans la salle d’audiogramme, le spécialiste a soulevé son haut pour palper ses aisselles, puis a défait sa ceinture, et a baissé son pantalon et son caleçon. « Puis il va prendre les deux mains pour passer d’un côté à l’autre et toucher mon sexe, poursuit-il. Moi, je suis tétanisé. J’ai en face de moi un médecin, je comprends que c’est bizarre, mais je ne sais pas… »
Les autres plaignants relatent des faits similaires, et leur sentiment d’avoir été abusés. « On donne sa confiance à un médecin et finalement on se fait abuser sa confiance, bien sûr que ça laisse des traces », résume Lucas. Maxime, lui, explique ne plus aller voir de médecins hommes.
Quatre ans de prison ferme
Jusqu’au bout, Paul Dufauret évoque une incompréhension, et assure ne jamais avoir volontairement touché les parties intimes de ses patients. « Je souhaite témoigner auprès de ces patients une compassion pour quelque chose qu’ils ont cru avoir vécu, et que je n’ai pas réalisé, déclare-t-il. Je suis triste d’avoir donné cette impression. »
Son avocat, Me Christian Saint-Palais, insiste sur « l’étrangeté » de la pratique médicale de son client, qui pourrait générer chez les patients « des paroles qui peuvent ne pas être tout à fait conformes à la réalité des faits. »
« Ce n’est pas un médecin un peu maladroit qui aurait manqué de temps pour expliquer à ses patients, estime au contraire la vice-procureure Orlane Yaouanq. Ils le laissent faire parce qu’ils ont confiance, ils ne peuvent pas croire qu’ils sont en train de se faire palper sexuellement pas un médecin, ce n’est pas possible. » Elle requiert six ans de prison ferme.
Au terme de neuf heures d’audience, le tribunal déclare Paul Dufauret coupable de l’ensemble des faits qui lui sont reprochés. Il est condamné à quatre ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. L’ORL, retraité depuis 2023, voit sa peine assortie d’un suivi socio-judiciaire avec obligation de soins, une inéligibilité de deux ans et une interdiction définitive d’exercer la médecine.
Pau, Le Palais de Justice. Photo Florent Pécassou (CC BY-SA 3.0)