Vous pouvez retrouver tous les contenus de Chloé Rébillard en consultant sa page.
La multinationale italienne Florian entend construire une scierie d’une taille inédite près de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées. Mais l’inquiétude grandit au sein de la population, qui pointe les conséquences pour la biodiversité et les emplois locaux de la filière bois.
« Florian, fais pas scier », peut-on lire sur les pancartes du cortège de plus de 1000 manifestants qui défilent, ce 11 octobre, entre Capvern et Lannemezan. Le groupe Florian, une multinationale italienne, entend construire au pied des Pyrénées une scierie industrielle pour exploiter des volumes inédits de bois de hêtre.
Mais les opposants au projet, réunis au sein du collectif « Touche pas à ma forêt », ont sorti la calculette : « Ce projet demande un approvisionnement de 50 000 m3 par an de bois d’œuvre de hêtre de bonne à très bonne qualité sur une durée de 10 à 15 ans. Pour fournir ce volume, il faudrait couper un volume total de 400 000 à 550 000 m3 par an d’arbres toutes qualités confondues ». Le collectif, qui regroupe plus de quarante organisations – associations, syndicats et partis politiques – estime que cela reviendrait à tripler l’exploitation actuelle et à prélever une part importante des hêtres en cours de vieillissement de la chaîne de montagne, dont certains sont actuellement inaccessibles. Il faudrait donc créer de nouvelles pistes ou mettre en place une exploitation par câblage.
Pour Daniel Pons, garde-forestier à la retraite depuis peu, la forêt pyrénéenne est encore jeune : « Au XIXème siècle, on a eu une utilisation industrielle de la forêt, notamment pour le charbon de bois. Depuis, elle s’est progressivement reconstituée ». La qualité du bois d’œuvre demandée par Florian mettra sous pression les plus anciens boisements, puisque le groupe veut des bois classés catégories A et B, c’est-à-dire des arbres ayant atteint un diamètre d’environ 50 centimètres. Ce diamètre concerne de vieux arbres à l’échelle des Pyrénées, mais jeunes au regard de la durée de vie biologique d’un hêtre. Florent*, porte-parole du collectif, dénonce la pression grandissante que les industriels font peser sur les forêts : « Il y a vingt ans, on coupait un hêtre lorsqu’il atteignait 70/80 centimètres de diamètre. Maintenant, le diamètre où ils sont censés être mûrs pour être coupés, c’est 50/55 centimètres. C’est une forme de pression supplémentaire sur la récolte ».
Pascal Lachaud, autre porte-parole du collectif et adjoint au maire communiste de Capvern, veut « laisser vieillir » les arbres, d’autant que les forêts offrent des avantages certains dans un contexte écologique dégradé. Les vieilles forêts et leurs bois morts tombés au sol sont des réserves de biodiversité, notamment pour les espèces saproxyliques (insectes ou champignons qui vivent dans le bois mort). Ces dernières jouent un rôle primordial dans la fertilité des sols et beaucoup sont menacées. En outre, ce sont des puits de carbone efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique, d’autant plus si les boisements sont anciens.
Un rapport rédigé par Fern, une organisation européenne de protection des forêts, paru cette année, critique la politique française en la matière: « En janvier 2020, la France a publié une version mise à jour de sa stratégie nationale bas-carbone. Celle-ci prévoit une augmentation significative des récoltes de bois, ce qui réduirait la capacité des forêts à éliminer le dioxyde de carbone de l'atmosphère » et propose une solution alternative dans la gestion des forêts : « Laisser vieillir les arbres ». L’Observatoire des Forêts a inventorié les surfaces boisées dans les Pyrénées : actuellement, seule 4 % de la surface forestière est en libre évolution depuis au moins 50 ans. « Cela laisse des marges de manœuvre énormes : même si on double ces espaces, cela ne représentera que 8 % », estime Florent*.
La filière bois en danger
Autre inquiétude face à l’implantation d’une scierie de taille inédite sur le territoire : le social. L’arrivée d’un mastodonte dans une filière déjà fragilisée suscite des incompréhensions : « Avec un processus industriel très automatisé, Florian emploierait 25 salariés pour scier ses 50 000 m3 soit un rapport de 1 pour 2000 m3. Des scieries locales présentent un rapport 10 fois plus favorable en matière d’emplois », écrit le collectif. Pascal Lachaud en est persuadé, le tissu local des petites scieries n’y survivra pas. Il redoute des destructions d’emplois : « C’est faux, aujourd’hui, de dire que l’on est en sous-exploitation. Ce que l’on propose, c’est un autre usage du bois. On veut fabriquer nos meubles ici ! ».
Une commission a été créée au sein de « Touche pas à ma forêt » afin d’ébaucher des alternatives. Dans leurs premières pistes, les militants entendent revaloriser le bois issu des forêts pyrénéennes et recréer des formations initiales sur ce secteur qui a peu à peu été abandonné des politiques publiques, pour recréer à terme des emplois locaux et durables. Le collectif opte pour le développement d’une filière bois pourvoyeuse d’emplois relocalisés, là où le groupe Florian promet 25 emplois sur les quelques années où ils exploiteront le bois pyrénéen.
Quant aux bûcherons et autres débardeurs, les conditions de travail très dures rendent le recrutement compliqué : « On nous fait miroiter la création de 90 emplois de bûcherons, débardeurs, conducteurs de grumiers. Or, depuis plusieurs années déjà, la filière bois manque de travailleurs dans ces métiers pénibles et dangereux (18 morts en France en 2019), et a recours à de la main d’œuvre d’Europe de l’Est, de pays du Maghreb et de la péninsule ibérique ».
Déni de démocratie ?
La découverte fortuite du projet par des élus d’opposition lors d’une commission du Conseil communautaire du Plateau de Lannemezan (CCPL) a également interloqué les habitants sur la manière de faire. Devant les manifestants détrempés, Mathilde Gelamur, l’une des porte-paroles du collectif, affirme que les habitants se sont sentis dépossédés d’un bien commun : « J’ai 30 ans, je suis d’une génération qui regarde un monde qui ne nous fait pas rêver. La mobilisation nous a déjà permis de reprendre une place comme citoyen.nes, de nous engager dans un combat qui nous dépasse ». Le maire socialiste de Lannemezan, Bernard Plano, également président du CCLP, soutient le projet. Des subventions ont déjà été votées pour permettre l’implantation de l’usine sous forme de financements d’études. La Région apporte 65 000 euros, l’État 75 000 : à terme, le groupe Florian n’aurait qu’à apporter 40 % du montant total, puisque six millions d’euros de subventions publiques sont prévues.
Mais depuis que la mobilisation prend de l’ampleur, plusieurs politiques commencent à plaider pour une concertation. La présidente de la région Occitanie, Carole Delga (PS), ou le député LREM Jean-Bernard Sempastous, ont fait part de leur désir de réunir les différentes parties autour d’une table. Le mot d’ordre de la mobilisation de ce week-end, répété à l’envi par les porte-paroles du mouvement : un moratoire sur le projet Florian, puis une concertation. Méfiant, Florent* avertit : « Attention, une concertation dans le dictionnaire ça veut dire « décider avec », et non pas « on vous écoute et on fait ce qu’on veut derrière » ! ».
Contacté, le groupe Florian n’a pas souhaité répondre à nos questions, nous renvoyant vers un communiqué de presse.
* Le prénom a été modifié.
Crédits photo de Une : Chloé Rébillard - Le Média.