CGT - Ford Blanquefort : "Résister le plus loin possible contre l'inacceptable"
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Le Média Presse ouvre ses colonnes aux ouvriers et syndicalistes de la CGT – Ford Blanquefort, en lutte depuis plusieurs années pour la sauvegarde de leurs 853 emplois directs et 2000 emplois induits. Ils dénoncent le cynisme de la multinationale, la passivité des pouvoirs publics, et demandent à l’État de récupérer l’argent public versé à l’entreprise, de réquisitionner le terrain, les bâtiments et les machines.
L’homologation du PSE [plan de sauvegarde de l'emploi] de fermeture de l’usine Ford par l’État, le lundi 4 mars, sonne la fin d’une longue bataille, mais certainement pas la fin de notre résistance. Nous n’avons pas fini de dénoncer, de contester, de tenter de nous opposer par tous les moyens possibles au droit de la multinationale (et des multinationales) de liquider ainsi autant d’emplois directs et induits.
En validant le PSE, la multinationale a donc eu l’autorisation de mettre en œuvre son plan de fermeture de l’usine et de mise à la porte de tout le personnel : 853 salarié.e.s, préretraité.e.s ou licencié.e.s.
Depuis le début, depuis les annonces de Ford en février 2018 (son désengagement de Blanquefort) et en juin 2018 (l’annonce de fermeture de l’usine), même avant, car Ford préparait son coup depuis des années, nous avons dénoncé ce qui est un scandale, une décision inacceptable.
Ford fait des bénéfices énormes (7 à 8 milliards de dollars par an, environ), distribue des dividendes importants à ses actionnaires (plus de 15 milliards de dollars entre 2012 et 2017), offre des revenus indécents à ses dirigeants. Mais cela ne suffit pas. Comme tant d’autres multinationales ou grosses entreprises, Ford perçoit des aides publiques par dizaines de millions d’euros, de la part de l’État comme des collectivités territoriales (pas loin de 50 millions d’euros depuis 2011).
"Pourquoi les pouvoirs publics n'ont-ils pas agi avant ?"
Ford avait signé un accord, en mai 2013, s’engageant à maintenir 1000 emplois en échange d’aides publiques importants. Dès le début, cet accord apparaissait comme une entourloupe : jamais Ford n’a mis les moyens pour assurer sa promesse écrite, jamais il n’y a eu ni l’activité suffisante, ni de projets d’activité garantissant les emplois pour les années suivantes.
Les pouvoirs publics, les collectivités, l’État se sont laissés endormir, ont laissé passer le temps, les années. Ils ont laissé se dégrader une situation sur laquelle nous les alertions en permanence : nous avons sollicité Bercy sous Hollande et sous Macron, bien avant les annonces de Ford.
La CGT-Ford avait même saisi le tribunal pour attaquer les mensonges de Ford, pour dénoncer le non-respect des engagements au maintien des 1000 emplois, dès que l’effectif est passé en dessous du seuil, en 2017. Et nous avons gagné, le tribunal nous donnant raison. Ford a certes fait appel, nous en sommes encore là aujourd’hui. Cette victoire n’a pas eu d’effets : c’est dire la passivité des pouvoirs publics.
Et puis c’est allé vite : Ford a construit son plan, minutieusement et tranquillement, jusqu’au 27 février, jour du premier coup porté, celui du dévoilement des intentions, celui de l’annonce du désengagement.
Immédiatement, les élus locaux, les Alain Juppé [maire de Bordeaux, NDLR], Alain Rousset [président de la région Nouvelle-Aquitaine, NDLR], le ministre de l’Économie [Bruno Le Maire, NDLR] ont crié à la trahison, ont dénoncé l’attitude des dirigeants de Ford comme déloyale. Ils avaient raison, mais ils ne pouvaient pas le découvrir à ce moment-là.
Pourquoi les pouvoirs publics n’ont-ils pas agi avant ? S’agit-il d’une forme de complicité, de naïveté ou encore d’incompétence ? Comment peuvent-ils donner tant d’argent sans en surveiller l’utilisation, sans suivre l’évolution de la situation dans l’usine ? Comment ont-ils pu laisser Ford amener l’usine dans le mur sans réagir ?
Ils se sont indignés haut et fort ; ils s’indignent toujours d’ailleurs, même si c’est un peu moins fort ; et ils s’indigneront demain encore, car Ford n’en a pas fini avec ses manœuvres et ses mensonges. Mais tous ces cris ne servent visiblement qu’à cacher cette sorte d’impuissance incroyable qui empêche d’agir efficacement.
"Il y a des réponses qui ne peuvent être que radicales"
L’État, l’ensemble des collectivités territoriales et des pouvoirs publics sont englués dans l’acceptation de l’idéologie libérale, de la domination des multinationales. Leur impuissance va avec l’impunité des capitalistes, avec leur plein pouvoir qui conduit à l’arrogance, à leur mépris clairement affiché de l’intérêt public.
C’est sans doute le résultat de toutes ces années de politiques ultralibérales. En même temps qu’elles enlevaient des droits aux salarié.e.s, elles en donnaient de plus en plus aux capitalistes. Au point qu’aujourd’hui (depuis longtemps en fait), une multinationale comme Ford, qui fait des profits, qui n’a aucun problème de productivité, de rentabilité ou de compétitivité, peut sans difficulté liquider une usine, 853 emplois directs et près de 2000 emplois induits, et refuser un plan de reprise sans en étudier sérieusement le contenu.
On nous dit partout qu’on n’y peut rien, que c’est la loi du marché, que les usines ferment, que c’est la vie. Sauf que s’il y a loi, c’est celle de la « jungle », celle du plus fort qui bat le faible. Aujourd’hui le rapport de force est tel que les « forts », les dominants, ce sont les capitalistes qui écrasent, qui broient les « faibles », les travailleur.euse.s. Et cette machine à broyer va loin, très loin, beaucoup trop loin.
Face à ceux qui prônent le réalisme économique, nous répondons qu’il y a des réponses qui ne peuvent être que radicales. Défendre l’emploi est une question politique, et non pas économique. C’est enlever du pouvoir aux capitalistes, c’est d’en donner au salarié.e.s, à la collectivité, à la population concernée.
Il faut enlever la légitimité de fermer une entreprise, de supprimer des emplois. Il faut protéger la population. C’est forcément s’en prendre à la propriété des entreprises. Avec le cas de Ford, comme avec ceux d’Ascoval, de Fonderies du Poitou et de tant d’autres, est posée la question de la réquisition, de la réappropriation de l’outil de production.
Derrière est aussi posée la question d’une politique ou d’une stratégie industrielle de la part des pouvoirs publics. Ce que le « privé » ne peut pas faire et ne veut pas faire, c’est au public, à la société, de le faire et de le prendre en main.
"Notre résistance continue"
Pour nous, le problème n’est pas de faire absolument des transmissions automatiques pour des voitures. On s’en moque. Ce que nous voulons dans l’urgence, c’est avoir un emploi et un salaire. Comme on le dit aujourd’hui dans les manifestations des Gilets Jaunes, c’est assurer nos fins de mois.
Dans le fond, l’État comme les collectivités territoriales devraient prendre en main des secteurs entiers de l’économie, pour produire dans des conditions qui préservent l’environnement et fabriquer des choses utiles à la société, qui répondent aux besoins de la population.
En ce qui concerne notre usine, qui fabrique des boîtes de vitesse pour automobile, nous pourrions envisager de produire, toujours dans le transport, mais en s’orientant vers le transport public et collectif, respectueux de l’environnement et du social. Il y en a forcément les moyens. C’est à l’État et aux pouvoirs publics de le penser et de le mettre en œuvre.
Dans l’immédiat, cela voudrait dire que l’État impose à Ford des nouvelles règles : récupérer la totalité des sommes d’argent public indûment perçues par Ford, récupérer ou réquisitionner le terrain, les bâtiments et le parc-machine dans les mois qui viennent. C’est le minimum pour créer les conditions favorables à une réindustrialisation rapide du site, et sauvegarder ainsi les emplois et le collectif de travail existant.
C’est notre bataille, notre résistance qui continue de cette manière.
Pour la CGT-Ford : Jérôme Coutelle, Philippe Kacprzak, Gilles Lambersend et Philippe Poutou.
Photo de Une : manifestation à Bordeaux pour la sauvegarde des emplois de l'usine Ford Blanquefort, le 22 septembre 2018. Crédits : Téo Cazenaves – Le Média.