[Révélations] À Marseille, le mélange des genres fait la fortune du candidat LaREM
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Ce dimanche, à Marseille, la macronie joue gros lors du premier tour des municipales. Son candidat, médecin à la carrière apparemment exemplaire, est un professeur et néphrologue réputé, et a été président de la plus grande université de France. Mais Yvon Berland a aussi développé un solide sens des affaires. Et de la famille. Notre enquête.
Nos principales révélations :
- En 2009, une structure privée – l’ADPC - présidée par Yvon Berland a noué un partenariat avec l’hôpital marseillais de la Conception, lui permettant de réaliser des dialyses et de capter les profits générés par cette activité au sein même de l’hôpital.
- À l’époque, l’actuel candidat LaREM à la mairie de Marseille était pourtant patron du service de néphrologie du même hôpital.
- L’hôpital a fait place nette pour laisser l’ADPC prendre la place, alors qu’il pratique toujours des dialyses. Et la structure a bénéficié de fonds publics.
- Les personnels, après s’être étonnés de l’arrivée de cette structure privée dans l’hôpital, avaient voté contre ce projet.
- Le directeur général de l’ADPC, Laurent Benhaim, n’est autre que le gendre d’Yvon Berland.
- Yvon Berland a également reçu 53 000 dollars du laboratoire Agmen, un poids lourd de l’industrie pharmaceutique qui fabrique des médicaments pour traiter les maladies rénales.
Il y croyait. En se lançant à 69 ans dans l’aventure, avec la foi du jeune communiant à qui tout est permis, Yvon Berland s’estimait armé pour conquérir une ville épuisée par le mandat sans fin d’un Jean-Claude Gaudin aussi rincé que les gravats de la rue d’Aubagne, un soir de pluie après la catastrophe. Pour cela, Berland pensait disposer de l’arme fatale : un CV de premier de la classe long comme le bras, qui fait sans doute effet dans ces milieux bourgeois où on se laisse volontiers impressionner par ceux qui exhibent distinctions et décorations.
Ses supporters le martèlent : Yvon est un manager, un gestionnaire. Il est l’homme qu’il faut à Marseille. Il a l’expérience et son parcours parle pour lui. Ce parcours, le docteur l’a fait d’abord et principalement à l’hôpital public. Avant de devenir président de l’université Aix-Marseille, le candidat siglé LaREM était un ponte de la médecine. Ses réussites l’ont ensuite propulsé sur d’autres scènes, publiques, jusqu’à son arrivée en politique.
Son attachement à l’hôpital, il n’a de cesse d’en parler aujourd’hui. La semaine dernière, c’était dans un portrait que lui consacrait le quotidien La Provence. L’occasion de préciser qu’il continue à s’y rendre tous les lundis matins pour faire ses consultations. Parce qu’il « ne peut pas s’en passer », « malgré la campagne municipale ». Il en a « besoin », il le dit lui-même. Il y a quelques semaines, le 29 janvier, le postulant avait frappé un grand coup. « C’est avec une grande joie que j’ai appris hier, par la ministre des Solidarités et de la Santé, Madame Agnès Buzyn, le financement conséquent de 337 millions d’euros pour réhabiliter et étendre nos hôpitaux marseillais », s’était-il réjoui dans un communiqué.
Non content de se satisfaire de cette manne providentielle tombée une veille d’élection, le néophyte Yvon Berland n’avait pas pu se retenir d’outer la nouvelle, devançant la ministre. L’annonce était un peu survendue, ou plus exactement imprécise : les collectivités apportent à peu près la moitié de ce plan de modernisation des hôpitaux publics marseillais, en grande souffrance face à une situation financière plombée.
Mais l’essentiel n’était pas là pour celui qui promet de « voir grand et agir vite ». En remerciant « la direction de l’APHM et les médecins pour avoir présenté un dossier particulièrement solide et apprécié par le ministère de la Santé », il s’agissait pour lui de se mettre au centre de cette décision. « Ces travaux récompensent leur dévouement et l’énergie qu’ils mettent – aux côtés de l’ensemble du corps hospitalier – au service des Marseillaises et des Marseillais », avait-il ajouté, histoire que l’électeur comprenne le sens de tout ça.
Quand on gratte (derrière) l’image du défenseur du service public hospitalier, on fait d’étonnantes découvertes. Elles jurent avec la légende d’un homme qui, après avoir œuvré au développement de l’hôpital, se présente aujourd’hui dans la peau du sauveur. Pour découvrir ce que cache ce storytelling, il faut faire un tour du côté de la Conception - un des établissements de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (l’AP-HM). Et tomber face à un immeuble moderne, qui contraste avec le caractère vétuste des bâtiments qui l’entourent.
Il héberge le pôle de néphrologie de la Conception. Les personnels le surnomment « la berlandière »... Dans ce service d’excellence, on soigne les malades souffrant d’insuffisance rénale, qui viennent de tout le Sud-Est, et même d’ailleurs. On est ici dans un des hauts lieux du service public, l'un de ceux qui font la fierté de l’AP-HM. Pourtant, derrière ces murs, le privé a mis un pied dans la forteresse. Au premier étage du bâtiment, une structure extérieure réalise des dialyses, exploitant depuis 10 ans les équipements de l’AP-HM dans ses propres murs.
"Qui est le président de l'association ?"
Pour saisir ce dont il s’agit, il faut un peu remonter dans le temps. Tout se joue en octobre 2009. Le 23, le conseil d’administration de l’AP-HM valide l’arrivée de ce corps étranger dans un de ses fleurons. Trois jours plus tôt, le comité technique d’établissement (CTE) s’est tenu dans une étrange atmosphère. C’est au sein de cette instance consultative que les décisions appelées à être validées par les administrateurs sont soumises aux représentants des personnels. Lors de cette réunion préparatoire, plusieurs participants soulèvent des questions lourdes de sens.
Le procès-verbal établi ce jour-là, que Le Média a pu consulter, a conservé la mémoire de ces échanges qu’on pressent, à la lecture de ce document, plutôt vifs. Objet du jour : « création d’un partenariat entre l’AP-HM et l’association des Dialysés de Provence et de Corse (ADPC) » (Lire le document). Il s’agit, comme l’explique le directeur de la Conception, de permettre à l’ADPC d’exploiter les équipements de dialyse du pôle de néphrologie. Les premiers échanges passés, les choses se tendent au bout de quelques minutes, lorsque que les participants découvrent qui se cache sous le sigle de l’association.
C’est une syndicaliste de la CGT qui met les pieds dans le plat. « J’ai en mémoire, il y a quelques années, peut-on lire en page 2 du PV, le professeur Brunet qui venait nous expliquer la nécessité de ne plus fonctionner sur trois dialyses par jour mais sur deux [...]. Je poserai également quelques questions sur cette association ». Après une digression, la représentante syndicale précise le tir : « Premièrement, qui est le président de l’association ? ».
L’ADPC, qui s’apprête à tirer le gros lot, est une grosse structure privée de la taille d’une PME. Elle emploie une trentaine de salariés et gère six centres dans les Bouches-du-Rhône et en Corse. Sous statut associatif, donc. Face à la question qui lui est posée, le représentant de la direction révèle aux membres du CTE que la bénéficiaire de cette décision – une « association à but non lucratif », martèle-t-il à plusieurs reprises, omnibulé par cette précision - est présidée par « le Professeur Berlan (sic) lui-même ».
Stupeur autour de la table de réunion. « Ah ! », réagit la syndicaliste de la CGT face à la petite bombe qui vient d’être lancée l’air de rien. À sa façon, le PV tente de décrire l’électricité qui règne dans l’air : « (Exclamations des élus du CTE) », écrit la main qui l’a rédigé. Mais le représentant de la direction de l’APHM, lui, a un projet à faire passer. Et visiblement, il compte s’y tenir. Dans ses petits souliers, il en appelle à « l’esprit républicain » - rien de moins ! - pour justifier le fait que « nous sommes tous libres d’exercer les présidences d’associations surtout si elles sont à but non lucratif (bis) »....
À croire, pour recourir à des références d’une telle hauteur d’esprit, que la chose ne va pas de soi. Le directeur de la Conception le reconnaît d’ailleurs lui-même, un peu plus tard : « À ce moment-là, on va faire quelque chose – il faut le dire – c’est la deuxième fois que cela se fera en France. C’est assez exceptionnel ». C’est peu dire, pour qualifier le caractère particulier de ce qui se joue. En clair, on demande aux personnes présentes de se prononcer sur un projet confiant des moyens publics à une structure privée qui souhaite mettre un pied dans l’hôpital public, et dont le représentant est par ailleurs et aussi... le patron du service concerné !
En matière de mise en abîme, le CTE n’a pourtant pas été au bout des choses. En effet, un autre nom est absent du compte-rendu. Son évocation donne une dimension plus exceptionnelle encore à la décision qui se prépare. Ce nom, c’est celui de Laurent Benhaim. Dans l’organigramme de l’association des dialysés de Provence et de Corse, il est l’homme qui monte en 2009. Cette même année, ce diplômé de l’Essec a été nommé directeur général de la structure. Laurent Benhaim est très proche d’Yvon Berland. Professionnellement et familialement : il est le compagnon de la fille du néphrologue.
Mais sur le procès-verbal, nulle trace de ce détail. Un excès de pudeur, peut-être ? « Nous ne connaissions pas son existence en 2009, assure Sylviane Fossati, qui siégeait pour la CGT. On a posé la question du président de l’association mais personne n’a parlé de son beau-fils ». Du côté de la Coordination nationale infirmière (CNI), dont deux représentants siégeaient également ce 20 octobre 2009, on explique pourtant qu’on était au courant. « Nous, on le savait, confirme dix ans plus tard au Média Eric Audouy, vice-président du syndicat. Il me semble qu’on en a parlé mais c’était peut-être une discussion en off, avant ou après la réunion. En tout cas pas enregistrée pendant la séance ».
Quoi qu’il en soit, en conclusion de ce désormais célèbre comité technique, un avis défavorable est émis, à la majorité : 8 participants votent contre, aucun pour, 11 s’abstiennent. Dans la foulée, le 23 octobre 2009, l’AP-HM valide pourtant la décision de partenariat. Malgré l’avis défavorable du comité technique, l’association des dialysés de Provence et Corse récupère l’exploitation d’une file de 8 postes de dialyse, un « Kolfe » pour les initiés - en référence au médecin qui a mis au point cette technique -, dans les murs de la Conception. L’ADPC paiera en contrepartie une redevance de 126 681 euros par an. Le loup est désormais dans la bergerie.
Silence généralisé
Obtenir des informations sur l’association des dialysées de Provence et de Corse est un exercice qui se révèle plus que compliqué. En matière de transparence, on repassera. Ainsi, nous n’avons pas pu consulter les comptes de l’association. Directement contactée via son directeur, celle-ci n’a pas même daigné nous répondre. Par ailleurs, l’Agence régionale de la santé (ARS) de Marseille, véritable préfecture de la santé, ne nous les a pas plus fournis, entretenant le flou sur... le simple fait de savoir s’ils avaient, oui ou non, été déposés auprès de ses services.
Dommage, car nous aurions par exemple pu découvrir grâce à ces documents le niveau de rémunération des trois principaux dirigeants de la structure - les textes imposant en effet qu’ils soient publiés dans les comptes annuels. Si l’ADPC et son directeur ont refusé de nous répondre, Yvon Berland s’est lui retranché derrière « la loi » justement, qui selon lui « n’impose aucune obligation en terme de publication des rémunérations ». À défaut, on peut souligner que les salaires des directeurs de ces structures dépassent habituellement la barre des 10 000 euros mensuels, et peuvent grimper bien au-delà, comme on l’a vu dans un scandale récent à la Réunion (Lire plus bas notre article "Un monde en surchauffe").
Transparence encore, impossible par ailleurs de connaitre les montants des subventions et aides versées par l’ARS, toujours. Malgré nos demandes répétées sur une dizaine de jours, et les promesses, jamais tenues, de nous rappeler, l’agence régionale de la santé Paca a refusé de nous communiquer le montant de ces subventions. Elles existent bien, pourtant. Provenant aussi de collectivités, l’ADPC en ayant par exemple reçu en Corse, où elle exerce par ailleurs ses talents.
Le fait que l’ARS subventionne l’association familiale pilotée par le duo Berland/ Benhaim impose à ces deux structures une obligation de transparence. En effet, à partir du moment où un organisme public verse des subventions à une association, celle-ci est dans l’obligation de lui remettre ses comptes – ce qui paraît logique, ne serait-ce que pour vérifier leur équilibre, sa solidité financière et l’usage de l’argent dont elle bénéficie. Et ces éléments deviennent de fait des documents publics, donc communicables à qui en fait la demande...
À l’ARS, dans la confusion la plus absolue, on explique un jour ne pas les avoir, puis ne pas savoir, ou encore ne pas pouvoir les trouver et communiquer... Quant à savoir si le fonctionnement de l’ADPC a été contrôlé, quand et de quelle façon, questions également parfaitement légitimes surtout après le scandale de la Réunion (l’ARS délivrant les autorisations qui permettent de rembourser les soins délivrés aux patients), on n’aura jamais obtenu le moindre début de réponse.
Ah, si... Autant être précis : une « maladresse » d’une des communicantes de l’agence nous a permis d’apprendre que l’organisme subventionne « certaines activités » de l’ADPC. Lesquelles ? Celles... exercées à la Conception ! En clair : non seulement, on déshabille l’hôpital, qui se retrouve dépossédé d’un service qu’il exerçait ; non seulement celui-ci est transféré sous l’autorité de son patron à une structure privée, dans laquelle on le retrouve aux commandes avec son propre beau-fils, mais, cerise sur le gâteau, cet opérateur privé reçoit en plus de l’argent public pour le faire !
« Ce mélange des genres entre l’associatif et l’hôpital est scandaleux », juge un néphrologue interrogé par nos soins. En posant ce circuit noir sur blanc, on comprend les élans de pudeur des « sponsors » de cette admirable opération. Et dire qu’elle a été motivée à l’origine - le PV de la fameuse réunion d’octobre 2009 l’atteste - pour... « éviter une fuite de patients vers ce qu’il faut bien appeler le secteur privé » ! Dans le cas présent, les malades n’ont pas besoin de fuir très loin pour se jeter dans ses bras, on a pensé à tout pour leur éviter de trop se fatiguer.
Pour justifier d’ouvrir ainsi la porte de la Conception à l’association de l’ancien président du conseil d’administration de l’École des hautes études en santé publique, la direction de l’AP-HM avait aussi argué à l’époque de la nécessaire optimisation des postes de dialyse. Une justification qui ne tient pas, comme l’avait rappelé sèchement un délégué en CTE. « La CNI [Coordination nationale infirmière, NDLR] est très embêtée par ce dossier, avait alors relevé son représentant. Nous considérons que c’est l’entrée d’un secteur privé déguisé de Monsieur Berlan (sic) dans le service. Ce qui nous interroge, c’est pourquoi, si on veut rentabiliser ce service à plein, on ne s’en donne pas les moyens [...]. Il suffit d’embaucher le personnel adéquat ».
La question de la rentabilisation des équipements - les appareils concernés coûtent entre 2 000 et 6 000 euros pièce - n’est pas illégitime. Sauf que, du côté des
personnels, beaucoup pensent que la direction n’a rien fait pour améliorer les conditions de travail, apaiser les tensions et ainsi résorber l’absentéisme qui avait motivé l’arrêt du « Kolfe » en 2006. Et surtout, c’est encore une fois l’identité de la structure qui profite de l’aubaine qui pose problème.
Un efficace communicant pour l'ADPC
Sollicité par Le Média, Yvon Berland nous a adressé des réponses écrites aux questions que nous lui avons posées. À le lire, il n’y aurait pas vraiment de sujet. Ses réponses mettent en avant une ligne de partage qu’il veut claire entre ses différentes casquettes : l’hôpital public, le service de néphrologie de la Conception et l’ADPC. À ses yeux, tout serait parfaitement transparent et la confusion des genres – et partant les potentiels conflits d’intérêts – inexistante. Pour le professeur Berland, le directeur général de l’ADPC, dont la situation et la position sont un point central de cette histoire, est un manager professionnel et compétent, rien de plus. Dans le mail qu'il nous a retourné, le dirigeant de l’association n’est d’ailleurs jamais désigné par le candidat à la mairie de Marseille comme son beau-fils.
Yvon Berland assure par ailleurs ne percevoir « aucun salaire » de l’ADPC. Il serait tout au plus un genre de président comme peuvent l’être un retraité à la tête d’une amicale ou l'un de ces dirigeants dévoués d’un club de sport amateur. Pourtant, son nom apparaît quand on cherche des éléments sur des sites où sont enregistrées des informations légales sur les sociétés, et parfois les associations. Sur ceux-là, il est même le seul dirigeant identifié de l’ADPC et hérite des titres... de directeur des achats et de directeur commercial. D’autant plus étrange qu’il s’agit d’informations et d’éléments déclaratifs, provenant en principe d’enregistrements réalisés par la société concernée...
Pour un président désintéressé, et bien occupé par ailleurs, Yvon Berland s’engage pour porter la cause et les intérêts de l’ADPC. Sur le site de l’opérateur, première vitrine de son offre de soins, le beau-père et le gendre posent côte à côte.
On les retrouve toujours ensemble dans les registres professionnels, pour diriger et développer toujours plus l’association familiale. Dans les publicités diffusées dans les publications médicales, c’est le visage et le nom du professeur Berland qui apparaissent. Lui encore, toujours, qui met tout son poids et son aura dans la balance pour obtenir les autorisations vitales au fonctionnement et au business model de la petite entreprise. Là encore, la confusion et le mélange des genres interpellent...
Exemple édifiant : le 26 avril 2006, l’agence régionale d’hospitalisation (ARH) autorise l'AP-HM à soigner et traiter les maladies liées à l’insuffisance rénale chronique sous différentes modalités. Le même jour, Yvon Berland est impliqué dans un autre dossier, devant la même autorité. Pour l’ADPC, qui voit ses autorisations de poursuite d'activités (d’autodialyse, d’hémodialyse, de dialyse péritonéale...) renouvelées et décroche aussi la possibilité de... « proposer la modalité centre d’hémodialyse, par convention de coopération, avec l’APHM ». Or, trois ans plus tard, c’est en se basant sur l’autorisation obtenue par la Conception le 24 avril 2006 que l’AP-HM permet à l’ADPC d’exploiter dans ses murs une unité de dialyse médicalisée... Un timing aussi parfait que troublant.
Transparence toujours, Yvon Berland n’a pas voulu non plus nous préciser le montant de la redevance reversée à l’AP-HM. Dans la convention initiale adoptée en 2009, on se souvient qu’elle avait été fixée à 126 681 euros. On ne saura pas donc pas si elle a depuis été revalorisée. En revanche, l’ADPC a pris ses aises à la Conception, si on s’en tient aux précisions que son président a bien voulu nous donner. « Actuellement, écrit-il dans ses réponses, la prise en charge des patients insuffisants rénaux dialysés sur l’UDM Conception se fait les mardi/jeudi et samedi sur 16 postes de dialyse en journée et offre également sur les lundi/mercredi et vendredi soir une offre de prise en charge de soirée aux patients qui le désirent ; Cette offre de soins en soirée est effectuée sur 12 postes de dialyse ».
Pour mémoire, l’accord de départ, soumis à l’avis des représentants des personnels, portait sur 8 postes. Autant de patients en plus pour l’association, et partant de chiffre d’affaires pour ses résultats. Également sollicités par Le Média, ni la directrice de la Conception, ni le directeur général des hôpitaux publics de Marseille (AP-HM) n’ont jugé utile de donner suite.
En dépit des difficultés à obtenir certaines informations et nous faire communiquer des documents, la situation que nous avons pu identifier au cours de notre enquête, et que nous avons confrontée à des avis qualifiés, dessine un drôle de tableau. Chez Yvon Berland, tout s’imbrique, tout se confond, tout s’entremêle et se mélange - privé/public, associatif/service public. Une sorte de concrétion d’une macronie idéale, en quelque sorte. Au final, on ne sait plus s’y retrouver, et bien malin celui qui parvient à définir qui sert quoi et qui, dans cette nébuleuse, tire des bénéfices.
Yvon Berland et les 53 000 dollars du laboratoire
Mais Le Média a fait encore d’autres découvertes. Elles interrogent un peu plus sur le sens du service public martelé par le candidat de Macron et sur ses affaires en famille. En 2012, Yvon Berland s’installe aux commandes de la nouvelle université unique, l’université Aix-Marseille. Une étape de plus dans sa carrière qui le place à la tête de ce qui est devenu, après la fusion des trois universités aixo-marseillaises, la plus grande université francophone du monde. Yvon Berland - qui, dans la campagne actuelle, n’a pas voulu communiquer sur son patrimoine, contrairement à certains de ses concurrents - ne perd pas pour autant le sens des affaires.
D’après nos informations, le président de l’université reçoit en effet 56 000 dollars (autour de 49 000 euros) pour des activités parallèles. Dont 53 000 versés par le laboratoire Agmen. Omniprésent dans la sphère de la néphrologie, qu’il arrose généreusement, le groupe Agmen fabrique des médicaments pour les maladies rénales.
Questionné sur cette manne par Le Média, Yvon Berland reconnait l’existence de ces rémunérations. Elles sont justifiées, explique-t-il, par « des actions d’expertise ou des exposés ». Sans en dire plus. Il assure que cette activité de consultant au service de l’industrie « a fait l’objet d’une demande d’autorisation de cumul ». Et précise qu’il a « souhaité arrêter d’accepter (sic) ces sollicitations en 2016 ». Visiblement, il a eu du mal à les repousser. En effet, si le gros de ces rétributions est concentré sur la période 2013/2016, nous avons retrouvé dans les documents que nous avons consultés la trace d’une rétribution postérieure à 2016 :
9 000 dollars d’honoraires versés le 30 mai 2018.
Dans un univers, celui de la dialyse, où les lobbys sont particulièrement actifs, les montants de ces contrats et l'identité du généreux bienfaiteur résonnent curieusement. « Si ça passe du point de vue légal, c’est déontologiquement et moralement très discutable », commente Marc Pena, sollicité par nos soins pour avis. Marc Pena a lui aussi été président d’université, l’université Paul Cézanne, une des trois existantes avant la fusion de 2012. Et il est lui aussi engagé dans les municipales, mais à Aix-en-Provence et au nom d’une liste de gauche (Aix en partage). « Face à des conflits d’intérêts potentiels, reprend Pena, beaucoup de présidents font l’effort de se sortir de ça pour exercer pleinement leur mandat, dans l’intérêt du service public. Berland ne l’a jamais fait, lui ». Visiblement, le professeur agrégé de droit a une idée assez tranchée sur le sujet, et sur celui dont il a été le concurrent pour diriger l’université unique :
« Le discours d’Yvon Berland sur le service public est un discours de Tartuffe quand on regarde sa pratique déontologique et la manière dont il a mené l’université. Il l’a eu en permanence. Il a rarement défendu le service public, a été dans toutes les réformes qui depuis 25 ans ont contribué à affaiblir le service public et à installer, comme il le disait, de entrepreneuriat et du privé ».
Ce sens de l’entreprenariat est une valeur commune dans la famille du docteur. Laurent Benhaim, son gendre, a depuis peu une seconde casquette, en plus de celle qu’il porte déjà comme directeur général de l'ADPC. Il a été nommé directeur du centre NephroCare d'Aix en Provence. NephroCare, qui gère des centres de dialyses (40 déjà implantés en France), est une filiale de Fresenius. Ce géant allemand du secteur de la santé n’est pas la première société venue. Aux Etats-Unis, la justice s'est intéressée de très près à ses pratiques, suffisamment troubles pour décider de poursuivre la firme pour... corruption : pour accélérer son développement exponentiel, ses dirigeants avaient versé 31 millions de dollars de pots de vin répartis dans une grosse quinzaine de pays. Les poursuites diligentées par le département de la justice ciblent aussi des manœuvres pour détruire des preuves, orchestrées par la direction de la multinationale.
Ces liens avec l’industrie et les laboratoires sont-ils la dernière pièce du circuit familial construit sur et autour de la stature du professeur Berland ? Après les passerelles entre le public et le privé sous statut associatif, complètent-ils le dispositif, qui ferait cette fois entrer de plein pied et sans couverture dans le privé le plus dur ? La question est légitime. Le communiqué annonçant en février 2018 le recrutement de Laurent Benhaim trace de belles perspectives : « Fresenius Medical Care France souhaite également continuer à renforcer des partenariats forts avec les établissements à but non lucratif », apprend-on à sa lecture. « Fresenius Medical Care France et l’Association des Dialysés Provence Corse, ADPC, dirigée par le Monsieur (sic) Laurent Benhaim, ont décidé de travailler conjointement sur un projet médical régional ». Et cette « coopération sera d’autant plus renforcée » que, précise enfin le texte, Laurent Benhaim « aura notamment pour mission de renforcer les relations entre les partenaires du territoire de santé ».
Pour que tout soit parfaitement clair, et la voie à suivre tracée, Fresenius a aussi annoncé le transfert des activités de dialyse d’une autre association (l’Association pour le traitement des malades insuffisants rénaux, Atmir) au sein de sa filiale aixoise.
Après l’externalisation et la fuite des patients du public vers l’association familiale, l’étape suivante, qui les amène directement entre les mains d’un géant de l’industrie aux méthodes douteuses, semble enclenchée. Sur ce terrain, si on se laisse aller à faire de la politique-fiction, une victoire lors de ces municipales du candidat Berland aurait pour effet d’ajouter une corde ultime à ce savant dispositif, si patiemment édifié : statutairement en effet, le maire de Marseille est aussi, de droit, le président de l’AP-HM...
Pour aller plus loin :
Un petit tour et s'en va ?
Les sondages annoncent un naufrage pour une campagne qui n’a jamais pris. La faute aux tergiversations de la macronie – le parti présidentiel a mis des mois à miser sur une tête, alimentant la confusion à laquelle Emmanuel et Brigitte Macron se sont mêlés sans jamais trancher -, la faute à la faiblesse des réseaux locaux de ce qui reste un parti sans militants, la faute enfin à un candidat/mandarin néophyte, franchement pas à l’aise dans le costume.
En réalité, Marseille est une ville populaire, et elle n’a que faire d’un académisme pas vraiment en phase avec son métabolisme profond. Marseille est une ville violente. Une ville dure, mal élevée, populaire. Pauvre, aussi. On peut la rêver autrement mais sa nature n’est pas tendre, et elle sait rappeler les rêveurs à la réalité. Penser qu’elle se mettrait en marche à la simple vue d’une notabilité qu’on porte sur soi est mal, très mal, la connaître.
Le Marseille que vivent Berland et les siens - un monde d’experts, de sachants et de gens bien mis - est une vue de l’esprit, au même titre que le fantasme d’une ville capitale du business vendue des années durant par Gaudin le sortant. Et puis, surtout et aussi, n’est pas Macron ni même Vigouroux – le chirurgien qui avait glissé sa différence entre Defferre et Gaudin, modèle de Berland et de ses supporters - qui veut.
Sur ce constat, les urnes livreront leur vérité ce dimanche. Les sondages situent l’universitaire loin, très loin derrière les favoris. Dans le dernier en date diffusé ce mardi (sondage Ifop/Fiducial pour La Provence/CNews/Sud Radio), il est annoncé à 8% à l’échelle de la ville, loin derrière les trois favoris (dans l’ordre la LR Martine Vassal à 24%, le RN Stéphane Ravier à 22% et la tête de liste de gauche du Printemps marseillais Michèle Rubirola à 18%).
Un score qui signerait son élimination au soir du premier tour. Secteur par secteur (l’élection se jouant à Marseille dans 8 secteurs), la tendance n’est pas meilleure. Dans le 6/8, Yvon Berland n’est pas plus sûr de survivre puisqu’il est annoncé à 10%, la barre pour se maintenir. La déconvenue semble donc annoncée pour le représentant marseillais des marcheurs. Les choses actées, Berland aura le temps et le loisir de méditer la leçon.
Un monde en surchauffe
Dans la dialyse, l’argent circule. Beaucoup d’argent, à travers une nébuleuse de structures qui, sous couvert de non-lucrativité, cachent des entreprises aussi profitables qu’opaques. Les autorités tardent à prendre la mesure du phénomène.
Il y a deux ans, fin 2018, le monde de la dialyse avait été secoué par un énorme scandale, qui a braqué les projecteurs sur ces structures privées qui enregistrent des profits considérables sous couverture associative. A la Réunion, les dirigeants d’une de ces « associations à but non lucratif », l’association pour l’utilisation du rein artificiel à la Réunion (Aurar), se servaient des salaires dignes de dirigeants de grosses sociétés, voire de grands groupes comme l’a pointé la chambre régionale des comptes.
Sa directrice recevait 12 000 euros par mois, la directrice du directoire percevant elle 205 488 euros en 2017. Pour la petite histoire (et le clin d’œil), cette dernière est également élue apparentée... à La République en marche. Financée comme toutes ces structures avec les remboursements de la Sécurité sociale, l’Aurar, la principale association de dialyse sur l'île, cachait un incroyable bas de laine : 20 millions d’euros de trésorerie, 52,6 millions d’euros d’actifs dont 30 investis dans l'immobilier via des SCI (sociétés civiles immobilières), ainsi que des filiales commerciales diverses.
Elle a aussi été poursuivie au plan pénal, pour des fraudes. Dans ce dossier qui a permis de mettre à jour de nombreux conflits d'intérêts, la chambre régionale des comptes de la Réunion a également dénoncé une « défaillance de contrôle des autorités compétentes telles que l’agence régionale de santé et la Caisse générale de Sécurité sociale », qui n’avaient jamais contrôlé la très rentable association en quarante ans d’exercice.
Après ce scandale retentissant, les pouvoirs publics ont annoncé des mesures pour faire le tri dans ce secteur évoluant dans une zone grise. « On avait promis de faire le ménage et contrôler toutes les associations en France, confirme-t-on chez Formindep, association qui lutte pour l’éthique et la transparence dans la santé, il ne s’est rien passé. Il n’y a eu aucun contrôle ». On attend donc toujours le grand ménage promis.
Quand ils acceptent d’en parler, certains néphrologues passés par ces associations témoignent
de pratiques décoiffantes, évoquant des placements financiers, des acquisitions immobilières ou encore du paiement à l’activité des médecins hospitaliers intervenant dans le cadre de... demi-journées d’intérêt général – autrement dit au nombre de patients, ce qui est strictement illégal ! En parlant d’une expérience de ce type, un de ces témoins, qui exerce désormais dans un établissement public, évoque son ressenti, au moment de prendre le large : « à l’époque, se souvient-il, j’avais dit en partant au président/fondateur que je quittais une association de malfaiteurs ! »
« Ces associations ont été mises en place il y a 30 ans, rappelle Anne Chailleu, vice-présidente de Formindep, leur essor répondait à un besoin urgent : alors que la technique se développait et que l'espérance et la qualité de vie en dialyse augmentaient, il fallait faire face à une pénurie de structures capables d'accueillir les patients, les hôpitaux n'étant pas en mesure de s’équiper à la hauteur des besoins. Les associations ont comblé ce trou. Alternative commode, elles ont toujours été surprotégées. À ma connaissance, personne n'a jusqu’à récemment jamais fourré son nez dans la tambouille de ces structures puissantes car riches, et qui ont toujours eu des pratiques douteuses ».
Il semble tout de même, Le Monde l’avait souligné l’année dernière, que des poursuites pénales aient déjà été diligentées. Dans un récent rapport publié en février dernier, la Cour des comptes dénonce « des rentes de situation persistantes » et « la rentabilité anormalement élevée de l’activité de dialyse » au détriment de l’assurance maladie, qui la finance. Les rédacteurs rappellent qu’en 2015, « la Cour avait [déjà] souligné la rentabilité exceptionnelle des structures privées de dialyse, qui dépassait amplement celle des établissements de santé privés à caractère lucratif pris dans leur ensemble ». « À partir du moment où il y a énormément d’argent à se faire, beaucoup de ces associations sont tenues par des gens influents, qui y vont directement ou indirectement, et qui peuvent arroser », commente-t-on encore chez Formindep.
Dans la charte de la conférence des présidents et directeurs d’associations de dialyse, qu’on peut trouver en ligne, on peut lire ceci, au chapitre « La non lucrativité » : « Ces associations entendent rappeler et garantir le maintien du caractère non lucratif de leurs activités de soins afin de se différencier clairement des structures de dialyse privées à but lucratif. Cela signifie que leurs activités doivent être assurées au meilleur coût pour la collectivité nationale ».
Ce rappel intéressant est complété par ce qui suit : « La non lucrativité impose également de poursuivre la transparence économique et financière qui demeure indispensable aujourd’hui dans la mesure où la forme associative est parfois considérée comme pouvant permettre certaines dérives : association para-publique, enrichissement personnel. Les membres de l’association s’engagent donc à fournir et s’échanger des informations complètes et sincères sur leurs comptes ». Si le site n’a à l’évidence pas été récemment actualisé, l’ADPC d’Yvon Berland était adhérente de cet organisme, et donc engagée par cette charte et ses prescriptions.
Illustration de Une : Adrien Colrat - Le Média.