Exclusif : Intervention meurtrière, un témoin met en cause la version policière
Retrouvez les contenus de ces auteurs : page de Nicolas Mayart, page de Lisa Noyal et page de Taha Bouhafs.
Le 5 juillet dernier, Aziz* a été tué par un gendarme lors d’une intervention. Le tireur a été placé en garde à vue. Un témoignage exclusif remet en cause la légitime défense. D'après nos informations, la famille de la victime a décidé de porter plainte pour « homicide volontaire » et réclame le dépaysement de la procédure.
« Mon frère ne méritait pas cette mort, il aurait pu être appréhendé sans violence et ne pas être victime de la frustration d'un gendarme » Nabil* ne décolère pas. Son frère Aziz a été tué la semaine dernière lors d’une intervention de gendarmes en Haute-Savoie. Quatre jours plus tard, ils décident avec sa famille de se constituer partie civile pour « rétablir la vérité et se battre contre la version mensongère diffusée dans les médias locaux ». Cette plainte s'appuie sur le témoignage d’Omar*, un ami d’Aziz, présent lors des faits. Le jeune homme de 22 ans, encore traumatisé par la scène, a accepté de nous raconter ce qu’il s’est passé. Il parle pour la première fois.
Dans la nuit du dimanche au lundi 5 juillet, vers 4 heures du matin, un agent de surveillance d’un parking de Bossey, en Haute-Savoie, contacte la gendarmerie locale. Il a repéré la présence d’un « véhicule suspect » et de deux individus qui pourraient se livrer à des vols de motos. Une patrouille se déplace sur les lieux. « On avait vu le vigile faire sa ronde, on voulait se barrer. Mais au moment de partir, les gendarmes sont arrivés à toute vitesse », raconte Omar. Les militaires descendent de leur voiture qu’ils stationnent près de la sortie du parking. Omar prend la fuite. Un gendarme se lance à sa poursuite. En se retournant dans sa course, Omar voit Aziz remonter dans son véhicule. Le chauffeur desserre le frein à main et allume le moteur pour quitter les lieux.
« Les deux premiers coups de feu sont tirés », les détonations font tomber Omar qui aperçoit dans sa chute la position des gendarmes. « Au moment où Aziz allait partir, personne n’était en danger. Il n’y avait vraiment pas lieu de lui tirer dessus vu la scène. Ils étaient à 4 ou 5 mètres de lui, bien à l’écart, ils ne se sont pas vraiment mis au milieu de la route : il y avait un passage pour partir. » Omar reprend sa course. Il entend « plusieurs autres coups de feu, très rapprochés », escalade un portail et se cache.
« Je n’aurais jamais pensé qu’il était mort, je pensais qu’il avait réussi à s’enfuir »
D'après la plainte de la famille de la victime que nous avons pu consulter et le témoignage d'Omar, neuf balles auraient été tirées. Une de celles-ci atteint le conducteur. Touché « au niveau du pectoral droit », Aziz arrive à s’extraire du véhicule. Il marche quelques mètres puis s’effondre sur la route, mort.
Interpellé trois heures après les faits, Omar apprend le décès de son ami seulement lundi après-midi. « Je n’aurais jamais pensé qu’il était mort, je pensais qu’il avait réussi à s’enfuir, j’étais sous le choc ». Malgré la garde à vue du principal témoin, le procureur organise une reconstitution, le lendemain des faits. « Je n’y étais pas. Les enquêteurs ont pu entendre uniquement la version de la gendarmerie », déplore Omar pour qui « il n’y avait aucun danger immédiat, le flic ne pouvait pas dire que c’était de la légitime défense : Aziz n’était ni dangereux ni armé ».
Une décision « aberrante » qui fait bondir Maître Arié Alimi, avocat de la famille : « Ils n’ont même pas entendu Omar dans le cadre de l'enquête sur la mort d’Aziz. Personne ne lui a posé de questions sur l'homicide de son ami durant la garde à vue ». Selon Le Messager, un hebdomadaire local, le procureur de la République de Thonon-les-bains, Bruno Badré aurait alors déclaré à l’issue de la reconstitution que « compte tenu des manœuvres du fourgon, le gendarme se trouvait en état de légitime défense. »
« On souhaite avoir la vérité »
Selon la version des militaires, le tireur aurait donc fait feu pour se protéger du véhicule qui arrivait vers lui. Mais ce récit, relayé de nombreuses fois dans la presse, ne passe pas auprès de la famille du défunt. « Aziz ne se permettrait pas de jouer avec sa vie, il a une fille de deux ans. Il était toujours prêt à aider les autres », se souvient Omar. Le Média a eu, en exclusivité, accès à la plainte pour « homicide volontaire », déposée par la famille de la victime qui souhaite se constituer partie civile. Aziz « est décédé consécutivement aux tirs à l’arme à feu reçus dans des circonstances d’une rare brutalité et sans que son comportement ne le justifie », peut-on lire dans ce document d’une dizaine de pages.
Face à la version officielle, Nabil décide de chercher de son côté ce qu’il s’est « réellement produit la nuit du 5 juillet ». Il retourne sur le parking, prend des photos, se renseigne à droite à gauche. « C’est à moi de chercher la vérité, l’IGGN (ndlr : l’Inspection générale de la gendarmerie nationale) ne veut donner aucun détail. D’après les informations que j’ai obtenues, c’est un réserviste qui a tiré. Pourtant, ces gens-là ne connaissent rien aux procédures, ils n’ont pas à être boulanger la journée et gardien de la paix le soir ».
Une enquête pour tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique, association de malfaiteurs, refus d’obtempérer avec mise en danger et vols en réunion a été ouverte. Une seconde procédure vise le gendarme auteur du coup de feu mortel. Suspecté de « violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner », il a été placé en garde à vue après les faits.
Accompagnés par Maître Arié Alimi et son cabinet, Nabil et ses proches demandent le dépaysement de l'enquête. Le militaire étant, par ses fonctions, en relation avec les magistrats, « cette situation fait nécessairement obstacle à une bonne administration de la justice et au respect du principe d’impartialité », explique l’avocat.
« On souhaite avoir la vérité et surtout que ma petite nièce obtienne justice, explique Nabil, qu’on reconnaisse son statut de victime et qu’elle obtienne réparation car on lui a retiré son père. »
Contactés, le SIRPA (Service Informations et de Relations Publiques des Armées) et l'Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale (IGGN) n’ont pas souhaité commenter les enquêtes en cours.
Crédits : Loïc Venance / AFP