Licenciements abusifs, postes inadaptés, offres inaccessibles : le chemin de croix des travailleurs handicapés
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Entre refus d’embauche, harcèlement au travail ou encore licenciements abusifs, les personnes en situation de handicap sont sans cesse discriminées dans le milieu professionnel. Si le budget consacré aux politiques publiques du handicap est de plus de 2 % du PIB français en 2021, leur intégration est encore loin d’être effective. Témoignages.
« Un jour lors d’un entretien d’embauche, l’employeuse m’a dit : “Tu as falsifié tes diplômes, ce n’est pas possible d’y arriver en tant qu’handicapée” », raconte Elise*. Depuis qu’elle a commencé à travailler, elle se voit régulièrement refuser des emplois du fait de son handicap : une neurofibromatose qui lui procure des douleurs chroniques quotidiennes en plus d’un arrêt de croissance précoce. « J’ai dû passer une quinzaine d’entretiens durant lesquels on m’a fait des allusions à ma petite taille ou à mon handicap. »
Selon le rapport annuel du Défenseur des Droits publié en mars 2021, le handicap est, pour la quatrième année consécutive, la première cause de discrimination en France, que ce soit dans le milieu professionnel ou personnel. Par exemple, depuis 1987, les entreprises de plus de 20 personnes ont pour obligation d’employer 6 % de salariés en situation de handicap sous peine d’une sanction économique de plusieurs milliers d’euros. « En France, le quota des 6 % n’est toujours pas atteint, il reste encore beaucoup de choses à faire », souligne Louise Philomène Mbaye, doctorante en Sciences Économiques à l’unité de recherche Erudite, université Gustave Eiffel. En effet, en 2021, les entreprises soumises à l’obligation n’emploient que 3,8 % de travailleurs handicapés, selon l’Association de Gestion du Fonds pour l'Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées (AGEFIPH).
« J’ai postulé à un poste d’ingénieur, j’ai passé deux entretiens par téléphone et tout s'est très bien passé, se souvient Didier*, qui dispose d’une RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) due à un trouble psychique. « Quand ils ont vu dans mon dossier que j’étais handicapé, une chargée des ressources humaines m’a rappelé en me disant que c’était une trahison de ne pas l’avoir mentionné tout de suite. » Didier ne sera finalement jamais recontacté. Pourtant, légalement, « il n’existe aucune obligation de mentionner la qualité de travailleur handicapé lors d’un éventuel entretien de recrutement ou lors de la signature du contrat », renseigne l’association Droit Pluriel, qui lutte pour une justice accessible.
A chaque candidature envoyée, la même question se pose : faut-il évoquer son handicap ou le cacher ? En parler dans sa candidature, c’est prendre le risque d’être discriminé très tôt, voire même de ne pas pouvoir passer l'entretien d’embauche, mais ne pas l’aborder peut être reproché par la suite. « D’après les études qu’on a fait, on voit que lorsque la personne signale avoir un handicap, elle a moins de retours positifs de l’employeur. Ils peuvent avoir des préjugés sur les candidats qui sont en situation de handicap, ils se disent qu’ils seront moins productifs », renseigne Louise Philomène Mbaye. Et même une fois l’emploi obtenu, la fin des comportements discriminatoires n’est pas systématique.
Refus d'adapter les postes de travail
« Quand j’ai fait une demande de voiture automatique, on m’a rit au nez », raconte Gabrielle*. La jeune femme, en CDI dans une association d’aide à la personne, a un handicap invisible, une maladie osseuse qui rend la conduite manuelle douloureuse. Pour justifier sa demande, elle transmet à son directeur l’ordonnance d’un médecin qui préconise l’utilisation d’une boîte automatique. Si habituellement les employés de cette structure reçoivent leur voiture de fonction « trois mois après la demande », Gabrielle devra attendre la sienne plus d’un an et demi. « Quand j’ai demandé pourquoi c’était si long à arriver, mon employeur m’a juste répondu “C’est ça de vouloir une voiture neuve, hein…” »
« Lorsque le médecin du travail a formulé des propositions, l’employeur est tenu de les prendre en considération et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite », explique l’association Droit Pluriel.
En plus d’un véhicule automatique, Gabrielle a effectué une demande d’aménagement de poste, soutenue par la médecine du travail. « Je reçois un siège, un bureau, etc,… adaptés à mon handicap. C’était le bonheur ! Mais 15 jours après les avoir eu, on m’appelle pour me dire qu’on va venir les récupérer parce que mon directeur a refusé de signer l’aménagement et de payer. » Depuis plus d’un an et demi, Gabrielle attend de récupérer le matériel auquel elle a droit. Pourtant, « lorsque le médecin du travail a formulé des propositions, l’employeur est tenu de les prendre en considération et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite », déclare l’association Droit Pluriel.
Pour valider sa première année de BTS Esthétique, Claire* a commencé un stage dans une grande chaîne de produits cosmétiques en mai dernier. « Le premier jour était trop difficile à supporter, il y avait beaucoup trop de bruit, de lumière… Alors j’ai parlé de mon trouble autistique aux manageuses et j’ai demandé des aménagements : un casque antibruit ou des bouchons d’oreille et plus de pauses. On m’a dit non pour tout », décrit-elle avec amertume. L’étudiante se force donc à aller travailler pendant deux semaines, à surmonter ses migraines, sa fatigue, ses crises d’angoisse et ses douleurs. Jusqu’à ce qu’elle ne supporte plus la situation et envoie un message à sa manageuse en expliquant qu’elle ne peut plus venir dans ces conditions. Comme seule réponse, elle reçoit une semaine plus tard un appel de la directrice de son BTS en colère. « Elle me dit que les manageuses m’ont trouvé menaçante et agressive, que j’ai terni la réputation de mon école. Ma directrice d’école m’a même dit que dans cette chaîne, ils ne voulaient pas de stagiaire, ni d’employés handicapés et que j’aurais dû les prévenir avant. » Claire, qui bénéficie pourtant elle-aussi d’une RQTH, ne pourra pas valider son année à cause de son stage inachevé et ne sera pas reprise dans son école pour sa deuxième et dernière année.
Même certains postes qualifiés d’inclusifs dans la fiche de poste se révèlent être inaccessibles pour les personnes handicapées. Depuis 10 ans, Sylvie* est agoraphobe et doit exercer en télétravail. Lorsque les sécurités sociales françaises postent des annonces d’un emploi 100 % télétravail pour être traceur Covid, elle postule dans de nombreuses Caisses Primaires d’Assurance Maladie (CPAM). Avec une carrière d’avocate et de journaliste, elle est très vite rappelée par plusieurs d’entre elles. « On m’a dit que mon profil était parfait, mais le problème c’est que la formation se faisait en présentiel », regrette Sylvie. Elle tente de négocier pour l’effectuer à distance du fait de son handicap, mais se heurte à des refus systématiques. « On m’a même dit de ne pas hésiter à rappeler si ma situation changeait !, rit nerveusement Sylvie. La vie, quand on est handi, elle est vraiment violente. »
Des licenciements abusifs
« Alors que j’étais en arrêt maladie, j’ai reçu un mail de licenciement de ma cheffe sans aucun motif. » Eric* étudie à l’école nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) pour devenir conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP). Reconnu travailleur handicapé à 50 % depuis 2019, il est narcoleptique et hypersomniaque. Ces troubles du sommeil se caractérisent par des assoupissements soudains, doublés d’un besoin excessif de sommeil.
Depuis septembre 2020, il effectue un stage dans une prison. « Au début ça se passait bien, et puis à partir d’octobre la situation se dégrade. » A chaque mail ou rapport qu’il doit rédiger et envoyer, sa tutrice le fait recommencer : « Elle me les faisait réécrire 5, 10 voire 15 fois. Même lorsque c’était une simple question à envoyer à un collègue. Elle me reprochait des dizaines de choses tous les jours, c’était infernal », décrit Eric. Il tente d’alerter sa supérieure hiérarchique, en vain. « On me disait tout le temps : si ça ne va pas, c’est par rapport à ton handicap, l’administration pénitentiaire ne peut pas s'adapter à lui. »
Le futur conseiller tente d’obtenir les aménagements auxquels il a le droit pour rendre son quotidien moins fatigant. Après une consultation le 20 novembre 2020, la médecine du travail formule la nécessité de mettre en place « un éclairage de poste de travail avec lampe U.V. dès que possible. » La lampe lui aurait permis de réduire ses Troubles de Déficit de l'Attention (TDAH) et de réguler ses cycles de récupération du sommeil. Il n’a jamais pu obtenir cette lampe : « L’administration pénitentiaire a refusé d’aménager mon poste de travail, j'ai effectué mon année d'apprentissage dans un environnement inadapté à ma santé », déclare Eric. Pourtant, légalement, « le refus réitéré de l’employeur, conduisant à la dégradation des conditions de travail de X par le refus d'adapter son poste de travail (...) est par elle-même constitutive d'un harcèlement moral au sens du Code du travail. »
La pression qu’il subissait ainsi que la non prise en compte de son handicap ont « eu un effet sur mon rendement, sur ma productivité et ma santé. » Lorsqu’il passe une épreuve orale devant la Commission Administrative Paritaire (CAP) pour être titularisé, il « fait un malaise suite à toute la pression accumulée ». « Je n’ai même pas pu prendre mes médicaments, car ça a duré 4 heures », se souvient-il. A partir de ce jour, il est en arrêt maladie et attend que son accident soit notifié par ses supérieurs. « Il n’est toujours pas déclaré en septembre, alors j’ai entamé moi-même la procédure avec la CPAM », poursuit-il. Selon le code de la sécurité sociale, un malaise survenu sur le lieu de travail est qualifié d’office comme accident du travail sauf si l’employeur prouve le contraire dans les 10 jours qui suivent l’événement. Depuis son accident du travail, Eric souffre d’une tension très élevée, « probablement en relation avec des éléments négatifs dans sa vie professionnelle qui affectent actuellement son moral », conclut son médecin.
A la suite de cet examen, lorsqu’il tente d’obtenir des informations sur sa possible titularisation, il reçoit pour seule réponse un mail de la responsable de son unité de formation, que nous avons pu consulter : « Je suis navrée de vous informer que la CAP a prononcé votre licenciement qui prendra effet au 2 septembre », soit la date de la fin de son contrat. Il affirme n’avoir reçu aucun autre document justifiant son licenciement. Le Code du travail indique pourtant que « lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. »
Selon l’association Droit Pluriel, si le salarié est victime d’un accident du travail alors que les préconisations du médecin n’ont pas été respectées, « l’employeur sera considéré comme ayant manqué à son obligation. Il ne pourra pas se fonder sur ce motif pour prononcer un licenciement s’il apparaît que l’inaptitude est la conséquence du refus de l’employeur de prendre en compte les préconisations du médecin du travail ».
« Mes douleurs étaient tellement intenses que j’ai dû mettre des cartons sur mon poste de travail pour surélever mon écran » - Laurence, travailleuse handicapée.
Il y a deux ans, Laurence s’est retrouvée dans la même situation qu’Eric : « Je suis tombée handi psy [les troubles psychiatriques tels que la dépression sont reconnus comme des handicaps, NDLR] à cause de la banque où je travaillais, puis ils m’ont licenciée pour inaptitude : ils ont bousillé ma santé et ma vie. » Quand elle est entrée dans un grand groupe bancaire en 1992, elle « s’éclatait dans [son] travail. » Dix ans plus tard, un homme d’une soixantaine d’années prend le poste de directeur du groupe régional de la banque. Laurence affirme avoir été violée et agressée sexuellement de nombreuses fois sur son lieu de travail par ce nouveau supérieur.
Après un arrêt de travail et de multiples sollicitations de la part de l’employée, la seule réaction de la banque a été de la muter sur des postes éloignés de son domicile. Les traumatismes qu’elle a vécu et l’éloignement ont entraîné chez elle une dépression avec troubles bipolaires. Elle a été « mise au placard, interdite de formations et de promotions ». « On m’a aussi refusé d’aménager mes horaires, malgré la reconnaissance de mon handicap », ajoute-t-elle. En 2019, elle sera finalement licenciée pour inaptitude au travail.
En 2017, lorsqu’Inès* exerçait en tant que cheffe de projet digital dans une entreprise. En travaillant assise, elle a développé des douleurs au dos si fortes qu’elle ne supporte plus cette position. « Mes douleurs étaient tellement intenses que j’ai dû mettre des cartons sur mon poste de travail pour surélever mon écran », poursuit-elle. Elle passe alors par la médecine du travail qui la met en arrêt maladie et lui fournit un récépissé justifiant la nécessité d’obtenir un bureau debout. « J’ai envoyé l’ordonnance. Dix jours après, j’ai eu comme réponse une lettre recommandée avec une convocation pour un entretien préalable en vue d'un licenciement ! »
« Mon état de santé était tellement catastrophique après tout ça, je n’arrivais même plus à marcher », décrit Inès, aujourd’hui reconnue travailleuse handicapée. N’ayant pas trouvé d’emploi, la quarantenaire est au chômage depuis plusieurs mois. En 2018, le taux de chômage des personnes en situation de handicap était de 18 %, soit deux fois plus le taux moyen en France (9%), rapporte l’AGEFIPH dans une étude. « En France, pour avoir un travail, tu ne peux jamais dire que tu as mal quelque part… »
* Les prénoms ont été modifiés
Crédits photo de Une : Frederick Florini / AFP.