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G7 : une gestion policière dans le sillage de la crise des Gilets Jaunes ?

Par Jean Sébastien Mora

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C’est ce que confirme notre échange à Biarritz avec le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, en visite sous haute sécurité pour préparer le sommet des 24, 25 et 26 août 2019.

En niant une fois de plus l’ampleur des violences policières (1) lors du mouvement des Gilets Jaunes, Christophe Castaner campe sur ses positions. Ce jeudi 4 juillet, Il était en déplacement sur la Côte basque, sous haute sécurité, pour présider au comité de pilotage du G7, qui se tiendra du 24 au 26 août prochain à Biarritz.

Nous lui avons demandé s’il comptait « aborder ce G7 en rupture avec la gestion de la crise des Gilets Jaunes, notamment en matière de dérives policières, dénoncées par l’ONU et le défenseur des droits, mais aussi de fake news, comme lors de l’épisode de la Pitié-Salpêtrière ». Le ministre n’a pas manifesté le moindre regret et n’a, à aucun moment, cherché à démentir les accusations de divulgation de fausses informations, persévérant au contraire dans un récit partial : « Nos forces, dans certaines manifestations, ont systématiquement été attaquées par des cocktails Molotov ou d’autres objets divers et variés. […] Nous avons fait face à près de 50 000 manifestants qui ont marqué, meurtri, cassé un peu partout en France ».

Christophe Castaner annonce pour ce G7 un « niveau de mobilisation maximum  » des forces de l’ordre, et pas seulement à Biarritz, mais sur l’ensemble de la France « pour gérer au mieux les mobilités et veiller en terme de prévention que celles et ceux qui représentent une menace ne viennent pas ici  ». Après avoir rencontré jeudi, à Hendaye, son homologue espagnol Fernando Grande-Marlaska Gómez, le ministre a également confirmé que la frontière avec le royaume ibérique serait « contrôlée  » pendant le sommet. Entre les lignes, on devine qu’à l’instar du mouvement des Gilets Jaunes, le G7 sera le théâtre de nombreuses interpellations préventives, à la validité juridique douteuse, comme celle subie par Julien Coupat en décembre 2018.

L'écologie de marché contre les ONG ?

Faire face à la « crise » : c’est avec cette rhétorique constante que les États les plus puissants de la planète tentent de justifier la tenue d’un sommet en petit comité, et ce dès les premières réunions informelles du G5, dans les années 1970. Suivant cette logique, et à l’image du président Emmanuel Macron , Christophe Castaner a ainsi salué devant la presse « l’occasion pour la France de porter des sujets aussi ambitieux que la lutte contre le dérèglement climatique […] et la criminalité environnementale, sujet que j’avais moi-même placé au cœur du G7  ».

Comité de pilotage du G7. Biarritz, le 4 juillet 2019. Crédits : Christophe de Prada.

Venant d’un gouvernement qui attribue 11 milliards d’euros par an de subventions fiscales aux énergies fossiles, l’intention est savoureuse. Craignant de se voir exclues des négociations, une quarantaine d’organisations environnementales et humanitaires - Action contre la faim, Amnesty International, Greenpeace France… - viennent aussi d’écrire au président Emmanuel Macron pour protester contre des refus d’accréditation des ONG au media center . Dans les faits, la composition du G7 ne laisse que peu de doute sur les options politiques et économiques de ses instigateurs. À l’exception du Canada, les super-puissances qui se retrouveront à Biarritz fin août - États-Unis, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Japon - ont toutes une histoire suprématiste, impériale et coloniale. Le constat semble tellement évident que l’opposition à la mondialisation néolibérale s’est cristallisée autour de ces sommets de « dirigeants de la planète », G7 ou G20.

Tentative de neutralisation du contre-sommet

Selon l’économiste Gustave Massiah, coauteur en 2003 de l’ouvrage « Le G8 illégitime » (2) , la réunion du G8 à Gênes a vu s’affirmer « les caractéristiques du mouvement de contestation : une capacité de contre-expertise qui permet de remettre en cause l’évidence du credo néolibéral ; l’apparition, dans la jeunesse, d’une nouvelle génération militante ; la sympathie d’une opinion publique inquiète de l’impact négatif de la mondialisation libérale sur le plan social, environnemental et démocratique  ». Au Pays basque, fin 2018, la plateforme G7-EZ (G7-non en langue basque) est rapidement parvenue à fédérer les mouvements citoyens, les syndicats et les associations altermondialistes opposés à la tenue d’un sommet de dirigeants à Biarritz. « Les sept plus grandes puissances économiques mondiales et la Commission européenne se réunissent pour perpétuer un système qui a conduit à une croissance des inégalités et une mise à sac de notre planète  », peut-on lire en préambule de leur communiqué .

En analysant les sommets internationaux, les chercheurs Noakes et Guillham (3) ont théorisé les notions de « neutralisation stratégique  » ou d’« incapacitation sélective  », à savoir la mise en place d’un dispositif hybride de surveillance, d’interdictions préalables, de négociations inconséquentes et de gain de temps. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les difficultés rencontrées par la plateforme G7-EZ dans l’obtention des autorisations pour définir un lieu de contre-sommet aux abords de Biarritz. En effet, les dates du contre-rassemblement étaient confirmées depuis bien longtemps, c’est à dire du 19 au 23 août. La ville de Bayonne apparaissait comme une évidence, en raison d’infrastructures déjà disponibles, comme l’antenne de l'Université de Pau et des Pays de l’Adour, et surtout dans le sillage d’événements comparables, tels les villages Alternatiba de 2013 et 2018, ou encore le Forum de la paix, en 2012, organisé après la fin de la lutte armée décrétée par l’organisation indépendantisme armée ETA.

Cependant, dès le mois de février 2019, sous la houlette du nouveau préfet des Pyrénées-Atlantiques Eric Spitz, les manœuvres de « neutralisation stratégique  » de l’État français ont d’abord consisté à tenir géographiquement le plus loin possible l’opposition, avec une proposition initiale d’organisation d’un contre-sommet à Dax, sous-préfecture landaise située à plus 50 kilomètres de Biarritz - une suggestion évidemment refusée par la coalition. Depuis le sommet de Seattle, pour faire face aux mobilisations altermondialistes, les autorités ont progressivement militarisé le maintien de l'ordre : usage d’armes sublétales, érection de grandes barrières de béton, déploiement d’unités d’élites, tactiques d’encerclement et d’embuscade… Dans la bouche du préfet Eric Spitz, les termes « distance de profondeur  » ou  « évaluation de la menace  » sont venus le rappeler avec force.

Une opposition nécessaire

Dans un souci de contrôle optimal, le pire scénario pour les autorités aurait cependant été l’absence de site « officiel » et donc une profusion d’événements non identifiés à proximité de Biarritz.  « Il est essentiel que le contre-sommet ait lieu  », a d’ailleurs rappelé Christophe Castaner lors de sa visite. Ainsi, au terme de plusieurs mois de tractations, le contre-sommet devrait finalement avoir lieu à cheval sur les communes d’Irun – sous administration espagnole -, d’Hendaye et d’Urrugne – sous administration française. Beaucoup de dispositions restent cependant floues, entre les possibilités d’hébergements pour les militants altermondialistes ou les autorisations de déplacement entre les différents sites de la contre-manifestation.

Christophe Castaner, le 4 juillet 2019 à Biarritz. Crédits : Christophe de Prada.

L’imbroglio autour de la FICOBA d’Irun est une démonstration des pressions exercées sur les élus locaux par les autorités préfectorales et étatiques. La mise à disposition des locaux de la Foire Internationale de la Côte Basque, réservés depuis plusieurs mois par la plateforme G7-EZ, a été soudainement refusée à la mi-mai par la municipalité, puis partiellement mise à disposition un mois plus tard, avec des conditions très restrictives (4) . Ce revirement ainsi que bon nombre d’entraves légales ont logiquement causé beaucoup de retard dans la préparation du contre-sommet.

En juillet 2017, avec plus de 300 millions d’euros de frais engagés, la gestion très sécuritaire du G20 d’Hambourg avait marqué les esprits. Le chercheur Mathieu Rigouste ou encore la sociologue Lesley J.Wood (5) ont montré que l’investissement réalisé par les forces de police en vue de la planification des manifestations est devenu considérable, sur les plan humain ou technologique, tout comme le recours croissant aux infiltrations du mouvement social et aux manipulations médiatiques. En parallèle de la sempiternelle menace des « Black-blocks  », la confusion entre activisme, action de désobéissance civile et terrorisme est même largement entretenue. Or au printemps, deux notes internes « révélées » par TF1 faisaient savoir que la DGSI s’attend, lors du sommet du G7 à Biarritz, à de « possibles affrontements » entre les différentes « mouvances » d’opposition, parmi lesquelles « les indépendantistes basques ».

Des membres de la coalition G7-EZ suspectent le ministère de l’Intérieur de laisser fuiter des informations afin de créer volontairement un climat de peur, dissuader les contre-manifestants les plus pacifiques de se rendre sur place, et surtout reléguer au second plan les intentions politiques et économiques des super-puissances composant le G7. Enfin, au Pays basque, dans le milieu militant, certains ressentent le choix d’organiser le G7 à Biarritz comme un coup de force très symbolique de l’État français, une manière de s’y affirmer définitivement, sans contrepartie politique et sous les yeux des grands dirigeants de la planète. D’ailleurs, depuis mai, le gouvernement d’Édouard Philippe s’attaque, via le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer, à l’enseignement immersif en langue basque.

Une dérive judiciaire prévisible, voire annoncée

Outre le verrouillage total de la commune de Biarritz au travers de zones définies 1 et 2, l’accès aux plages sera complètement prohibé quatre jours avant et après le sommet (même pour les surfeurs). Selon le préfet, l’interdiction de manifester pourrait bien concerner un périmètre « élargi » à l’ensemble de la Côte Basque, voire au département et au sud des Landes. « Une entrave pure et simple au droit de manifester  », s’indignent vivement les membres de la plateforme G7-EZ. Christophe Castaner tente de se justifier : « Donald Trump fait l’objet d’une protection particulière. On n’a pas l’habitude, dans quelque pays que ce soit, quand on accueille le président américain, de l’accueillir au milieu de manifestants  ».

En plus des 20 000 policiers attendus, il est ainsi question de cellules de garde-à-vue temporaires au CRA d’Hendaye et d'importants renforts au tribunal de Bayonne : des procureurs, des juges et des greffiers - une trentaine au total. Dans le prolongement de la répression judiciaire majeure qu’a connu le mouvement des Gilets Jaunes, le « délit de regroupement », les interpellations préventives et le jugement en « comparution immédiate » se dessinent comme les éléments centraux du dispositif judiciaire du G7.


(1) Rarement en France un mouvement social n’aura été autant puni par les autorités. Les chiffres officiels, forcément parcellaires, donnent encore le tournis : 3830 blessés, 8700 gardés à vue, 13 460 tirs de LBD-40 et 1428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées explosives…

(2) Attac, Le G8 illégitime , Mille et Une Nuits, Paris, 2003.

(3) John Noakes et Patrick F. Guilham – Police and protester innovation since Seattle – Mobilization Vol 12 – 2007.

(4) Le maire d’Irun propose aux organisateurs une quarantaine de places de stationnement en sous-sol, à condition que les coordonnées des plaques minéralogiques soient préalablement communiquées. Deux salles de la FICOBA ont été attribuées, l'une de 100 places, l'autre de 150 places, mais pas le hall d’exposition ni surtout le parking qui est, de fait, laissé gratuitement à l'usage des riverains du quartier ainsi qu’à ceux qui stationnent pour venir à la plage d’Hendaye.

(5) Lesley J. Wood, Mater la meute : La militarisation de la gestion policière des manifestations , traduit de l'anglais par Éric Dupont. Mathieu Rigouse, Le marché global de la violence, Lux.

Crédits photo de Une : Christophe de Prada.

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